CRITIQUE/AVIS FILM - Venu nous parler d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, Charles Aznavour renaît dans "Monsieur Aznavour" avec une incarnation géniale de Tahar Rahim. Un sommet pour l'acteur, auquel le film fait défaut en se suffisant d'une manière de récit trop distante et conventionnelle.
Tahar Rahim réveille Monsieur Aznavour
Transporté par Tahar Rahim, formidable dans sa création de Charles Aznavour, le spectateur du biopic Monsieur Aznavour n'en aura pas moins l'impression que la performance exceptionnelle de l'acteur est celle d'un roi dans le désert. En effet, le nouveau film de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, doté d'un gros budget et calibré pour devenir multi-millionnaire en entrées, n'est que trop rarement à la hauteur de son casting dans son écriture, développant avec application un traitement classique des codes très classiques du biopic le plus classique.
Monsieur Aznavour raconte sous un angle illustratif la vie du chanteur franco-arménien et icône de la culture française Charles Aznavour. Auteur-compositeur-interprète de génie, acteur et écrivain, diplomate officieux et un des quelques français et françaises à avoir son étoile sur le Hollywood Walk of Fame, il y a à explorer dans ce parcours légendaire. C'est ici évidemment le chanteur qu'on raconte - avec une seule et trop brève scène sur un plateau de cinéma -, et ce sont ses plus grandes tubes qui chapitrent le film. Monsieur Aznavour est un jukebox bien fourni et les admirateurs du chanteur y trouveront largement leur compte.
Sans être original, le procédé est attendu et fonctionne très bien : Tahar Rahim réussit un mimétisme vocal époustouflant, et ne cesse de parfaire à mesure que le film se déroule sa ressemblance physique avec Charles Aznavour. Brillant dans l'exercice, les séquences où il chante sont si saisissantes que, même trop poliment mises en scène, elles étreignent le coeur du plus réfractaire des publics.
Une performance dévorante
Cependant, l'art n'est pas le mimétisme. Ou plutôt le mimétisme n'est que le premier palier de création, et Tahar Rahim apporte quelque chose d'autre, et bien plus au personnage. La noirceur, l'addiction au travail, le souci constant et la fuite perpétuelle en avant... D'un artiste à un autre, il y a peut-être le partage d'un destin, celui à qui rien n'était promis mais qui a tout fait arriver à force de travail, et cette ligne est la plus claire du film.
Mais dans cette histoire de labeur et d'ascension, Charles Aznavour n'a pas le temps de s'arrêter. Peut-être parce qu'il n'a pas une idée très claire de ce qu'il souhaite devenir. Il veut chanter, être célèbre, riche, aider sa famille, mais rien ne le satisfait ou freine sa course. Aucun endroit ne semble bon à s'y reposer. À le percevoir dans le jeu captivant de Tahar Rahim, Charles Aznavour apparaît alors complexe, égoïste, souvent génial et parfois médiocre, sûr de son fait mais par ailleurs comme égaré dans l'univers qui l'entoure, parce qu'il est déjà dans le suivant.
Sa relation avec Edith Piaf, remarquablement incarnée par Marie-Julie Baup, est ainsi plus amère que douce. Il s'éloigne de sa femme et de ses enfants, de son meilleur ami, constamment sur les routes puis sur les lignes aériennes tout autour du monde. Peu à peu, le drame d'une solitude se met à gronder. Mais tout ceci revient à la performance nuancée de Tahar Rahim. Et malheureusement l'écriture, la mise en scène comme le montage de Monsieur Aznavour ne le suivent que trop rarement dans les milles facettes et pistes de fiction(s) que l'acteur donne à Charles Aznavour, refusant de jeter autre chose qu'un oeil court vers ces espaces où il les tire. À l'exception notable de l'insertion d'un très célèbre morceau de rap américain samplé sur Parce que tu crois, seule infraction à la vraisemblance logique mais tout de même excessive du film.
Un casting qui donne la mesure
Il n'y a sans doute pas de pire timidité que celle qui est sérieuse, et celle de Monsieur Aznavour se résout finalement dans un récit chronologique parfaitement égal : c'est avec la même faiblesse d'intensité et l'absence d'un regard autre que distant et plat qu'on assiste à l'annonce de l'exécution de Missak Manouchian, au triomphe de l'Alhambra ou encore à la perte d'un des enfants de Charles Aznavour.
On s'en remet alors à l'investissement très réjouissant du casting pour trouver de l'élan, Marie-Julie Baup incarnant joliment une Edith Piaf trouble, entre mentor et jumelle d'un autre temps et un poil maléfique de Charles Aznavour. Aussi, Bastien Bouillon, dont l'incarnation du partenaire historique et ami Pierre Roche offre de jolis moments au duo avec Tahar Rahim - notamment leur passage devant le service d'immigration américain-, et ce sont finalement ces trois acteurs qui racontent le mieux "Charles" dans Monsieur Aznavour, étoile brûlante et brûlée qui file dans le vide.
Monsieur Aznavour de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, en salles le 23 octobre 2024. Ci-dessus la bande-annonce.