Ce soir Arte diffuse "Mortelle randonnée" (1983), un superbe thriller désespéré sur le deuil, signé Claude Miller et porté par Michel Serrault et Isabelle Adjani. Un film à réhabiliter après son échec à sa sortie.
Mortelle randonnée : Michel Serrault protecteur d'Isabelle Adjani
Après avoir proposé l'excellent film policier Garde à vue (1981), remarquable huis clos récompensé de quatre César, Claude Miller retrouva Michel Serrault pour le thriller Mortelle randonnée (1983). Cette fois, l'acteur n'est pas l'accusé, mais celui qui mène l'enquête. Il joue dans le film Beauvoir, dit « l'Œil », un détective privé marqué par la perte de sa fille Marie. Une nouvelle mission l'amène à devoir suivre Catherine Leiris (Isabelle Adjani), la petite amie de Paul Hugo, l'héritier d'une famille riche. L'affaire semble banale. Jusqu'au moment où il aperçoit Catherine qui se débarrasse du corps de Paul. Après cela, la jeune femme repart et s'en va changer d'apparence et d'identité.
Plutôt que de la dénoncer, Beauvoir décide de continuer de la suivre. Sans se faire voir, il l'observe continuer de dévaliser des hommes fortunés avant de les abattre. Mais le détective privé va aller encore plus loin en se débarrassant lui-même d'un des corps pour s'assurer que Catherine ne se fasse pas prendre. Il devient ainsi son protecteur et son complice sans qu'elle ne le sache.
On retrouve dans Mortelle randonnée un solide casting jusque dans les seconds rôles, avec notamment des apparitions de Guy Marchand, Stéphane Audran, Sami Frey, Dominique Frot ou encore Jean-Claude Brialy. Mais c'est surtout ce duo formé par Michel Serrault et Isabelle Adjani qui marque les esprits. Lui par l'émotion profonde qu'il cache derrière un visage mutique, et elle par son charisme et son regard magnifique. Deux ans plus tôt, elle livrait une des plus grandes performances d'actrice avec Possession (1981). Et la même année que Mortelle randonnée, elle fut récompensée d'un César pour la deuxième fois avec L'Été meurtrier (1983).
L'échec du thriller de Claude Miller
Mortelle randonnée avait tout pour être un nouveau succès de Claude Miller. L'ambiance sombre du réalisateur et un casting de rêve, combinés à un scénario de Michel Audiard et son fils Jacques Audiard (leur première collaboration). Sans oublier un budget plus que confortable, logiquement attribué au cinéaste après Garde à vue. Malheureusement, à sa sortie, le film a été un échec. En salles, il ne cumule que 916 868 entrées, très loin des 2 millions d'entrées de Garde à vue.
De son côté, la presse n'a pas été très encourageante. Comme le rappel Télérama dans un article consacré au film, le magazine Les Cahiers du Cinéma y voyait "dans la mise en scène de Miller, glaciale, vénéneuse, très hitchcockienne, à la Vertigo, une esthétique de pub". Ce n'est que plus tard que Mortelle randonnée a été réhabilité.
Aujourd'hui, tout le monde est d'accord : Mortelle Randonnée est un diamant noir, sans doute le thriller français le plus stylisé, le plus beau, le plus littéraire, le plus désespéré de tous les scénarios de Michel Audiard.
Un grand film sur le deuil
En effet, le caractère désespéré de Mortelle randonnée est peut-être l'élément le plus intéressant du film. Car si l'attitude de Beauvoir de vouloir protéger Catherine ne semble pas avoir de sens dans un premier temps, les révélations qui suivent en donnent une explication cohérente et font surtout de Beauvoir un personnage terriblement tragique. Le long-métrage de Claude Miller est en réalité un film sur le deuil. D'autant plus touchant lorsqu'on sait que quelques années auparavant, Caroline (1958-1977), la fille de Michel Serrault, perdit la vie à 19 ans dans un accident de voiture. "Mais jamais personne ne parlera ouvertement de ce thème durant le tournage du film..." précise Télérama.
Enfin, la dernière scène de Mortelle randonnée, qui voit le détective courir après Catherine, poursuivit par la police et qui privilégie un suicide en voiture, est une des séquences les plus bouleversantes. Dans un ultime cri de détresse, Beauvoir appelle la jeune femme "Marie", comme sa fille, et plonge ainsi définitivement le spectateur dans un sentiment de désespoir remarquable.