"Pas de printemps pour Marnie" marque la deuxième et dernière collaboration entre Alfred Hitchcock et Tippi Hedren. Des années après, le cinéaste était revenu sur ce qui, selon lui, ne fonctionnait pas dans son film.
Pas de printemps pour Marnie, un terrifiant drame psychologique
Pas de printemps pour Marnie est peut-être l'œuvre d'Alfred Hitchcock la plus complexe à aborder aujourd'hui, car souvent mal comprise. L'histoire est celle de Marnie (Tippi Hedren), une jeune femme kleptomane qui, à chaque nouvel emploi, vole ses employeurs avant de s'enfuir. C'est cette caractéristique du personnage qui attire alors Mark Rutland (Sean Connery). Ce dernier décide de l'engager et n'attend ensuite qu'une chose, qu'elle le vole à son tour. Après quoi, l'homme obtient un contrôle sur elle puisqu'il lui offre un choix : qu'elle l'épouse ou il la dénoncera à la police.
Une fois de plus, Hitchcock nous met face à des personnages problématiques dont les agissements vont à l'encontre de la morale. Et c'est là toute la force du cinéaste qui parvient malgré cela à rendre ses récits dramatiques passionnants. On retrouve ainsi en Mark quelque chose du personnage incarné par James Stewart dans Vertigo (1959), lui aussi coupable par son désir pour une femme. Dans Pas de printemps pour Marnie, Hitchcock va encore plus loin puisqu'il met en scène le viol de Marnie par Mark juste après leur mariage. L'erreur serait de penser que le réalisateur y voit un acte romantique. Ce n'est évidemment pas le cas. Il y a ici bien plus de terreur que de romantisme.
En réalité, avec ce film, Hitchcock met le spectateur face à des personnages névrosés. Il n'y a pas de véritable héros, puisque même "l'héroïne" est une voleuse. Par contre, tout prend sens dès lors où Hitchcock fait basculer le long-métrage dans un autre genre. Non plus le thriller classique, mais le drame psychologique. Il fait en effet de sa seconde partie une psychanalyse de Marnie en revenant sur son passé.
Les regrets d'Alfred Hitchcock
A l'origine, Hitchcock aimait de cette histoire (inspirée du roman de Winston Graham) "l'idée de montrer un amour fétichiste", comme il l'évoque dans ses conversations avec François Truffaut. Le fétichisme de Mark pour les voleuses. Cependant, entre ses intentions et le résultat final, tout n'a pas pu se faire comme le souhaitait le cinéaste. Sur plusieurs éléments, il gardait de véritables regrets, à commencer par cette représentation du fétichisme.
Malheureusement, cet amour fétichiste n'a pas été aussi bien rendu sur l'écran que celui de Jimmy Stewart pour Kim Novak dans Vertigo. Pour parler crûment, il aurait fallu montrer Sean Connery surprenant la voleuse devant le coffre-fort et ayant envie de lui sauter dessus et de la violer.
Hitchcock avait également imaginé utiliser le procéder du monologue intérieur, comme pour son film Meurtre (1930). Grâce à cela, il aurait fait entendre au spectateur le souhait du personnage de Mark de pour prendre sur le fait Marnie, pour pouvoir la posséder.
J'aurais obtenu un double suspense. Nous aurions toujours filmé Marnie du point de vue de Mark et nous aurions montré sa satisfaction lorsqu'il voit la fille commettre son vol. (...) Ensuite il aurait suivi Marnie la voleuse, l'aurait attrapée en feignant d'avoir retrouvé sa trace et il se serait emparé d'elle en jouant l'homme outragé. Mais on ne peut pas réellement représenter ces choses sur l'écran, parce que le public les refuserait, il dirait : Ah non, pas ça !
Sean Connery peu convaincant, Tippi Hedren harcelée
Autre problème avec Pas de printemps pour Marnie, l'obligation pour Alfred Hitchcock de faire tenir son récit dans un temps limité. Si François Truffaut estimait que le film aurait été mieux équilibré s'il avait duré trois heures, Hitchcock avait justement révélé avoir été obligé de simplifier tout ce qui concernait la psychanalyse. Et cela se ressent, pour lui, sur les personnages secondaires.
Ce que je déteste réellement dans Marnie, ce sont les personnages secondaires. (...) J'avais l'impression que je ne connaissais pas ces gens, ces personnages.
Enfin, le casting du film n'a pas été épargné. Déjà Sean Connery, qui d'après le cinéaste n'était pas assez élégant pour jouer de manière convaincante "un gentilhomme de Philadelphie". Concernant Tippi Hedren, la situation est plus compliquée. Car, à l'origine, Hitchcock avait tenté de faire de Pas de printemps pour Marnie le comeback de Grace Kelly - alors princesse de Monaco. Mais il semblerait que l'idée de la faire incarner une voleuse n'ait pas fortement plu du côté de la principauté.
Le projet Pas de printemps pour Marnie a donc été mis en pause et Hitchcock s'est attaqué au film Les Oiseaux (1963). C'est pour ce film qu'il rencontra Tippi Hedren et lui fit vivre un véritable cauchemar sur le tournage. Ce qui ne les empêcha pas de collaborer ensemble une seconde fois. Cependant, d'après l'actrice (dans son autobiographie Tippi, A Memoir), le cinéaste se serait montré de plus en plus obsédé par elle et lui aurait fait des avances qu'elle repoussa, avant que cela ne vire au harcèlement sexuel. L'ambiance sur le plateau aurait ensuite été épouvantable. Et Hitchcock aurait menacé de ruiner la carrière de l'actrice, avant de se détacher de son propre film en fin de tournage.