Fin des années 1950, le monde du cinéma a déjà remarqué le charme et la cinégénie particulière du jeune Alain Delon. Mais c'est en 1960, avec sa performance dans "Plein soleil", que l'acteur se révèle pleinement, et gagne instantanément son statut d'icône et de star internationale. "Plein soleil" est à (re)voir ce soir du 19 août sur France 3.
Sous un soleil éternel
Avec la mort d'Alain Delon survenue le 18 août 2024, c'est un acteur légendaire qui s'en va. Avec lui, dernier "monstre sacré" du cinéma français et européen du XXe siècle, c'est une page de l'histoire du cinéma "classique" qui finit de se tourner. Celle d'un cinéma d'icônes, à partir des années 1950, où l'épique se trouve autant dans les péripéties divertissantes que dans les figures renversantes de beauté glorifiées par les caméras. Plus grande star du cinéma français de l'après-guerre, Alain Delon va alors durablement incarner en Europe ce cinéma. Après les tragédies mondiales de la première moitié des années 1900, le public veut sur grand écran de la modernité, de la romance et du vertige, de la jeunesse et de la beauté.
En un seul autre terme, le public veut Alain Delon.
Mais en 1960, à 25 ans, l'acteur n'a qu'une poignée de rôles à son actif, et le public ne fait que pressentir sa différence. Alain Delon est un jeune premier, débutant prometteur comme son collègue Jean-Paul Belmondo, et s'il est populaire il le doit alors surtout à sa relation très médiatisée avec la star internationale Romy Schneider. Son sixième long-métrage, Plein soleil, trois ans seulement après ses grands débuts sur grand écran dans Quand la femme s'en mêle, sorti en 1957, va tout changer.
La naissance du style Alain Delon
L'histoire de Plein soleil est très connue. Elle est en effet celle de Tom Ripley, escroc, faussaire, tueur, et psychopathe doué d'un pouvoir de séduction supérieur. C'est Patricia Highsmith qui crée le personnage en 1955 dans son roman Monsieur Ripley, et le personnage s'impose immédiatement comme un des "méchants" de fiction les plus aboutis. Plein soleil est sa première adaptation à l'écran, réalisée par René Clément et, à quelques libertés près, est fidèle à l'oeuvre de la romancière américaine.
Tom Ripley est chargé par un milliardaire américain, M. Greenleaf, de ramener à San Francisco son fils Philippe qui passe de trop longues vacances en Italie auprès de sa maîtresse Marge. Tom entre alors dans l'intimité du couple et devient l'homme à tout faire de Philippe qui le fait participer à toutes ses aventures sans cesser de le mépriser...
Titulaire du rôle de Tom Ripley, Alain Delon fait plus que rayonner sous le soleil italien. Il irradie. Avec sa plastique unique, son regard bleu si perçant, si séducteur et si dangereux, il donne ainsi une chair brûlante et fascinante au personnage. La caméra de René Clément l'aime et n'y résiste pas, comme les personnages de Philippe Greenleaf (Maurice Ronet) et de Marge Duval (Marie Laforêt), qui ne peuvent que succomber à son charme inégalable.
Son incarnation de ce personnage à l'ambiguïté morale extrême - personnage à considérer même comme amoral - est idéale, et concourt à la "perfection" de ce thriller de René Clément. Le journaliste et critique Michel Azzopardi écrivait ainsi à son sujet lors de sa sortie, couronnée de succès :
Il est très difficile de parler d'un film aussi parfait : les épithètes les plus laudatives n'exprimant que très imparfaitement l'admiration que l'on éprouve pour ce Plein Soleil qui peut être considéré comme l’œuvre d'une équipe.
La légende se met en marche
La photographie d'Henri Decaë, la musique de Nino Rota, la mise en scène de René Clément et bien sûr les performances de son casting sont acclamées. En une seule performance, Alain Delon dévoile tout le registre qu'il explorera ensuite, celui du jeune premier "voyou", aussi beau que menaçant, détenteur d'un charme constitué d'un vice insaisissable, et donc "irréprochable". À la fois ange et démon parfaits, l'acteur devait cependant initialement incarner Philippe Greenleaf. Mais il décline l'offre et insiste : il veut jouer Tom Ripley, assurant partager avec le personnage son caractère de voyou. Comme il le répètera tout au long de sa carrière, Alain Delon ne "joue" pas ses rôles, mais les "vit". Il obtient gain de cause, et c'est alors le début de sa légende.
Devenu une star internationale avec le succès de Plein soleil, il enchaîne directement avec le tournage de Rocco et ses frères de Luchino Visconti. Il tourne ensuite en 1962 sous la direction de Michelangelo Antonioni (L'Éclipse) et joue avec son idole Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol en 1963. Cette même année, il retrouve Luchino Visconti pour un autre chef-d'oeuvre : Le Guépard, Palme d'or du Festival de Cannes. À 28 ans, Alain Delon est alors définitivement consacré, ainsi que son influence dans le cinéma mondial.