Dans nos articles "selon moi", un rédacteur de CinéSérie revient de manière très personnelle sur une œuvre de son choix. Ici, c'est la saga "John Wick" qui est analysée. Car bien qu'il s'agisse pour beaucoup d'une référence du cinéma d'action, selon moi, ces films ont justement comme principal défaut leurs séquences d'action. Explications.
John Wick, le retour musclé de Keanu Reeves
En 2014, je découvrais John Wick, une sympathique série B portée par Keanu Reeves. L'histoire suit un ancien tueur déprimé après la mort de sa femme. Avant de mourir, cette dernière lui a fait livrer un chiot pour l'aider à surmonter sa perte. Doucement, John commence à reprendre espoir. Jusqu'au moment où une bande de malfrats s'introduit chez lui, le passe à tabac, tue son chien et s'empare de sa voiture. John, très énervé, reprend donc les armes et va traquer Iosef, le chef de la bande et fils d'un boss de la mafia.
Le concept de John Wick est efficace et savoureux. Quoi de plus réjouissant que de voir cet homme en apparence lambda se révéler en tueur sanguinaire, craint par toute la pègre ? La présence de Keanu Reeves, remis au premier plan avec ce film, a aussi participé au succès de cet opus dirigé par Chad Stahelski et David Leitch. Et de ce long-métrage à "petit budget" (20 millions de dollars) est née une grande saga d'action.
Chaque film suivant a mis toujours plus en avant l'action et les cascadeurs (Chad Stahelski étant lui-même cascadeur à l'origine). À tel point que l'histoire et l'univers sont devenus secondaire, se mettant au service de ces séquences de plus en plus longues et complexes. Pour cela, la saga a été reconnue. Pourtant, l'action de John Wick est-elle vraiment si réussie ?
Comment bien filmer l'action ?
Je comprends évidemment que la saga John Wick plaise et il y a dedans des qualités évidentes (voir notre critique de John Wick 4). Il faut également mettre en avant l'approche jusqu'au-boutiste de Chad Stahelski, qui a fait le choix de filmer l'action sans artifices (voir notre gros plan). Pour cela, le réalisateur utilise principalement des plans larges, sans mouvement de caméra et avec un montage minime. Sauf que cette méthode employée par Chad Stahelski empêche justement de provoquer pour moi le plus important dans l'action : des sensations.
Pour ressentir, en tant que spectateur, la puissance des coups dans une scène d'action, le montage est déterminant. Car ces séquences nécessitent du rythme, du dynamisme. Pour offrir cette expérience sensorielle optimale. un des exemples les plus parlants et surtout populaires serait peut-être Jackie Chan.
L'exemple Jackie Chan
En plus de réaliser des cascades impressionnantes, l'acteur avait dès le début de sa carrière une vision cinématographique de l'action. Il savait comment permettre au spectateur de ressentir l'action. On peut voir dans certains de ses films des scènes qui ne sont pas sur-découpées et qui utilisent de grands angles. En cela, John Wick pourrait s'apparenter au "cinéma de Jackie Chan".
Cependant, Jackie Chan avait également cette compréhension du montage, comme en témoigne la vidéo Every Fame a Painting qui lui est consacrée (voir ci-dessous). Une analyse passionnante qui montre, entre autres, la tendance du cinéma américain à mal monter les scènes d'action. Comme en coupant trop tôt dans le montage, avant qu'un coup soit donné. Et comme expliqué à 5min28, le fait de "doubler" un même coup (c'est-à-dire de montrer le même impact sous deux angles différents) augmente la puissance visuelle.
Malheureusement la saga John Wick n'applique pas entièrement ces règles. Souvent, la caméra n'accompagne pas les coups. Et "l'absence de montage" empêche de rendre le tout dynamique. Je me suis d'autant plus rendu compte de ce défaut qu'a John Wick en observant deux influences majeures de la saga : les films The Raid et The Raid 2.
Les références The Raid et The Raid 2
Réalisé par Gareth Evans, The Raid est un film d'action indonésien sorti en 2012 dans l'anonymat (la faute notamment au piratage). Ce n'est que plus tard qu'il a acquit un statut de film culte auprès de certains. On y suit une escouade de police qui se rend dans un immeuble tenu par la mafia de Jakarta pour appréhender le chef des lieux. Mais l'unité entière est piégée, attaquée par tous les malfrats de l'immeuble.
L'intérêt premier du film, c'est la violence proposée par Gareth Evans dans des combats qui opposent des spécialistes des arts martiaux - dont Iko Uwais, révélation du film. The Raid 2, la suite, va toujours plus loin avec des scènes plus sanglantes et plus sales dans des décors variés. On assiste alors à des combats dans de la boue, en boîte de nuit, dans une rame de métro ou dans une cuisine de restaurant, à mains nues, à coup de batte de baseball, de marteaux ou de lames aiguisées.
Il y a dans l'extrait ci-dessus, la vitesse des combattants qui impressionne. Mais la mise en scène n'est pas en reste. Avec une caméra en mouvement mais qui garde une image visible pour mettre en avant la chorégraphie des combats. Le montage est également judicieux, puisqu'il accentue les sensations lorsque les coups sont donnés ou que les corps tombent au sol ou sont projeté contre un mur. Dès lors, cette longue séquence de 5 minutes monte en puissance et n'ennuie à aucun moment le spectateur.
John Wick, pas au même niveau
Chad Stahelski ne cache pas l'influence de The Raid, allant jusqu'à employer deux des combattants dans John Wick : Parabellum. Yayan Ruhian (The Raid) et Cecep Arif Rahman (The Raid 2). Tous les deux affrontent Keanu Reeves dans le troisième opus de la saga américaine. On peut alors constater la différence entre les deux séquences en matière de mise en scène et donc de sensation.
Chez John Wick, la caméra reste sur un plan large, évite d'être au plus près des corps et use de légers mouvements uniquement pour garder l'ensemble dans le cadre. On notera aussi un problème d'écriture, qui sera de plus en plus évident au fil des épisodes. Ici, à 50 secondes, on peut par exemple voir l'un des adversaires de John s'offrir une roulade inutile en plein combat. Son geste n'a aucune logique d'un point de vue scénaristique, mais sert uniquement à combler un vide, à mettre du mouvement dans le champ et à apporter un semblant d'énergie à la scène.
Enfin, se pose la question du montage. Celui-ci est primordial et d'autant plus important lorsqu'un des personnages tombe au sol. À 2min10, lorsque John Wick envoie valdinguer Yayan Ruhian, Chad Stahelski filme ce passage en plongée pour montrer cette fois l'impact. Sauf que la coupe se fait bien trop tôt et reprend sous un autre angle, avec une échelle de plan toujours aussi large, cachant par la même occasion la chute et donc la puissance du coup.
On a finalement avec cette séquence (et d'autres dans la saga), à la fois une perte de cohérence dans les gestes des antagonistes (on sent qu'ils ratent volontairement leurs coups) et seulement une impression d'action dynamique, quand en réalité tout cela reste pour moi un peu mou, en dépit d'acteurs qui se donnent.
Un constat similaire dans les fusillades
À la différence de The Raid et sa suite, la saga John Wick est davantage portée sur les fusillades. Sauf que ces scènes sont filmées de la même manière, pour mettre en avant le parcours effectué par Keanu Reeves et sa capacité à recharger rapidement ses armes. À ce niveau, il n'y a rien à dire, l'acteur est excellent. Mais la réalisation de Chad Stahelski ne parvient jamais à faire ressentir ni l'impact des balles, ni la sensation de recul des armes, et donc la puissance de l'ensemble.
Le réalisateur compense l'ennuie visuel en multipliant les opposants, les faisant entrer en nombre dans le cadre, toujours sans vraiment prêter attention à la cohérence scénaristique. Dans l'extrait ci-dessus de John Wick 2, à 1min48, on peut ainsi voir des adversaires se jeter sur John avec une arme à feu plutôt que de simplement lui tirer dessus.
En prenant tout cela en compte, John Wick n'est finalement pour moi pas une si grande saga d'action, cinématographiquement parlant. Une certaine efficacité est bien présente dans le premier opus, plus resserré. Mais c'est paradoxalement la volonté d'en faire plus dans les autres films, de rallonger la durée des séquences, qui a fait perdre à la saga en intensité. Cela n'en demeure pas moins un bel hommage rendu aux cascadeurs et aux chorégraphes. Et rien que pour ça, on peut féliciter Chad Stahelski et Keanu Reeves.