Avec "Quand vient l'automne", François Ozon livre un thriller criminel aussi retors que surprenant, mené par une formidable Hélène Vincent dans le rôle grand-mère dont la douce apparence cache un passé trouble. Ils nous racontent, ensemble, l'intention et les coulisses de cet excellent film.
François Ozon et Hélène Vincent pour un thriller mémorable
Après s'être récemment penché sur la force de la jeunesse dans Été 85 et Mon Crime, François Ozon renversa la table et confie à Hélène Vincent et Josiane Balasko deux rôles marquants dans son nouveau thriller Quand vient l'automne. Un thriller réalisé de main de maître, déjouant toutes les apparences pour conclure et contredire par une lumière tragique la douceur et le confort des premières minutes de son intrigue. Constatant que le cinéma invisibilise les femmes dans leur grand âge, le cinéaste a donc offert un rôle aussi merveilleux qu'ambigu à Hélène Vincent, magistrale dans ce rôle d'une mère et grand-mère au passé trouble.
On a rencontré François Ozon et Hélène Vincent, qui nous ont ouvert les coulisses de cet excellent thriller et un des tout meilleurs films de l'année.
François Ozon, vous avez auparavant souvent filmé la jeunesse, qu'est-ce qui a vous a porté à Quand vient l'automne, une histoire et une intrigue menées par un personnage âgé ?
François Ozon : J'avais envie de faire un film sur des personnes âgées. Des femmes de 70, 80 ans, parce que je trouve qu'elles sont souvent invisibilisées dans le cinéma français et mondial, même si en France un peu moins peut-être. Je voulais filmer des femmes de leur âge et qui assument cet âge, montrer la beauté des rides, la beauté de leur corps.
J'ai tout de suite pensé à Hélène Vincent et Josiane Balasko parce que ce sont des actrices que j'aime beaucoup, avec qui j'avais déjà travaillé dans Grâce à Dieu. Elles y jouaient déjà des rôles de mère, mais dans des rôles plus secondaires. Là je voulais qu'elle soient au centre du film et je leur ai très vite proposé cette histoire. Dans Grâce à Dieu elles n'avaient pas de scènes ensemble donc je ne savais pas comment ça allait se passer entre elles. Il y a une vraie relation, faite de solidarité, de sororité entre ces deux personnages, et il fallait que l'alchimie se fasse. Dès les premiers essais costumes que j'ai faits, j'ai senti que ça marchait, que ce "couple" allait exister vraiment.
Hélène Vincent, comment avez-vous la proposition de François Ozon ?
Hélène Vincent : C'est un cadeau, un cadeau absolument merveilleux. Je n'en croyais pas mes yeux quand François m'a envoyé le scénario. Que ça m'arrive à moi, comme ça, là. Je crois qu'on s'est très vite compris, sans se raconter des milliers de choses. L'osmose s'est faite vite. C'était simple, évident.
Comment définiriez-vous Michelle, votre personnage ?
Hélène Vincent : Michelle est une femme qui a la vie chevillée au corps. Que la vie soit dure, méchante, tendre ou exaltante, je crois qu'elle prend tout et qu'elle a tout pris.
Je crois qu'elle a fait face, qu'elle s'est accrochée et n'a jamais "jeté le torchon". Elle lutte, jusqu'au bout, et elle n'est pas aigrie, elle n'est pas dans l'amertume. Elle est, jusqu'au bout, dans le désir. Et ça c'est magnifique.
La relation entre Michelle et sa fille Valérie est fascinante, faite de non-dits et de rancoeurs. Il y a une opposition a priori simple de caractères, avant que les choses deviennent plus complexes...
François Ozon : Je pense que le personnage que joue Ludivine... Au premier abord elle est plutôt antipathique, elle n'est pas très aimable. Parce qu'elle a beaucoup de reproches, beaucoup d'amertume contre sa mère. Mais nous, spectateurs, on ne sait pas pourquoi. Plus le film avance, plus on découvre des choses sur Michelle, sur sa meilleure amie... Plus le film avance, plus on comprend les raisons de chaque personnage.
Mais il est certain que je voulais qu'au début le personnage de la fille apparaisse très violent avec sa mère, et qu'on comprenne presque pourquoi alors la mère en voudrait à sa fille. Qu'un vrai conflit soit là. Larvé, mais présent. Et qu'ainsi le spectateur prenne d'abord le parti de Michelle avant que, le film évoluant, les points de vue évoluent aussi et changent.
Le personnage incarné par Pierre Lottin, d'abord en retrait dans Quand vient l'automne, prend ensuite de l'importance et une place centrale dans le film. Qu'attendiez-vous que cet acteur apporte à votre histoire ?
François Ozon : Ce que j'aime chez Pierre, c'est que c'est quelqu'un qui attire des choses opposées. Il a à la fois un très grand charisme, il est très beau et très photogénique, et en même temps il y a un danger. On sent qu'il y a une nervosité, une violence potentielle. Je me disais que si j'arrivais à montrer ça dans le film, le spectateur serait à la fois attiré et effrayé par ce personnage.
Hélène Vincent : J'ajouterais qu'il a une douleur aussi, une très grande douleur.
François Ozon : C'est très vrai.
Aviez-vous en tête, au moment de confier le rôle à Hélène Vincent, son image très connue du public, celle de son personnage dans La vie est un long fleuve tranquille ?
François Ozon : Je ne l'ai pas prise parce qu'elle a fait ce film, que j'ai vu il y a très longtemps et beaucoup de temps est passé depuis. Et puis Hélène n'est pas du tout ce personnage-là. Je pense que sa carrière a explosé avec ce film, mais a été aussi contrainte par lui, qui a été un tel succès, et que ça l'a enfermée...
Hélène Vincent : Oui tout à fait, après il fallait reproduire la même chose. En moins bien. La plupart du temps, les scénarios étaient beaucoup moins bien. Ça m'a mis un petit peu en colère ! Mais je ne suis pas rancunière.
Mais étant donné que c'est un rôle iconique, très populaire, n'est-ce pas là l'opportunité d'un contrepoint, avec l'occasion de déjouer peut-être les attentes du public ?
François Ozon : Je crois que les gens surinterprètent ce que je veux faire ! (rires). C'est beaucoup plus simple, je voulais raconter cette histoire et faire le portrait de cette "mamie gâteau" qui en apparence est parfaite et à qui on donnerait le bon dieu sans confession. Et, comme dans un livre de Simenon, découvrir que cette femme est beaucoup plus complexe, qu'elle a un passé... On a tendance à idéaliser les personnes âgées, on s'imagine que ce sont des saints, des gens merveilleux.
Alors voilà, on a idéalisé l'abbé Pierre, et on se rend compte aujourd'hui que ce n'est pas un saint. Ça m'amusait de jouer sur les apparences, et que derrière les choses soient plus ambigües et complexes.
Hélène Vincent : Quand on enlève cette ambigüité aux personnes âgées, on les met à mort, tout simplement. Parce que la vie est ambigüe, tout le temps. Si on enlève ça, il reste quoi ? Des images, des clichés. Ce qui franchement n'a aucun intérêt.
Retenez-vous une scène en particulier de Quand vient l'automne, un moment du tournage qui vous serait précieux ?
François Ozon : Ce qui est très beau, pour moi, au moment du tournage, c'est de voir les acteurs incarner mes personnages et y apporter une profondeur supplémentaire. Par exemple, la scène entre Michelle et la commissaire, incarnée par Sophie Guillemin, c'est une scène sur le papier qui est assez "carré", c'est une scène informative. Et j'ai beaucoup aimé le travail d'Hélène et Sophie parce qu'elles ont amené une profondeur qu'il n'y avait pas sur le papier. Dans leurs regards, leurs sourires, leur manière de dire les choses, le rythme de la scène, j'ai senti que cette scène serait très forte.
Hélène Vincent : On assiste à une vraie rencontre. Ce n'est pas qu'une commissaire et quelqu'un qu'elle interroge, c'est deux femmes. Et il y a une vraie rencontre, quelque chose qui prend, et de manière très surprenante. C'était inattendu dans une séquence comme ça.