Joan Fontaine se retrouve enfermée dans une immense et froide demeure dans "Rebecca", où un fantôme invisible semble la hanter. Un drame romantique dans lequel Alfred Hitchcock multiplie les mouvements de caméra et les astuces de mise en scène. Un peu trop à son goût...
Rebecca : l'invisible fantôme
Après La Taverne de la Jamaïque, Alfred Hitchcock adapte un autre roman de Daphne du Maurier en 1940 avec Rebecca, son premier film américain. Un drame romantique empli de mystère qui débute à Monte-Carlo. Dame de compagnie de l'insupportable Edythe Van Hopper (Florence Bates), l'héroïne (Joan Fontaine) croise un jour Maxim de Winter (Laurence Olivier) et hurle de peur alors qu'il semble sur le point de se jeter d'une falaise.
La jeune femme et le riche veuf se rapprochent. Au moment où elle s'apprête à quitter la Côte d'Azur pour New York, Maxim lui fait sa demande en mariage et lui propose de le suivre dans son immense propriété de Manderley, dans les Cornouailles. À son arrivée, l'héroïne est froidement accueillie par la gouvernante Mrs. Danvers (Judith Anderson), qui était très attachée à la précédente Mrs. de Winter, Rebecca.
Devant succéder à une femme réputée pour son élégance et assumer une condition sociale qui n'est pas la sienne, la jeune mariée ne trouve pas ses repères dans la gigantesque maison. Un jour, elle aperçoit une ombre à la fenêtre de l'aile ouest de la demeure, inoccupée depuis la mort de Rebecca...
Le regret d'Alfred Hitchcock
Alfred Hitchcock brouille la frontière entre illusion et réalité dans ce long-métrage passionnant, où l'héroïne est hantée par une ombre invisible. Contrairement à Rebecca, le personnage incarné par Joan Fontaine n'est jamais nommé et devient simplement la "nouvelle" Mrs. de Winter, ce qui renforce son sentiment de n'être que l'usurpatrice d'une identité qu'elle ne mérite pas, poursuivie par un fantôme qui n'existe pas et ne pouvant compter sur le soutien d'un époux fuyant, jusqu'aux révélations finales.
Pour renforcer l'impression d'errance de la protagoniste, le réalisateur multiplie les travellings dans Manderley, propriété qu'il décrit comme un personnage à part entière. Une utilisation du procédé qu'il juge excessive au cours d'un entretien avec le cinéaste Peter Bogdanovich (édité chez Capricci), regrettant de ne pas s'être focalisé davantage sur Joan Fontaine, Laurence Olivier et Judith Anderson.
Lorsque son interlocuteur lui demande s'il a "expérimenté le travelling comme une alternative au montage", Alfred Hitchcock répond :
Oui, en quelque sorte. Mais uniquement parce que le décor était cette grande maison. Je ne pense pas que j'ai eu raison cela dit, parce qu'il vaut mieux faire en sorte de diriger le regard vers les personnages. On ne devrait pas se rendre compte d'un mouvement de caméra, à moins que le mouvement de caméra ne serve un but précis.
Une héroïne enfermée dans un lieu glacial
Les travellings permettent quoi qu'il en soit d'isoler Mrs. de Winter dans un lieu immense, inconnu et inquiétant. Il ne s'agit d'ailleurs pas de la seule technique employée par le réalisateur pour rendre Manderley vivante :
Je me rappelle avoir usé d'une astuce pour souligner (que la maison est un personnage). Joan Fontaine est dans une pièce fermée, et pourtant elle a froid. J'ai donc installé un ventilateur sur le plateau et, bien que toutes les fenêtres soient fermées et qu'il n'y ait aucune raison pour qu'il y ait des courants d'air, j'ai fait souffler un peu d'air dans ses cheveux, car il me semblait que c'était la meilleure manière de montrer qu'elle avait froid. Là encore, il s'agissait de privilégier l'aspect visuel.