Avec "Empire of Light", Sam Mendes revient au drame après "American Beauty" et "Les Noces rebelles". Pour la sortie de cette poignante histoire d'amour portée par les excellents Olivia Colman et Micheal Ward, nous avons rencontré le cinéaste.
Empire of Light : une sublime histoire d'amour
En 1981, dans la petite ville côtière de Margate, dans le Kent, Hilary (Olivia Colman) est la responsable d'un cinéma constitué de deux salles, qui dissimule sa tristesse et son mal-être derrière sa douceur. L'arrivée de Stephen (Micheal Ward) au sein de son équipe la chamboule. Ils débutent une histoire d'amour poignante, rongée par la maladie et le racisme (découvrez notre critique ici). Pour la sortie d'Empire of Light, nous avons échangé avec le réalisateur Sam Mendes. L'occasion d'évoquer son rapport au cinéma à l'époque où se déroule le drame, ainsi que son envie d'évoquer la bipolarité sans l'expliquer.
Rencontre avec Sam Mendes
Après les deux opus de James Bond et 1917, vous vouliez revenir à une atmosphère plus calme ?
Sam Mendes : Correct ! (rires) Je voulais me concentrer sur un seul lieu, un endroit petit, avec un petit groupe d'acteurs. Je ne l'ai pas fait uniquement pour ça mais j'ai toujours alterné entre des gros et des petits projets durant ma carrière, en essayant de trouver un équilibre. Des fois, vous avez juste besoin de ce que Steven Soderbergh appelle des "films de purification", qui vous permettent de faire quelque chose qui change, qui évoquent quelque chose de plus personnel et se font à plus petite échelle.
La bipolarité, ou maniaco-dépression, est une maladie encore souvent incomprise aujourd'hui. Si l'on connaît les symptômes, on comprend qu'Hilary en souffre mais la maladie n'est jamais nommée dans le film. Pourquoi ?
Sam Mendes : C'est une très bonne question, très joliment formulée. Eh bien, elle ne portait pas encore ce nom dans les années 1980. On ne parlait pas de bipolarité. Ils utilisaient des termes génériques comme "dépression nerveuse", ou "schizophrénie". Le personnage de Colin Firth la qualifie de schizophrène. Je me suis dit que c'était suffisamment clair et je voulais utiliser la maladie comme un ressort dramatique, je ne voulais pas l'expliquer. Je voulais en saisir l'étrangeté. Par exemple, quand ils viennent chercher Hilary pour l'emmener à l'hôpital, elle se bat de tout son corps pour ne pas y aller mais pourtant, elle a déjà préparé sa valise, parce qu'elle sait qu'elle va devoir aller à l'hôpital.
Ce niveau de déni, les cycles de la bipolarité que représentent le traitement médical, le fait d'arrêter le traitement, les énormes montées d'euphorie, l'épuisement, l'effondrement, l'hospitalisation, le traitement qui recommence... Je voulais transformer tout ça en ressorts dramatiques plutôt que d'en parler.
Le film est une ode au cinéma. Vous étiez adolescent à l'époque où le film se déroule. Que représentait le cinéma pour vous à cette époque ?
Sam Mendes : Une échappatoire. Un moyen d'échapper de ma vie qui était compliquée et solitaire. Des histoires que j'ai toujours adorées. Et puis un événement. Parfois, c'était juste un endroit où aller et où se plonger dans l'obscurité, où se réchauffer, avoir de quoi manger et découvrir une histoire. Qu'est-ce qu'il y a de mieux que ça ? (rires) Vous pouviez faire ça et vous n'aviez qu'à payer deux livres, où peu importe combien c'était, 1,5 livre. C'était vraiment rentable. Je dépensais mon argent de poche là-dedans. C'était l'endroit évident où aller. Et bien sûr, à cette époque, on l'oublie aujourd'hui, mais le seul moyen de voir des films était d'aller au cinéma. Il n'y avait pas de vidéo, pas de smartphone, pas de service de streaming. Donc ça me paraissait être la seule destination logique si j'avais du temps libre.
Pourquoi avoir choisi le film Bienvenue, Mister Chance, qu'Hilary découvre au cinéma ?
Sam Mendes : Premièrement, il fallait que ce soit un film qui puisse être projeté en 1981. Deuxièmement, il fallait qu'il ait un lien avec l'histoire d'Hilary. Je me suis dit que le fait qu'elle découvre un film sur un personnage brisé mais qui trouve toujours un moyen d'avoir sa place dans ce monde était très important. Et puis, c'est un chef-d'oeuvre ! (rires) Et c'est un film que j'adore. J'ai pensé que si je devais avoir un film dans mon film, il fallait que les spectateurs puissent se dire : "C'est intéressant, je vais aller regarder ça". Les films dialoguent entre eux et on veut que les gens y reviennent. Dans Jarhead, les soldats regardent Apocalypse Now, et je suis fier d'avoir Apocalypse Now et Bienvenue, Mister Chance dans mes films.
Dans American Beauty, Les Sentiers de la perdition et Les Noces rebelles, on a l'impression que vos personnages sont écrasés par leur destin. Cela ne semble pas être le cas ici. Vous vouliez leur offrir une meilleure porte de sortie ?
Sam Mendes : Je voulais qu'on sente de l'espoir, oui. Peut-être que c'est une illusion de ma part, mais je voulais donner le sentiment que l'on peut toujours recommencer, repartir à zéro. Ce sont les derniers mots du film, tirés d'un poème de Philip Larkin. C'est une idée en laquelle je crois énormément.
Empire of Light est à découvrir au cinéma dès le 1er mars 2023.