Leonardo DiCaprio incarne un policier dont la santé mentale vacille dans "Shutter Island". Un thriller dont le tournage s’est avéré éprouvant pour Martin Scorsese, qui traite à travers le film de thématiques douloureuses qu’il ne connaît que trop bien.
Shutter Island : l’île mystérieuse
Après la rencontre sur Gangs of New York, puis la confirmation avec Aviator et Les Infiltrés, Martin Scorsese et Leonardo DiCaprio se retrouvent sur Shutter Island. Adaptation de l’ouvrage éponyme de Dennis Lehane, ce thriller sorti en 2010 débute sur un ferry au large de Boston.
Les marshals Teddy Daniels (Leonardo DiCaprio) et Chuck Aule (Mark Ruffalo) se rendent dans un hôpital psychiatrique isolé sur une île afin d’enquêter sur la disparition d’une patiente, Rachel Solando. Dès son arrivée, Teddy est envahi par des souvenirs macabres de la Seconde Guerre mondiale et de l’horreur du camp de Dachau. Il est également victime d’hallucinations et croit voir sa femme décédée, Dolores (Michelle Williams).
Luttant contre ses traumatismes et contre de violents maux de tête, le policier ne tarde pas à révéler la véritable raison de sa venue à son partenaire : retrouver Andrew Laeddis (Elias Koteas), pyromane responsable de la mort de sa femme. Alors que ses migraines s’intensifient, il se met à douter des intentions du personnel mené par le docteur John Crawley (Ben Kingsley) et de la véritable nature de cet établissement duquel il ne peut s’échapper.
Max von Sydow, Emily Mortimer, Patricia Clarkson, Ted Levine, Jackie Earle Haley et John Carroll Lynch complètent le prestigieux casting de Shutter Island. Un film à l’ambiance anxiogène et lugubre avec lequel Martin Scorsese aborde la paranoïa, le glissement vers la folie, l’enfermement et la culpabilité, des thématiques récurrentes de son cinéma déjà étudiées dans Taxi Driver, Raging Bull, La Valse des pantins, After Hours ou encore À tombeau ouvert.
Un tournage douloureux pour Martin Scorsese
Lors de sa sortie, Shutter Island s’impose comme une réussite critique et commerciale. Récoltant plus de 294,8 millions de dollars au box-office mondial, le long-métrage devient alors le plus gros succès de la carrière de Martin Scorsese, détrôné depuis par Le Loup de Wall Street et ses 392 millions de dollars de recettes.
Un carton dont le réalisateur ne peut hélas pas pleinement profiter, profondément marqué par le tournage éprouvant de son film. Dans l’ouvrage Scorsese par Scorsese de Michael Henry Wilson paru en 2011 et cité dans la biographie Martin Scorsese – L’Infiltré de Régis Dubois, le cinéaste raconte ainsi :
Le projet tout entier a été une expérience étrangement traumatisante. (…) C’était comme un tourbillon qui m’aspirait chaque jour un peu plus, un vortex de douleur. Les acteurs étaient parfaits, tout le monde faisait de son mieux, mais travailler jour après jour dans cet asile abandonné est devenu très perturbant. Et quand je suis rentré du tournage, j’ai eu l’impression de me trouver dans une impasse émotionnelle ou psychologique. Cela m’a même affecté physiquement. Je ne pouvais pas sortir de ma chambre le matin : je ne pouvais pas passer la porte. Mon cœur battait trop vite. C’était une forme inédite de dépression qui a duré environ trois mois.
La griffe du passé
Si Martin Scorsese vit aussi mal la production de Shutter Island, c’est parce qu’elle le ramène à certaines périodes compliquées de sa vie. Des années plus tôt, à la fin des années 70 et au début des années 80, le réalisateur sombre dans la paranoïa. Une paranoïa venant selon lui du New York marqué par la pauvreté et la criminalité où il grandit. Interrogé par Richard Schickel, le cinéaste explique à ce sujet :
Je n’ai jamais pris de drogues hallucinogènes, mais il est arrivé plus d’une fois dans les années 70, d’être absolument convaincu de percevoir quelque chose qui, n’était pas là. Le phénomène a atteint son comble pendant Raging Bull. Je veux parler de ma paranoïa. (…) Je pense qu’une part de ma paranoïa provenait de l’univers où j’ai grandi.
Ancien enfant asthmatique condamné à passer la plupart de son temps chez lui en raison de ses crises, Martin Scorsese poursuit à propos des notions d’enfermement et de claustrophobie évoquées dans Shutter Island :
Enfant, quand je regardais par la fenêtre le matin, la lumière était parfois superbe, mais il arrivait aussi qu’elle soit terne et crasseuse. Je découvrais la vie à travers l’escalier de secours. Autrement dit, ce que les gens considèrent comme des images sombres correspond à l’ambiance dans laquelle j’ai grandi. C’était ma réalité.