Avec "Sorry We Missed You", Ken Loach plonge le spectateur dans le quotidien éreintant et précaire d'un chauffeur livreur. Lors de sa phase de recherche, le scénariste Paul Laverty s'est vu refuser de nombreux témoignages de travailleurs indépendants, qui craignaient de perdre leur emploi.
Sorry We Missed You : une course permanente
Trois ans après avoir obtenu la Palme d'or pour Moi, Daniel Blake, Ken Loach s'intéresse de nouveau à des individus broyés par le système. Avec Sorry We Missed You, le cinéaste britannique s'attaque à l'uberisation et la précarité de certains travailleurs indépendants. Lorsqu'il obtient un poste de chauffeur livreur à Newcastle, Ricky (Kris Hitchen) pense avoir décroché une opportunité idéale pour remédier à ses problèmes d'argent et devenir enfin propriétaire avec sa femme Abby (Debbie Honeywood) de la demeure où ils vivent avec leurs deux enfants.
Son supérieur lui vend des conditions idylliques : en plus d'avoir sa propre camionnette, il ne travaille pas pour une entreprise mais avec elle. Plus il parvient à enchaîner les courses de manière rapide et donc à satisfaire les clients, plus son salaire augmente. Très vite, Ricky découvre la réalité derrière le discours. En plus de ne pas compter ses heures et de devoir faire face à une pression éreintante pour augmenter sans cesse sa rentabilité, il comprend qu'il ne pourra pas s'extraire du gouffre financier.
C'est en préparant Moi, Daniel Blake que Ken Loach s'aperçoit du nombre croissant de travailleurs indépendants, régulièrement exploités pour du salariat déguisé. Dans le dossier de presse du film, le réalisateur explique :
C’est une nouvelle forme d’exploitation. Cette économie des petits boulots, comme on l’appelle, (...) et la main-d’oeuvre précaire n’ont cessé d’être au coeur de mes discussions quotidiennes avec Paul Laverty.
Des employés sous pression
Durant l'écriture de Sorry We Missed You, Paul Laverty a beaucoup plus de mal à récolter des témoignages que pour Moi, Daniel Blake. De nombreux chauffeurs ne souhaitent pas s'exprimer, craignant de perdre leur emploi. Lors d'un entretien accordé à The Moveable Fest, le scénariste déclare :
C'était beaucoup plus difficile parce que les chauffeurs sont très vulnérables. Il peuvent se faire virer. (...) C'était tellement difficile d'entrer en contact avec eux que j'avais pris l'habitude d'aller dans leur parking et je parlais aux chauffeurs qui commençaient ou terminaient leur tournée. J'ai convaincu plusieurs d'entre eux de me laisser venir travailler avec eux, mais nous nous sommes organisés de manière à ne pas les mettre en danger. (...) J'ai pu me rendre compte de l'incessante pression du scanner, du fait de devoir livrer en panne, de ne pas avoir le temps de manger de vrais repas, (...) de leurs visages après 12 heures de travail. C'est vraiment en passant du temps avec eux et en les écoutant que je me suis rendu compte que c'est un travail avec énormément de pression.
Paul Laverty s'inspire évidemment de certaines situations réelles pour le film, à l'image de celle d'un livreur devant aller travailler avec le pied cassé parce qu'il se serait fait renvoyer étant donné qu'il n'avait pas trouvé de remplaçant. L'auteur a également vent d'histoires tragiques d'autoentrepreneurs qui ont mis leur santé en péril à cause de leur job. Ne pouvant se rendre chez le médecin en raison de son emploi du temps, l'un d'eux est décédé à l'âge de 32 ans à cause de complications dues au diabète. Des récits qui ne font que souligner la pertinence de Sorry We Missed You.