On revient sur le film danois "Speak No Evil", drame d'épouvante unique en son genre, dont la fin totalement immorale est infiniment traumatisante. Attention, SPOILERS.
Un drame horrifique perturbant
En septembre 2024 est sorti le film Speak No Evil, drame horrifique porté par James McAvoy et remake du film danois du même nom, sorti en 2022. Aussi effrayant qu'amusant, le Speak No Evil version américaine raconte la même histoire que le film danois : une famille passe un week-end chez leurs nouveaux amis, week-end qui se transforme vite en cauchemar quand ces nouveaux amis se révèlent très mal intentionnés... La confrontation entre les deux familles culmine dans un climax final où les invités échappent au sort que leur réservaient leurs "amis".
Mais dans la version danoise, la version originale, la fin est bien différente. Et si on peut parler de happy end pour le film américain, la fin du Speak No Evil danois dépasse dans l'épouvante tout ce qu'on peut sainement imaginer et laisse un effet traumatique très durable.
Dans Speak No Evil, un couple rongé par la monotonie et le manque de confiance rencontre lors de leurs vacances italiennes, avec leur fille Agnes, un autre couple. Cet autre couple a un garçon, Abel, touché par une malformation buccale qui l'empêche de parler distinctement. Ce couple, à la différence du couple "principal" du film, apparaît épanoui, enjoué, très sympathique et chaleureux. Quelques temps après leur rencontre, ce couple sympathique invite l'autre couple et leur fille à passer un week-end chez eux (en Angleterre dans la version US, aux Pays-Bas dans la version danoise).
Un week-end pas si sympathique (SPOILERS)
Une fois arrivés à leur destination, le couple invité va se rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond chez leurs hôtes. Sympathiques durant leurs vacances, ces nouveaux amis se montrent alors plus conflictuels, parfois agressifs, et très durs avec leur jeune garçon. Gêné, stressé et mal à l'aise, le couple invité fait à plusieurs reprises mine de partir mais, indécis, retarde sans cesse son départ.
En réalité, les hôtes de ce terrible week-end ont un plan machiavélique : inviter le couple et leur fille, tuer les parents et garder la fille à qui ils vont couper la langue. On comprend alors que ce couple constitué de deux psychopathes a un modus operandi diabolique : inviter un couple avec un jeune enfant chez eux, tuer les parents et remplacer leur enfant - déjà l'enfant d'un précédent couple - par le leur... Tout en lui coupant la langue et en le séquestrant afin qu'il ou elle ne s'échappe pas et ne raconte rien.
Dans la version américaine, le couple invité réalise le piège, parvient à tuer ses agresseurs et s'échappe sain et sauf, sauvant même le jeune garçon mutilé et séquestré. Dans le film original, réalisé par Christian Tafdrup, c'est tout l'inverse...
"Parce que vous nous laissez faire"
La fin du Speak No Evil 2022 est effroyable, puisque ce sont les méchants qui gagnent, et qui gagnent complètement. Dans ce film, Bjørn et Louise, le couple invité, réalise trop tard qu'ils sont menacés. Ils s'échappent, mais embourbent leur voiture dans un chemin de terre. À ce moment, Patrick arrive et sous prétexte de les aider les fait prisonniers. Là, il coupe la langue de leur fille. Il conduit ensuite ls parents dans une ancienne carrière où, avec sa compagne Karin, après avoir noyé le garçon qu'ils faisaient passer pour leur fils, ils ordonnent à Bjørn et Louise de se déshabiller. Ceux-là s'exécutent. Patrick et Karin, qui les surplombent, s'emparent alors de pierres et les lapident, jusqu'à la mort.
On retrouve un peu plus tard Patrick et Karin, sur une route de vacances, avec la fille de Bjørn et Louise à l'arrière de leur voiture. Prêts à recommencer leur terrible crime...
La fin de ce Speak No Evil est traumatisante à double titre. D'abord, parce que sont les criminels qui arrivent à leurs fins, indemnes, et ne sont pas inquiétés. Soit une décision totalement immorale dans la tradition de la fiction. Cette fin est terrible parce que tous les "bons" personnages sont tués ou vont l'être, et d'une manière très marquante.
Ensuite, traumatisante parce que ce n'est pas tant l'effort de Patrick et Karin à tuer qu'on retient. En effet, ceux-là semblent agir au minimum, laissant Bjørn et Louise par leur indécision refermer le piège sur eux-mêmes. C'est-à-dire qu'on n'assiste pas tant à l'action de Patrick et Karin qu'à l'inaction de Bjørn et Louise pour se protéger.
Cette intention est explicitement par une ligne de dialogue de Patrick. En effet, quand Bjørn lui demande pourquoi ils leur font ça, Patrick lui répond, laconique : "Parce que vous nous laissez faire."
Speak No Evil, quand la faute est celle des "hommes de bien"
En plus de la mise en scène sombre et réaliste de Speak No Evil, de sa tension délivrée graduellement et de son malaise implacable et grandissant, c'est cette idée fondamentale qui est tournée en épouvante totale. D'une certaine manière, si Christian Tafdrup, veut exprimer quelque chose, c'est le sens de la citation attribuée au philosophe anglais John Stuart Mill :
La seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des hommes de bien.
Ainsi, la faute n'est pas portée sur le couple d'assassins mais bien sur le couple de victimes. Et c'est ce qui rend la fin de Speak No Evil si inoubliable et si profondément traumatisante.