Schéma narratif super-héroïque, humour cynique à foison… "Star Wars VIII : Les derniers Jedi" ne serait-il en réalité qu’une simple alternative aux Avengers ?
Nanar nostalgique pour les uns (une minorité), chef d’œuvre disruptif pour les autres… Force est de soulever que Star Wars VIII : Les derniers Jedi ne laisse aucun spectateur indifférent, qu’il soit fan absolu de la saga lucasienne ou totalement néophyte. Il se trouve qu’à la rédaction, on a plutôt bien aimé le film chapeauté par Rian Johnson, malgré ses quelques défauts (qu’on a d’ailleurs énumérés ici).
Et s’il ne s’agit pas de faire une énième critique, néanmoins, un certain aspect du long-métrage ne nous a pas échappé… au point de nous déranger quelque peu. Avions-nous bien devant nos yeux un nouveau chapitre de la guerre des étoiles ? Ou un énième film Marvel ? La question peut sembler rhétorique et pourtant. Depuis le rachat de la licence par Disney, elle se veut plus légitime que jamais. Et le schéma de cet épisode 8 n’est pas pour nous donner tort. Explications, avec nombre de divulgâchis à la clef. Ne dites pas qu’on ne vous aura pas prévenu.
Un schéma narratif vieux comme le monde
Qu’est ce qui fait la sève d’un film Marvel depuis 2008, soit l’année coup d’envoi du "Marvel Cinematic Universe " avec Iron Man premier du nom ? D’abord un schéma narratif, vieux comme le monde, usé jusqu’à la corde mais qui a fait ses preuves. Divisé en trois actes, le premier se contente de faire une exposition sommaire des faits, personnages et enjeux. S’ensuit un élément perturbateur, qui enclenche le second acte bourré de péripéties où nos héros grandissent, ressortant plus mâtures des épreuves rencontrées. Ouvrant la voie à un ultime acte, celui de la résolution.
Certes, tous les blockbusters contemporains s’inspirent de cette recette, avec parfois quelques variantes (la saga Alien s’offre toujours un quatrième acte). Mais aucun ne sait l’appliquer avec autant de maestria qu’un film marvelien. Autant dire que si Rian Johnson pense s’être émancipé de son costume de "yesman" pour jouer les trublions créatifs, c’est plutôt loupé.
La Force comme un super-pouvoir
Illustration à l’appui, avec un bref comparatif entre Les derniers Jedi et l’un des derniers poulains de l’écurie Marvel/Disney, Spider-Man : Homecoming. Rey, comme Spidey, découvre tout juste ses pouvoirs à force d’entraînements et n’a qu’une envie : les utiliser pour aider sa nouvelle bande d’amis, les rebelles/les Avengers. Problème, le mentor, Luke/Tony Stark, voit cette entreprise d’un mauvais œil. Il faudrait attendre une menace mortelle pour que ce dernier lui donne toute son approbation…
Notons d’ailleurs que si la Force est réexpliquée par Luke, celle-ci est utilisée à tire-larigot comme un super-pouvoir vulgarisé qu’absolument tous les personnages semblent maîtriser, de Rey à Kylo Ren en passant par Finn (dans Le Réveil de la force) ! Seul Chewbacca et BB-8, vilains petits canards semblent en être exemptés (quoi que ?).
Bref, on s’éloigne, mais pour revenir à la mécanique exposée, il est encore une fois bien évident que celle-ci est propre à bien des œuvres initiatique et populaires – sans doute avez-vous même déjà fait un autre parallélisme, avec Harry Potter, pour n’en citer qu’un exemple. Mais l’analogie entre un film de la maison des idées et Star Wars VIII ne s’arrête pas là. Autre héritage purement marvelien : l’humour cynique, comme omniprésent. Un détail pour vous mais qui, pour nous, veut dire beaucoup.
Plus rien n’a d’importance
Si la saga Star Wars n’a jamais manqué d’humour (particulièrement potache dans la prélogie, au plus grand malheur des puristes), jamais un épisode n’aura sciemment autant donné dans le calembour. On évitera d’ailleurs d’évoquer les passages involontairement drôles, comme celui où Leia se la joue Mary Poppins dans l’espace (mais pourquoi Rian, pourquoi ?). Dès les toutes premières scènes, un changement de ton, délaissant le soapesque et le belliqueux pour la facétie se fait clairement ressentir. Précisément, à peine le spectateur embarqué dans son siège que Poe enchaîne les mauvais jeux de mots sur la mère du général Hux. Lui faisant perdre, par la même occasion, absolument toute crédibilité.
Une ironie permanente qui a pour but, en plus de faire bidonner les fans, d’alterner entre moments légers et batailles épiques. Problème, à l’instar de ses camarades de la maison Marvel, Rian Johnson n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. A chaque moment dramatique s’ensuit une punchline bourrée de second dégré qui dédramatise tout ce qui a pu se passer précédemment. Dès lors, on retrouve un défaut symptomatique des films Marvel : le fait que rien ne semble n’avoir d’importance. On perd notre vaisseau mère, une centaine d’hommes ? Une petite blague et ça repart.
Bien sûr, la formule a l’avantage de réunir le plus grand monde, assurant un solide succès commercial. Mais il est tout de même regrettable qu’après une critique bien sentie (de la guerre et son économie, de l’exploitation des animaux), Rian Johnson se sente obligé de resservir un gros plan sur les porgs ou une pitrerie de Rey, comme pour nous prévenir que non. En dépit des apparences, Star Wars reste un divertissement pas si sérieux que cela…
Couper le cordon, jusqu’au blasphème
L’autre volonté du cinéaste est assez flagrante : couper le cordon avec le père, soit l’œuvre de George Lucas. Pour ce faire l’humour est sa meilleure arme. Mais ne rend pas toujours honneur à l’illustre créateur de la mythologie spatiale, bien au contraire. Etait-il véritablement nécessaire de désacraliser à ce point la figure de Luke Skywalker ? Si son personnage de vieux grincheux est assez cocasse à bien des égards, le voir jeter son sabre laser comme une vieille breloque a tout de l’incohérence… voire du blasphème.
N’est-il pas censé être le dernier Jedi ? L’ultime gardien de la Force et du bien ? Et plus encore, à quel moment Luke est devenu aussi "drôle" ? S’il a toujours été aussi intrépide que désinvolte, ce nouveau caractère paraît, à juste titre, comme infidèle au jeune homme qu’il a été dans la trilogie initiale. Après tout, n’est pas Tony Stark qui veut. Mais, sans surprise, cette perte d’ADN lucasienne pour une fibre marvelienne enchante Disney sans concession. Si bien que la firme aux grandes oreilles a d’ores et déjà confié au cinéaste les rênes de la future triologie… Un "Star Wars Cinematic Universe" aseptisé nous pend-il au nez ?