Le thriller de Scott Cooper "The Pale Blue Eye", avec les formidables Christian Bale et Harry Melling, est un des jolis succès de l'hiver. Un film qui doit son succès notamment à une révélation finale stupéfiante, ainsi qu'à une conclusion qui garde une part de mystère, et qu'on décrypte ici. (SPOILERS)
The Pale Blue Eye, succès Netflix de l'hiver
Actuellement à la première place du Top 10 des films sur Netflix, le thriller The Pale Blue Eye de Scott Cooper fait parler de lui. Parmi ses nombreuses qualités, le duo composé du détective Augustus Landor (Christian Bale) et du jeune Edgar Allan Poe (Harry Melling) ravit les spectateurs. On prend effectivement plaisir à les suivre dans leur enquête sur les terres de l'académie militaire de West Point, où ils doivent éclaircir le mystère du meurtre d'un étudiant et la profanation de son cadavre. Un mystère qui va d'abord s'épaissir, avant de se dévoiler entièrement dans une révélation frappante... (ATTENTION SPOILERS)
Une première révélation fausse
The Pale Blue Eye est un whodunit, un thriller dont l'enjeu est de découvrir un ou plusieurs coupables. Il y a donc une première fin de l'enquête, qui conclut à la culpabilité d'Artemus et Lea Marquis, les enfants du docteur de l'académie. Ceux-là auraient tué Leroy Fry puis Randolph Ballinger puis extrait leur coeur dans un rite satanique, afin de tenter de guérir Lea de ses crises d'épilépsie. En réalité, s'ils ont bien extrait le coeur de Leroy Fry, ils ne l'ont pas tué, pas plus qu'ils n'ont tué Randolph Ballinger. Qui est donc le véritable meurtrier ?
À la réflexion, il manque au joli duo composé par Augustus Landor et Edgar Allan Poe un rapport de force. En effet, dès leur première rencontre, il est vite acquis que les deux hommes se correspondent bien, partageant tous les deux la perte d'êtres chers et une mélancolie. Ils progressent relativement vite dans leur enquête, jusqu'au moment où Landor sauve Poe des mains "assassines" de Lea et Artemus. Mais un tel duo n'aurait pas autant d'intérêt s'il ne présentait pas un antagonisme...
Quand Christian Bale trompe son monde
Dans la toute dernière partie du film, les spectateurs potentiellement déçus de la première - et fausse - conclusion de l'enquête retrouvent le sourire. En effet, en comparant l'écriture du message retrouvé dans la main de Leroy Fry, et celle du message que Landor lui a transmis, Poe réalise qu'elles sont identiques. En faisant le lien avec la fin tragique de Mattie (Hadley Robertson), la fille de Landor, agressée sexuellement par Leroy Fry et deux autres étudiants et qui se suicide peu après, il en déduit donc qu'Augustus Landor a tué Fry par vengeance, et qu'il a accepté de mener l'enquête pour mieux la contrôler et couvrir ses crimes.
La profanation du cadavre des mains de Lea et Artemus est aussi une excellente nouvelle pour Landor, puisqu'il va pouvoir leur faire porter la responsabilité de ses propres meurtres. Ce qui est le cas, jusqu'à ce que Poe le confronte et que Landor passe aux aveux...
À la manière du récent Glass Onion, The Pale Blue Eye est un autre exemple de récit à la narration non-fiable, c'est-à-dire que ce qui est d'abord raconté n'est pas la vérité, et que le narrateur - ici il s'agit plutôt du personnage principal - trompe sciemment les autres personnages et les spectateurs. L'ultime révélation est donc particulièrement satisfaisante, notamment parce qu'elle sublime le personnage de Christian Bale en lui conférant une intéressante ambiguïté morale, ainsi qu'une tristesse inconsolable.
Une fin ouverte pour le destin d'Augustus Landor
Ce qui nous amène au dernier plan du film, qui laisse le spectateur sur une fin ouverte. Landor se rend au sommet de la falaise rocheuse d'où s'est jetée sa fille, et comme elle il se retourne pour faire dos au vide, au bord du précipice. Il écarte les bras et laisse s'envoler le ruban appartenant à Mattie et qu'il serrait dans sa main, avec ses mots : "Repose en paix, mon trésor". Parce que Poe a brûlé la preuve de sa culpabilité, Landor ne peut plus être poursuivi. Mais peut-il être en paix avec sa conscience, ayant tué deux hommes et laissant Artemus et Lea avec une réputation posthume, fausse, de meurtriers ?
En d'autres termes, va-t-il se jeter lui aussi de la falaise, rongé par la perte de sa fille comme par sa culpabilité ? Ou alors, maintenant que la vengeance a été accomplie et la justice en partie rendue, va-t-il surmonter la perte de sa fille et vivre apaisé ?
Une fin ouverte dans le film The Pale Blue Eye, mais qui l'est bien moins dans le roman de Louis Bayard, duquel le film de Scott Cooper est adapté. En effet, dans l'épilogue du roman, il est très clairement suggéré qu'Augustus Landor, ayant proposé auparavant et en vain à Poe de lui tirer dessus pour se venger de la tromperie comme pour faire oeuvre de justice, se rend lui aussi sur les traces de sa fille pour se suicider. Mais en ce qui concerne le film, c'est à chaque spectateur, selon sa sensibilité, d'imaginer donc ce qu'il advient du détective.