The Stranger's Case : le film choc du Festival de Deauville 2024 avec Omar Sy fait débat

The Stranger's Case : le film choc du Festival de Deauville 2024 avec Omar Sy fait débat

Engagé dans la compétition du 50e Festival de Deauville, le drame "The Stranger's Case" de Brandt Andersen a ému une partie du public et agacé une autre. Récit en cinq chapitres-portraits de la tragédie migratoire en Méditerranée, le film divise et fait débat.

L'étrange The Stranger's Case

The Stranger's Case est le premier long-métrage réalisé par Brandt Andersen, activiste, producteur et scénariste et donc réalisateur. Il est l'adaptation de son court-métrage Refugee, remarqué et primé dans plusieurs festivals. Producteur expérimenté, Brandt Andersen a par ailleurs, dans sa première partie de carrière, fondé à 21 ans une start-up, uSight, revendue à prix d'or quelques années plus tard. Il a ensuite été le propriétaire et le manager de The Utah Flash, une franchise de la NBA G League, entre 2005 et 2012, autre entreprise couronnée de succès. Aujourd'hui, c'est ainsi dans un cinéma engagé qu'il investit ses compétences et ses ressources, et met avec The Stranger's Case à l'écran un des plus grands drames du XXIe siècle : la crise migratoire en Méditerranée.

Plus précisément, il raconte avec The Stranger's Case le destin croisé de cinq personnages : une docteure et radiologue réputée syrienne, un soldat qui remet en question sa loyauté au régime syrien, un passeur de migrants et père d'un jeune garçon installé en Turquie, un poète dissident et enfin un capitaine des gardes-côtes grec.

Un grand drame qui ne détourne pas le regard

The Stranger's Case est découpé en cinq chapitres, soit un par personnage et dans l'ordre évoqué ci-dessus. Tout commence à Alep en 2016, dévastée par la guerre civile syrienne, avec la docteure Amira (Yasmine Al Massri). Un soir, l'appartement où elle fête son anniversaire en famille, est détruit par une frappe aérienne. Seule elle et sa fille y survivent. Parce qu'elle soigne des blessés des deux camps, elle est en danger et considérée par le régime comme traître. Elle va donc devoir fuir avec sa fille son pays, et franchir la frontière pour passer en Turquie. Sur sa route, elle va croiser le chemin de Mustafa (Yahya Mahayni). L'histoire de celui-ci, soldat du régime de Bachar Al-Assad aux sentiments contradictoires et fils d'un dissident, constitue le second chapitre.

Dans un troisième temps, on rencontre Marwan (Omar Sy) en Turquie, un impitoyable passeur qui facture aux réfugiés un très dangereux passage vers la Grèce... Puis suit le destin de Fathi (Ziad Bakri) et de sa famille, eux aussi ayant fui la Syrie, avant qu'on ne découvre dans le dernier chapitre le personnage de Stavros (Constantinos Markoulakis), capitaine de la marine grecque basé à Lesbos.

On retient tout particulièrement les performances de Yasmine Al Massri et Yahya Mahayni, la docteure et le soldat, formidables d'intensité et de précision.

The Stranger's Case
The Stranger's Case

Les événements sont terribles et les images sont dures. Brandt Andersen, en dépit de ce découpage qui fracture la linéarité du récit, ne fait pas vraiment dans la suggestion ou la subtilité, et les images explicites se succèdent. Bombardement aérien, exécutions sommaires, navigation de nuit ultra-risquée...

Un regard de "cinéma" ?

C'est une chose de ne pas détourner le regard, mais la question de la nature de ce regard en est une autre. En effet, à l'issue de la projection de The Stranger's Case, ovationné, une partie des spectateurs s'est dite touchée et considérablement émue, certains relevant qu'il était important de montrer ces images pour prendre conscience de toute l'horreur de cette réalité. Une autre partie a quant à elle critiqué l'aspect sensationnaliste du film, appuyé sur les liens de parenté de chaque personnage. Le film a donc bien fonctionné : l'émotion est présente, et The Stranger's Case fait débat. Et ce débat est important puisqu'il touche à la nature même du cinéma.

En effet, The Stranger's Case montre des images, dans une fiction, qui sont par ailleurs très - trop - connues. Un cadavre léché par les vagues, Alep détruite, des corps de dissidents abattus, des sauveteurs grecs épuisés... Ainsi, que montre The Stranger's Case qu'on n'aurait pas déjà vu, sur les chaînes d'infos en continu ou dans des documentaires ? Le film de Brandt Andersen veut nous dire que cette situation est horrible, il témoigne. Mais, a fortiori parce que ce n'est pas un film de cinéma documentaire, et évidemment pas un reportage de BFM, quel est le regard de "cinéma" apporté par The Stranger's Case ? Montre-t-il quelque chose de "plus" ou de différent ?

Perturbant et paradoxal

C'est ainsi le paradoxe de The Stranger's Case. Certainement très émouvant, parce qu'il en appelle à l'humanité du public et lui offre une identification facile en développant pour chacun des personnages sa fibre familiale (chacun est un parent ou, dans le cas du soldat, un enfant), il ne propose sans doute pas autre chose que la description visuelle - celle-ci a le mérite d'être quasi exhaustive mais le défaut d'être sensationnaliste - d'une terrible fuite. À trop appuyer ainsi des évidences, à chercher à tout prix l'émotion, Brandt Andersen produit un film avec des ressources considérables et témoigne d'une ambition honorable. Mais, de producteur à réalisateur, il y a sûrement plus qu'un pas.