Jonathan Glazer revient neuf ans après "Under the Skin" avec le percutant "La Zone d'intérêt", un long-métrage choc sur l'horreur de l'Holocauste, sans rien montrer des camps de la mort.
La Zone d'intérêt : le retour tant attendu de Jonathan Glazer
Dix ans après nous avoir fascinés avec l'OVNI Under the Skin mettant en scène Scarlett Johansson en extra-terrestre mangeuse d'hommes, le cinéaste Jonathan Glazer est enfin de retour avec le long-métrage La Zone d'intérêt, librement inspiré du roman éponyme de Martin Amis paru en 2014.
L'intrigue se déroule durant la seconde guerre mondiale et suit le quotidien de Rudolf Höss, commandant du camp d'Auschwitz, et de sa femme Hedwig, qui s'efforcent de construire une vie de rêve avec leur famille dans une maison avec jardin, juste à côté du camp.
C'était aussi l'été à Auschwitz
La Zone d'intérêt s'ouvre sur une belle journée ensoleillée, sur les bords d'une rivière. C'est là que Rudolf Höss et sa famille profitent d'un bon moment tous ensemble, avant de regagner leur joli pavillon (ce que l'on appelait alors "la zone d'intérêt"), situé juste derrière les murs du camp. C'est dans cet environnement bucolique que sa femme Hedwig s'affaire pour construire leur "petit paradis".
De l'horreur de l'Holocauste nous ne verrons rien. Pas de prisonniers squelettiques envoyés dans les chambres à gaz, pas de corps brûlés dans les fours crématoires, pas d'exécutions sommaires. Car ces scènes insoutenables demeurent à jamais gravées dans nos esprits. Glazer, dans sa sagacité, se fie à notre mémoire collective pour nous plonger par de simples échos (et l'on ne peut que saluer le travail sonore éblouissant) dans les abysses infernaux d'Auschwitz, qui se déroulent hors-champ.
Les cris lointains, les vrombissements incessants des fours crématoires, d'où s'échappent des volutes de fumée noire, n'ébranlent en rien la routine de cette famille, dont les préoccupations semblent se résumer à l'entretien de leur splendide jardin, où la vie foisonne, tandis qu'au-delà de leurs murs, règne la mort. Comme des habitants d'une maison en bordure d'autoroute habitués au tumulte extérieur, ils semblent être insensibles au vacarme quotidien de la solution finale.
Des prisonniers envoyés dans le camp de la mort, seuls des fragments demeurent à l'écran : un manteau de fourrure, des habits d'enfants, des bijoux, des dents.
La figure du mal
Lorsque l'existence d'un haut dignitaire nazi et de sa famille est dépeinte de la sorte par Jonathan Glazer, il insuffle de l'humanité en eux. Si cette approche peut rebuter, elle opère en réalité un rappel essentiel : les nazis étaient des êtres humains, et ce sont bel et bien les êtres humains qui détiennent le pouvoir d'engendrer de telles atrocités.
En embrassant cette perspective, une vérité troublante se révèle : l'abîme de la cruauté peut émaner de notre propre humanité. Ainsi confrontés à ce miroir déformé, nous sommes forcés de questionner notre propre nature et d'affronter le potentiel obscur qui sommeille en chacun de nous. Dans cette méditation poignante, l'individu se trouve face à une réalité incontournable : seule l'humanité peut invoquer les démons les plus sombres de son être.
La Zone d'intérêt de Jonathan Glazer est à découvrir au cinéma le 31 janvier 2024. Le film a été présenté au Festival de Cannes en compétition et en avant-première au festival de Deauville 2023.