"Top Gun : Maverick" laisse dans son ensemble peu de place à l'émotion et aux relations humaines. Mais lorsque le film le fait, au moment d'une rencontre entre Tom Cruise/Maverick et Val Kilmer/Iceman, cela donne une grande séquence de cinéma, objectivement bouleversante. Pour ce qu'elle raconte dans le film, et surtout pour ce qu'elle dit des deux hommes. [SPOILERS]
Top Gun : Maverick, distordre le temps
À la vitesse de la lumière, le temps s'écoule différemment. Dans Top Gun : Maverick, le pilote légendaire Maverick ne l'atteint pas, mais cherche à aller le plus vite possible, que ce soit lors d'un vol d'essai à Mach 10 (10 fois la vitesse du son) pour introduire le film, comme lors d'une mission de bombardement dont la réussite dépend d'un temps-limite de survol de la cible. À lui l'ivresse de la vitesse, comme pour abolir le temps qui passe, se fondre dans la rapidité et les lumières. Celles des étoiles, du soleil, celle des réacteurs et des explosions.
Tom Cruise lui-même ne veut pas vieillir, s'y refuse obstinément, et Top Gun : Maverick raconte surtout cette histoire : celle d'un homme sur lequel le temps n'a pas de prise. Il semble toujours dans sa trentaine glorieuse, il est le plus agile, le plus endurant, le plus vif, il fonce sur sa moto et dans son F/A-18 Super Hornet, il est bien plus fort que la jeune génération, éternels élèves qui ne dépasseront jamais le maître. Et pour graver un peu plus sa légende dans le marbre, pour que cette jeunesse éternelle soit éclatante, Top Gun : Maverick offre une séquence d'une émotion et d'une authenticité rares, rassemblant l'homme qui ne vieillit pas, Tom Cruise donc, et l'homme qui a vieilli, malheureusement trop vite, Val Kilmer. Attention, SPOILERS dans ce qui suit.
Val Kilmer, "l'homme de glace" a fondu
Pour rappel, Val Kilmer est Tom "Iceman" Kazanski, pilote d'élite et rival de Pete "Maverick" Mitchell dans le Top Gun de 1986, finalement devenu son ami après la mission de combat qui clôt le film de Tony Scott. Dans Top Gun : Maverick, alors que Maverick est resté à un grade moyen pour continuer à voler autant que possible, Iceman est devenu amiral et commandant de la flotte du Pacifique. C'est sur son ordre que Maverick est rappelé à Top Gun pour préparer de jeunes pilotes à une mission à très haut risque. À la ville, on le sait, Val Kilmer s'est partiellement remis d'un cancer du larynx diagnostiqué en 2015, qui l'a laissé dans l'impossibilité de se nourrir normalement et a irrémédiablement endommagé sa voix.
De retour dans Top Gun : Maverick, on a d'abord pu penser - et on s'est trompés - que des technologies numériques viendraient pallier ce handicap, offrant aussi à son personnage et à l'acteur une cure de jouvence. Génie des créateurs de Top Gun : Maverick, c'est tout l'inverse qui se produit. En effet, dans l'unique scène où il apparaît, Iceman est au plus proche de son interprète, souffrant, affaibli, et dans l'incapacité de parler.
Iceman - Maverick, le sommet d'émotion de Top Gun : Maverick
À plusieurs niveaux de sa narration, Top Gun : Maverick est un film "méta", qui raconte Tom Cruise et Hollywood. Et c'est dans la rencontre entre Maverick et Iceman que la démarche "méta" touche à son paroxysme. D'abord les deux hommes échangent par textos amicaux et ponctués - Tom Cruise a quand même vieilli sur ce point -. Alors que Maverick éprouve des difficultés à préparer les jeunes pilotes, et souffre de sa relation avec Rooster (Miles Teller), le fils de son ancien équipier Goose, Iceman lui écrit pour se voir et parler "en vrai".
Alors Maverick se rend chez lui, et retrouve un Iceman vieilli, très malade, alors que lui est en pleine force de l'âge. Ils brisent donc un premier écran/filtre, celui des téléphones sur lesquels ils s'écrivent. Iceman, éprouvant de grandes difficultés à parler, lance alors la conversation en écrivant sur son écran d'ordinateur, que Maverick lit. Pour finalement, dans un effort terriblement touchant, briser ce dernier écran/filtre, et s'exprimer de vive voix (recréée avec une IA, mais toujours souffrante).
Et ce qu'il veut dire à Maverick/Tom Cruise tient en quelques mots : "let it go". Qu'on peut traduire par "laisse tomber", "passe à autre chose", ou encore "délivre-toi". Se délivrer de son deuil de Goose et donc de sa relation compliquée avec son fils Rooster, se délivrer de son obsession de voler, se délivrer enfin, pour Tom Cruise, de sa course à l'immortalité hollywoodienne. Comme lui, Val Kilmer, l'a fait et l'assume. Ce à quoi, dans son sourire d'une blancheur éblouissante mais les yeux légèrement embués, Maverick répond : "non".
Un héros s'en va, un autre reste
Plus que la résolution de sa relation avec Rooster, dans laquelle Maverick se trouve une place de mentor, d'ami et de père de substitution, plus que dans sa relation tendre et angélique avec Penny (Jennifer Connelly), bref amour de jeunesse retrouvé, c'est dans sa relation avec Iceman/Val Kimer que Maverick/Tom Cruise sublime Top Gun : Maverick en lui apportant une émotion et une vérité bouleversantes. Hollywood change, ses icônes s'en vont, mais Tom Cruise demeure. Leur dernière embrassade est un adieu, puisqu'Iceman décède peu de temps après de sa maladie, alors que Maverick poursuit sa glorieuse aventure.
Une séquence testamentaire donc, terrible d'authenticité sur qui sont aujourd'hui ces deux grands acteurs du cinéma hollywoodien, et comment ils se perçoivent. Parmi tous les éléments très brillants de Top Gun : Maverick, celui-ci est sans aucun doute le plus surprenant, et logiquement le plus touchant.