Trois amies : India Hair irradie dans le grand drame romantique d'Emmanuel Mouret

Trois amies : India Hair irradie dans le grand drame romantique d'Emmanuel Mouret

CRITIQUE AVIS/FILM - Sublimé par une très grande performance d'India Hair, "Trois amies" s'impose comme un des plus beaux films d'Emmanuel Mouret, édifice amoureux où la légèreté et la gravité s'entrelacent avec une grâce et une profondeur renversantes.

Le cinéma romantique à son meilleur

Dans quelle mesure est-ce que la nouvelle, formidable et enivrante romance d'Emmanuel Mouret Trois amies, dit quelque chose de neuf sur le monde ? Quelque chose qu'on n'aurait pas déjà vu et qui réussit à captiver quand n'importe qui d'autre sur le même sujet se planterait à la première minute ? C'est en tout cas bien la juste mesure qui est au coeur du savoir-faire d'Emmanuel Mouret, sa capacité à équilibrer légèreté et gravité dans la dissection experte puis la réinvention moderne du marivaudage.

Trois amies
Trois amies ©Pyramide Distribution

Cette mesure s'accueille d'abord comme musicale, avec une ouverture sur un thème classique de Beethoven, tiré d'un corpus élégant qu'Emmanuel Mouret explore dans ses films autant qu'il explore ses images. Trois amies, c'est alors avant tout une douce musique, celle de l'amour. L'amour tu, chuchoté et crié, trois amies et trois sentiments amoureux distincts qui vont valser ensemble. Une musique et une danse donc, pour un grand spectacle mené par des actrices et acteurs qui sont exceptionnels dans l'exercice d'équilibriste élaboré par le scénariste et réalisateur.

Un casting formidable

Camille Cottin joue dans Trois amies Alice, une femme épanouie dans la routine affectueuse de son couple. Mais, après un étrange rêve, elle va avoir une aventure. Une histoire heureuse contrariée par la découverte que son compagnon, Éric (Grégoire Ludig), entretient lui aussi et depuis longtemps une relation adultère. Alice apprendra-t-elle que cette relation clandestine, Éric la vit avec une de ses amies les plus proches ?

Trois amies
Trois amies ©Pyramide Distribution

Rebecca, incarnée par Sara Forestier, saisit par sa joie de vivre, son sentiment amoureux si puissant et heureux que l'infidélité d'Éric et la sienne envers Alice ne l'inquiète pas. D'une force mentale impressionnante, c'est elle qui incarne le mieux la figure classique du marivaudage, drôle et gentiment intrigante, tenant une ligne plus comique que ses camarades de scène. Mais sous l'ambition à "croquer" la vie s'esquisse, avec une subtilité renversante, une idée de vieille âme chez Rebecca, la triste sagesse de celle qui sait que l'amour idéal, pur, celui qui agite sans cesse le monde, n'existe que dans le présent des mots, du baiser et du rapport, et que sa projection future ou passée est une idée qui tue.

Cet amour qui tue, cet amour qui écrase tout, c'est Joan (India Hair) qui le vit, littéralement. En couple monotone avec Victor (Vincent Macaigne), elle se mortifie le jour où elle comprend ne plus ressentir d'amour pour lui. Elle est en effet déchirée entre son authenticité - elle ne veut pas rester en couple si elle n'aime pas -, et les conséquences pour Victor de cette authenticité.

L'amour, mais sans jeu et hasard ?

Joan est autant désirante que désirée et, grâce à la performance impériale d'India Hair dans le rôle, elle trouve quelque chose de l'ordre du mystère de La Bête dans la jungle d'Henry James, cette certitude qu'une gravité va arriver et peser irrémédiablement sur son destin et celui des autres. Et quelque chose de grave arrive, quand à l'issue d'une formidable scène sous un porche de vieilles pierres, elle quitte Victor.

India Hair sublime le film d'Emmanuel Mouret, dont le théâtre n'est évidemment pas de boulevard mais assume une légèreté qu'on pourrait trouver artificielle. Quadras hétérosexuels, professeurs de collège et artistes, ses personnages vivent dans des appartements aussi confortables qu'interchangeables et n'ont que l'amour en tête et au coeur. Cette bulle pourrait apparaître protégée et privilégiée jusqu'à l'invraisemblable. Ou alors convenue et puérile jusqu'à l'agacement. Mais il n'en est rien, grâce à une écriture très fine et l'incarnation d'India Hair. C'est avec elle que le réalisateur trouve un cinéma percutant, et c'est sur son visage inquiet que l'oeil du spectateur s'arrête et que son coeur s'emballe lorsqu'elle court à perdre haleine lors d'un climax brillant.

Trois amies
Trois amies ©Pyramide Distribution

Il apparaît alors, par Joan, rôle principal du film en dépit de son titre, un sens contraire à la comédie humaine qui se joue. Joan est dévorée par une certitude terrible. L'amour arrive-t-il par hasard ? L'amour se décide-t-il ? Ni l'un ni l'autre semble penser Joan, et ce n'est pour elle en aucun cas un jeu. Dans cet espace fascinant ouvert par India Hair avec son interprétation, sur une énième variation de l'oeuvre tutélaire Le Jeu de l'amour et du hasard, Trois amies se révèle alors un éblouissant drame humain.

L'art délicat de la légèreté profonde

Sans contrefaçon, Trois amies construit donc un palais des délices et surtout des grandes peines de l'amour. Un édifice où trois femmes, comme un captivant triptyque pictural, sont trois portraits de ce sentiment. Autour d'elles, les hommes sont leurs objets de désir mais à la marge de l'image, comme tirés de force du hors champ où ils se plaisent. Gentils, ils sont sciemment et agréablement à côté de la plaque. Ce qui est largement signifié par Vincent Macaigne, dans son registre dramatique et sentimental qui lui réussit tant, et qui tient dans Trois amies un rôle fantomatique, celui de la voix off du récit et d'un personnage qui disparaît, deux fois, de l'image.

Ainsi, si le film s'aborde en légèreté, c'est pour son divertissement mais aussi en cheval de Troie. Sous son air de baguenauder, Emmanuel Mouret entraîne ses personnages dans une exploration profonde et délicate du sentiment amoureux, jusqu'à ses contours tragiques. Dans Trois amies, l'indécision, la solitude,  la disparition de l'amour et de l'être aimé, la mort elle-même, toutes ces sensations inconfortables et tristes finissent par surgir et se vivre à égalité de la légèreté qui les a conduites là. Impossible, alors, de rester insensible et indemne lorsque sonnent les dernières notes de cette symphonie amoureuse parfaitement aboutie.

Trois amies d'Emmanuel Mouret, en salles le 6 novembre 2024. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Porté par un casting parfait, India Hair en tête, "Trois amies" d'Emmanuel Mouret propose une variation délicieuse du Jeu de l'amour et du hasard, inventant une figure géométrique qui dépasse largement le triangle amoureux pour explorer avec finesse le sentiment amoureux. Un film sur un fil, passant de la légèreté à la gravité avec une fluidité saisissante, qui se révèle brillant et gracieux dans son écriture et ses interprétations. À voir.

Note spectateur : 5 (2 notes)