"Un air de famille", réalisé par Cédric Klapisch, est un bel exemple de cette humanité touchante qui teintait l'âme et le cinéma de Jean-Pierre Bacri.
Un air de famille : règlement de conte fantastique
Un air de famille est un film de Cédric Klapisch sorti en 1996. Il s'agit de l'adaptation de la pièce de théâtre du même nom écrite par Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui en 1994. Elle connut un énorme succès lorsqu'elle fut jouée au Théâtre de la Renaissance, avec plus de 100 000 spectateurs. Nommée dans 8 catégories aux Molières, elle repartira avec deux prix : celui du Meilleur spectacle comique et de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Catherine Frot. Fait assez exceptionnel pour être souligné, les 6 acteurs principaux de la pièce reprennent leurs rôles dans le film.
L'histoire se focalise sur la famille Ménard qui a un rituel. Toutes les semaines, elle se réunit "Au Père tranquille", le café tenu par Henri (Jean-Pierre Bacri), le fils aîné. Ce jour-là est pourtant plus spécial que les autres puisque seront fêtés les 35 ans de Yolande (Catherine Frot), la femme de Philippe (Wladimir Yordanoff), cadet des Ménard. Il est cadre dans une société informatique. Cette position fait la fierté de sa mère (Claire Maurier) qui ne manque jamais de le rappeler à intervalles réguliers.
Elle n'a pourtant pas la même considération pour sa fille Betty (Agnès Jaoui) dont elle s'inquiète du célibat. Ce qu'elle ignore, c'est que la benjamine de la famille sort secrètement avec Denis (Jean-Pierre Darroussin), le serveur du restaurant de son frère. Ce dernier fait grise mine alors que tout le monde attend l'arrivée de sa femme Arlette. Les esprits s'échauffent peu à peu sous les yeux de Caruso, le chien d'Henri qui ne bouge plus.
Naissance d'un chef-d’œuvre
Un air de famille est une comédie noire jubilatoire qui tourne au jeu de massacre. Les rancunes longtemps retenues refont surface et la cellule familiale explose dans ce restaurant aussi mal éclairé que l'esprit de ceux qu'il abrite. Cédric Klapisch réussit à merveille à garder l'authenticité et l'unité de lieu de la pièce originale. Le public ne s'y trompe pas avec plus de 2,5 millions d'entrées. Les César récompensent le scénario (Klapisch, Jaoui, Bacri), le meilleur second rôle masculin (Darroussin) tout comme le féminin (Frot). Un juste retour des choses pour un film qui aimait plus que tout ses personnages.
La chair derrière les mots
Un air de famille marquait en 1996 la confirmation du pouvoir dramatique du duo Jaoui/Bacri après le départ prometteur que fut Cuisine et dépendances. Fort de sa genèse théâtrale, le film n'avait pas besoin d'effets spéciaux ou d'explosions pour fasciner le spectateur. Tout le monde s'y retrouvait car, quelque part, il était le miroir de nos propres histoires familiales, faites de rires, d'amour et parfois d'incompréhensions et de larmes. À l'époque, l'équipe du journal de France 2 s'était déplacée sur le tournage et Jean-Pierre Bacri avait expliqué d'où venait le film.
Face à des photos de famille sur le plateau, il expliquait avec nostalgie et un peu de cynisme teinté de vérité que :
On est frappés devant les photos de famille, c'est toujours les mêmes. Y a toujours une espèce de sourire général, comme ça, mais c'est pour la galerie.
Alors, oui, dans Un air de famille, il n'y a pas de spectaculaire à se mettre sous la dent mais plutôt des dialogues mordants. Ce qui faisait avancer Jean-Pierre Bacri, ce n'était pas les courses de voiture, mais l'humanité. Pas besoin d'aller sur la lune pour remplir l'espace, mais simplement des hommes et des femmes dans une petite pièce. Comme il le confiait sur le tournage :
On ne s'évade jamais aussi bien qu'avec des paysages humains. Moi, en l'occurrence, c'est le paysage humain qui m'intéresse.
Le décès du comédien survenu le 18 janvier nous laisse avec un adage un peu sombre : un seul être vous manque et c'est tout le cinéma français qui est dépeuplé...