Réalisé par Sebastian Schipper, "Victoria" (2015) a été tourné en un seul plan-séquence. Une prise unique de plus de deux heures durant laquelle Laia Costa se balade à Berlin avant le levé du jour.
Victoria : une prise de plus de deux heures
Filmer en plan-séquence une scène de quelques minutes est une chose. Mais faire tout un film comme cela relève de l'exploit. Pourtant, certains longs-métrages y sont même parvenus, et sans trucage. C'est le cas de Victoria (2015), qui contrairement à d'autres films qui ont utilisé des effets numériques pour cacher des coupes (Birdman est par exemple un faux plan-séquence, contrairement à L'Arche russe), a eu besoin d'une seule prise de 2h14 !
Le film se déroule à Berlin et met en scène Victoria, une jeune Espagnole qui sort de boîte de nuit. Là, elle rencontre Sonne et son groupe d'amis. Ils décident de poursuivre un peu la soirée avant le levé du jour mais leur escapade va mal se terminer.
Pour le tournage de Victoria, le réalisateur Sebastian Schipper n'a eu besoin d'enclencher sa caméra que lors de trois journées, entre 4h30 et 7h du matin. Lui et son équipe ont fait une première prise juste après les répétitions, puis une seconde dix jours plus tard, avant que la troisième, 48h après, ne soit satisfaisante pour le cinéaste. Ainsi, tout ce que l'on voit dans le film se déroule en temps réel.
Pour pouvoir réaliser un tel exploit, Sebastian Schipper a d'abord dû faire quelques ajustements pour que les différents lieux que doit traverser Victoria soient suffisamment proches. Et faciliter ainsi le travail du caméraman qui opère à l'aide d'une steadicam. Le réalisateur a donc notamment dû faire construire le décor de la boîte de nuit d'où débute le film car aucun club n'était à proximité.
Un tournage tendu et improvisé
De plus, l'expérience fut particulière pour les acteurs qui n'avaient pas le droit à l'erreur. D'autant plus complexe qu'ils avaient un scénario de seulement une douzaine de pages avec des indications sur les scènes, les lieux et les personnages. Les comédiens ont donc dû improviser la majorité de leurs dialogues. C'est notamment le cas lorsque Sonne et Victoria volent des bières dans une épicerie.
Laia Costa, l'interprète de Victoria, a tout de même eu douze jours non consécutifs pour répéter avec les autres comédiens et l'équipe. Une préparation assez courte finalement car le réalisateur ne voulait pas d'un tournage où tout était contrôlé, où tout serait "parfait", comme il l'expliquait à Télérama ainsi que lors de la conférence de presse à la Berlinale 2015.
Tous ceux qui ont été tentés avant moi de réaliser un film en un seul un plan-séquence l'ont fait en essayant d'imiter un film normal. C'est-à-dire avec d'innombrables répétitions pour atteindre la perfection, pour contrôler l'incontrôlable. Victoria, au contraire, parle de la perte de contrôle, du partage des responsabilités. C'est une improvisation au sens musical du terme. Une improvisation punk.
Une difficulté supplémentaire pour l'actrice qui s'est justement servie de toute cette tension. En effet, en tournant aussi tôt le matin, la fatigue était inévitable. Mais cela a mis Laia Costa dans un état similaire à ce que devait ressentir son personnage. C'est justement tout ce que recherche Sebastian Schipper avec le film. En faire une expérience pour le spectateur. Qu'il puisse ressentir cette sensation à la sortie d'une boîte de nuit, entre la nuit et le jour où la fatigue et l'excitation s'entremêlent.
Des erreurs bien rattrapées
Comme dit plus haut, on ne peut se permettre de faire des erreurs lorsqu'on tourne en une seule prise de plus de deux heures. Cela nécessite donc une importante concentration de la part de tout le monde. Pourtant, il y a bien eu quelques couacs durant le tournage. Par exemple, au début du film, lorsque Victoria sort pour prendre son vélo. On peut voir un instant Laia Costa regarder ailleurs. Sebastian Schipper explique dans le commentaire audio qu'elle l'a aperçu se diriger vers sa voiture.
Egalement, au milieu du film, après le braquage, Victoria doit prendre le volant pour quitter les lieux avec ses acolytes. Un moment chaotique à l'écran comme sur le tournage. Le réalisateur était présent dans le coffre pour guider Laia Costa sur la route à emprunter. Mais à cause de lui, elle s'est engagée dans une mauvaise rue. Les cris de Sebastian Schipper qui donne des instructions ont été coupés au montage audio. De plus, le caméraman présent dans la voiture a eu le bon réflexe de filmant vers le bas pour ne pas voir apparaître l'équipe de tournage lorsque la voiture est passée devant eux. Ainsi, tout ce chaos qu'on ressent à ce moment est réel.
Enfin, il y a également un oubli de Laia Costa à la toute fin du film. Lorsque Frederick Lau qui joue Sonne se retrouve dans le lit de l'hôtel. La comédienne a voulu regarder sa blessure en oubliant qu'il n'avait rien en réalité, et qu'une poche de sang était cachée dans le lit. Le réalisateur, présent dans la salle de bain, lui a donc dit venir prendre de l'eau. Mais elle a oublié de recouvrir Frederick Lau avec la couverture pour qu'il puisse ouvrir la poche de sang.
C'est la raison pour laquelle on la voit sortir du champ puis revenir pour le couvrir. Après quoi elle s'en va. La caméra se tourne vers la télévision et laisse le temps au comédien de s'étaler le faux sang. Toujours dans le commentaire audio, Sebastian Schipper explique que ces petites erreurs viennent du fait que les comédiens, à un instant, en viennent à oublier leur rôle. Ils deviennent leur personnage. Preuve de la réussite de l'œuvre.