Dans le film "Revoir Paris", la réalisatrice Alice Winocour relate le parcours d'une victime d'attentat interprétée par Virginie Efira qui cherche à se reconstruire, et à retrouver la mémoire. Nous l'avons rencontrée.
Revoir Paris : le chemin de la mémoire
Hasard du calendrier, en cette rentrée, deux films sur les attentats de Paris sortent au cinéma à moins d'un mois d'intervalle. Revoir Paris d'Alice Winocour (7 septembre) et Novembre de Cédric Jimenez (5 octobre). Les deux propositions des cinéastes sont cependant diamétralement opposées.
Le film de Cédric Jimenez est un thriller haletant sur la traque des terroristes, celui d'Alice Winocour relate le chemin de reconstruction d'une survivante. Même si l'attentat se déroule à Paris, il n'est jamais question de l'attaque du 13 novembre, contrairement au long-métrage de Cédric Jimenez qui reprend au détail près tout le déroulé de la traque des terroristes.
Rencontre avec Alice Winocour
Pourquoi avoir voulu faire ce film maintenant ?
J'avais besoin de faire ce film. Il s'est imposé à moi. C'est parti des discussions que j'avais eues avec mon frère qui se trouvait au Bataclan le 13 novembre. Il s'est d'abord bâti sur ma propre mémoire et mes sensations de cette nuit, puis sur les mémoires d'autres victimes que j'ai rencontrées. J'avais le poids de cette responsabilité là : arriver à être la plus fidèle possible à la force des témoignages que j’ai pu recueillir, et à l’énergie vitale qui portait ces victimes. Je voulais faire un film qui transcende, qui aille vers la lumière.
Ça n'est pas la première fois que vous traitez de la notion de stress post-traumatique...
C’est quelque chose qui m’intéresse dans l’absolu. Ma famille s’est construite sur un trauma, mon grand-père est un rescapé d’Auschwitz. Moi-même, pour d’autres raisons, j’ai vécu un syndrome de stress post-traumatique. Ce sont des questions qui m’habitent.
Sur ce film j’ai aussi rencontré beaucoup de psychiatres spécialisés dans le trauma. Avec Virginie on a vu pas mal de ces médecins. L'un d'eux m’a expliqué que quand deux mains se touchent, ça sécrète de l'ocytocine, l’hormone du lien, de l'amour, et je voulais que le film provoque cette sensation. C’est pour ça que j’ai beaucoup filmé les mains. C’est ce que j’ai fait quand mon frère était dans l’attentat, j’ai tenu la main de mon copain, et on est resté comme ça jusqu’à la fin. Et j’ai eu beaucoup de témoignages de gens qui se tenaient les mains.
Comment avez-vous abordé la séquence de l'attentat ?
Cette scène m’a beaucoup questionnée. Mais j’avais l’impression qu'elle était nécessaire. Mon frère m’a bien fait comprendre que c’était impossible à retranscrire. Il fallait que j’aille vers l’onirique et le fantastique. Ce que je voulais faire vivre c’était le choc de changer de monde. On est dans un restaurant à Paris et on passe à une scène de guerre. Cette scène est très abstraite. Je voulais qu’on soit dans le point de vue d’une victime qui voit les choses d’une manière fragmentée. Pour moi l’attentat, c’est un trou noir. Je l'ai d'ailleurs mis à la fin de la séquence.
Juste avant, il y a d'ailleurs un jump scare, pourquoi ?
Je travaille sur un film d’horreur actuellement, et j’ai regardé beaucoup de films d’horreur pendant le confinement. Je trouvais ça intéressant de travailler sur cette tension, de savoir que quelque chose va arriver, et d’attendre. Il y avait aussi cette idée de dilater le temps, comme si on filmait une mémoire. Avec le plan sur la ville, où on est déjà dans un regard rétrospectif.
Le personnage de Mia semble être dans un brouillard mental. Comment l'avez-vous représenté ?
Pour moi c’est ce qui est propre au trauma, ils ne sont plus dans leurs corps. C’est quelque chose de très compliqué à vivre pour un comédien car il doit s’en remettre au réalisateur. Il y a quelque chose de fantomatique dans les yeux qui ne sont plus vraiment là. Ils sont dans un autre monde. C’est un fantôme, elle ne fait plus partie de la communauté humaine. Et c’est ça qui était vraiment l’enjeu du travail avec Virginie, que ses yeux soient ailleurs. Et en même temps, elle devait aussi se connecter aux gens qu’elle rencontre. Car c’est un film de rencontre. C’était un aller retour pour elle qui n’était pas simple, car elle devait être dans deux énergies. Elle regarde Paris, et c’est ce qui a amené ce plan en plongée d’ailleurs, mais elle est à distance. Elle entend les bruits, les sons, mais elle n’est plus dans ce monde.
Il y a également des vrais fantômes dans le film...
C’est venu des discussions avec mon frère. Elle voit des choses que les vivants ne peuvent pas voir. Moi je crois à ces fantômes, et au fait qu’ils soient là, dans la ville. Il y a des traces dans la ville, ce sont des lieux chargés de mémoire. C’était une volonté d’aller vers le fantastique et de ne pas être dans quelque chose de trop réaliste puisqu’on est dans sa tête.
Avez-vous tout de suite pensé à Virginie Efira pour le rôle ?
Dans les premières versions du scénario, mon personnage était une femme américaine qui arrivait à Paris et qui se retrouvait dans un attentat. C’était une étape dans mon écriture car j’avais dans l’idée qu’elle devait être étrangère à la ville, et donc être étrangère. Et jusqu’à présent je n’avais jamais tourné à Paris alors que c’est ma ville.
Dans mon rapport à la fiction, j’avais besoin de tourner dans des pays différents. Paradoxalement plus ce que je raconte est intime et plus j’ai besoin que ça se passe dans un monde lointain. Et là, la distance, je la prenais à travers une américaine. Et ensuite je me suis rendu compte que c’était une histoire française et qu’il fallait que j’y sois fidèle. J’ai tout de suite pensé à Virginie Efira car j’avais très envie de travailler avec elle. Elle a une espèce de force qui me fascine. J’avais besoin que mon personnage soit fort, qu’il ne se plaigne pas, et qu’il soit obsessionnel. Je me reconnais dans ces personnages-là.