Anne Fontaine, la réalisatrice de "La Fille de Monaco", "Les Innocentes" ou encore "Marvin ou la belle éducation" revient avec "Blanche comme neige", un conte moderne et sensuel. Pour l'occasion, nous avons rencontré la cinéaste qui, à l'image de son film, fascine plus que jamais.
"Je suis un peu fatiguée. Non pas parce que je suis en pleine promotion, mais je viens de terminer le tournage de mon prochain film" nous glisse tranquillement Anne Fontaine (Les Innocentes, Gemma Bovery), au début de l'entretien. Refusant de nous donner un peu plus de détails, la cinéaste enchaîne directement sur le long-métrage prêt à sortir en salle. Blanche comme neige raconte comment Claire (Lou de Laâge, impériale) survit à une tentative de meurtre orchestrée par sa belle-mère jalouse (Isabelle Huppert), et se retrouve dans un village brumeux où elle y éveillera les passions de... Sept hommes. Anne Fontaine revisite le conte de Blanche-Neige, mais va même bien au-delà. Il était une fois...
On a du déjà vous poser la question, mais le personnage de Claire est une Blanche-Neige assez punk en marge. Comment cette idée vous est-elle venue ?
J’avais envie de parler d’une jeune femme qui s’émancipe, avec une touche de fantaisie. Très vite le chiffre 7 s'est imposé comme une évidence : elle va rencontrer sept hommes différents avec lesquels elle va entretenir des rapports différents. Je voulais que ces hommes aient chacun leur fragilité, qu'ils n'abordent aucun cliché de la gent masculine. J’ai fusionné tout cela avec l’idée du conte, pour avoir ce rapport à l’imaginaire collectif. Mais tout ceci pour finalement déjouer ce parti-pris, pour moderniser l'image du prince charmant. Mon but ultime, c'était de mélanger ces éléments avec des choses éternelles, presque mythologiques.
Un violoncelliste hypocondriaque dont le seul partenaire est un chien, un vétérinaire esseulé, un bûcheron taciturne, un libraire en proie à ses pulsions… Ces hommes sont tous en réparation.
Oui. Et Claire agit sans jamais les juger, c'est un ange tombé du ciel. Il y a quelque chose de très solaire dans ce personnage. Une certaine légèreté. Elle ne veut pas se contraindre dans une histoire, une limite. Quand on est jeune on est souvent éduqué dans cette idée du couple qui cloisonne le champ du possible. Pour une fois, on décrit l'étape d'une vie qui n'a pas forcément de but en soit. Claire est libre, du début à la fin.
C'est comme si les villageois attendaient depuis toujours. Ils sont bloqués. Le premier dialogue de Benoit Poelvoorde, d'ailleurs, lorsqu'il aperçoit Claire, c'est "Dieu du ciel, une apparition".
Oui, ils sont tous à l'arrêt. L'écriture des dialogues a été très importante dans la compréhension du film et de ses choix. Parfois, il ne suffit que d'un ou deux mots pour comprendre un trait de caractère.
Et le décor, comme les personnages, est aussi un peu suspendu dans le temps
Je suis contente que vous me parliez de cela. Effectivement, nous avons beaucoup travaillé sur une ambiance très atmosphérique. Comme dans un pays imaginaire ! Le village, accroché à la roche, est bloqué dans une bulle où le brouillard est presque omniprésent. La nature, notamment le monde de la forêt, joue un rôle très important dans l'émancipation de Claire.
L’esthétique globale du film est très léchée. Il y a ce travail sur la manière de filmer les corps, notamment le visage de Lou de Laâge qui est particulièrement lisse, voire pâle. Elle concorde bien avec l'imagerie de Blanche-Neige.
Tout à fait. Elle a une peau incroyable, très photogénique. Je l’ai repérée dans Respire (de Mélanie Laurent, ndlr). J’ai tout de suite été fascinée par son aura. Ensuite, elle a passé des essais pour Les Innocentes, qu'elle a totalement raté mais j'ai été pour autant transportée.
Tourner avec Isabelle Huppert, c'est comment ?
Très professionnel. Pour ce rôle, j'ai tout de suite pensé à elle. Huppert a cette capacité incroyable à susciter l’ambiguïté, une tension. On ne sait pas ce qu’elle va faire. Et en même temps, elle vit une souffrance. C'est une actrice incroyable à filmer, notamment dans cette fameuse scène où elle danse d'une manière effrénée. Il n’y a qu’elle pour faire ça.
Pourquoi avoir voulu couper le film en trois parties ? Était-ce pour réussir à avoir le temps et la matière pour construire deux portraits de femmes ?
Comme expliqué précédemment, je voulais ramener à l’idée du conte ; une façon de jouer avec la temporalité, les chapitres. Proposer quelque chose de différent au spectateur en terme de scénario. La première partie se consacre à Claire, puis on la laisse un instant pour se concentrer sur l'histoire du personnage d'Isabelle Huppert. Maud n’est pas méchante en soit, elle a aussi une fragilité. Elle décide de tuer sa belle-fille par pure contrainte passionnelle. Elle éprouve une jalousie insupportable qui l'aveugle.
Parler de ce film en ayant la tête dans le prochain, n'est-ce pas un peu difficile ?
C'est avant tout gratifiant, puisque cela signifie que mon travail porte ses fruits et que j'ai des films à défendre. Mais cela peut aussi être un peu étrange. Blanche comme neige est un peu derrière moi. Je me concentre sur une nouvelle histoire, de nouveaux personnages... Et voilà que je me replonge dans le passé. Au bout du compte, ce qui m'intéresse le plus, c'est de pouvoir faire aboutir mes projets, qu'on en parle... Ou pas ! Quoiqu'il en soit, je suis très fière de ce film.
Propos recueillis par Samuel Regnard
Blanche comme neige d'Anne Fontaine, en salle le 10 avril 2019. Retrouvez ici la bande-annonce de Blanche comme neige.