A l'occasion de la sortie d'"Il Figlio Manuel", rencontre avec Dario Albertini, réalisateur à qui l'on doit plusieurs documentaires et qui signe son premier long-métrage de fiction. Avec ce drame très touchant, le cinéaste nous plonge dans un environnement qui lui tient profondément à coeur.
Après avoir signé le documentaire La Republica Dei Ragazzi, centré sur un foyer pour jeunes en Italie, Dario Albertini est resté dans le même thème avec Il Figlio, Manuel. Néanmoins, le cinéaste s'attarde finalement peu sur le lieu dans son film et s'intéresse surtout à l'un des jeunes qui le quitte.
Interprété par le prometteur Andrea Lattanzi, Manuel est l'un des personnages les plus touchants que l'on ait vu au cinéma cette année jusqu'à maintenant. Dario Albertini réussit à rendre son besoin de respirer palpable, ce qui fait de Manuel un protagoniste bouleversant. Entretien avec un réalisateur particulièrement attaché au réel qui vient de réussir son passage du documentaire à la fiction.
En 2015, vous avez réalisé La Republica Dei Ragazzi, qui s’intéresse à un foyer construit dans l’après-guerre. C’est sur cette expérience que vous avez eu le déclic pour tourner une fiction ?
Oui. Dans le documentaire, je raconte ce qu’il se passe dans le foyer mais je ne parlais pas de la sortie de ces adolescents du foyer. Je me suis rendu compte que c’était une phase extrêmement importante à raconter. De l’extérieur, on peut penser que c’est l’arrivée dans le foyer qui est très difficile et traumatisante mais en réalité, la sortie est elle aussi très importante. Il Figlio, Manuel devait d’abord être un documentaire mais j’avais l’impression que j’allais envahir l’intimité des adolescents en suivant cette sortie. C’est comme ça que l’idée de la fiction est venue.
La partie dans le foyer est finalement assez courte mais très riche. Vous souhaitiez en dire un maximum sur la structure tout en montrant davantage l’indépendance de Manuel une fois libre ?
Au départ, je pensais commencer le film au moment de la sortie de Manuel. Etant donné que La Republica Dei Ragazzi est l’appendice du film, je pensais qu’il lui faisait écho, et inversement. Pour moi, les deux se répondent, il s’agit presque d’une œuvre unique. La partie dans le foyer est une sorte de présentation, pour montrer l’ordre que Manuel va quitter et pour annoncer la suite.
Manuel est un personnage qui fait preuve d’énormément de bonté et de dévouement envers les autres. Pour construire le personnage, vous êtes-vous inspirés de personnes rencontrées dans les foyers ?
En fait, il existe un vrai Manuel. C’est sur lui que se termine La Republica Dei Ragazzi. C’était d’ailleurs assez difficile de trouver l’acteur capable de le jouer, parce que j’avais toujours en tête ce vrai Manuel.
Vous avez repéré Andrea Lattanzi sur YouTube et il s’agit de son premier long-métrage. Comment s’est passé l'expérience avec ce jeune acteur ?
Mon directeur de casting m’a envoyé la vidéo lorsque nous venions à peine de débuter les recherches pour trouver l’interprète de Manuel. En voyant la vidéo, j’ai découvert une performance extraordinaire. Le monologue qu’Andrea fait dans cette vidéo m’a vraiment impressionné. Dans le monologue, on le voit pleurer comme à la fin du film et ça m’a inspiré. Ça ne m’a pas empêché de faire plus de 300 essais avec d’autres acteurs. Nous avons pris notre temps, pour nous confirmer que l’on ne passait pas à côté de quelqu’un d’autre et qu’Andrea était le bon choix. Andrea a ensuite passé le casting en dernier. Quand je l’ai vu, c’est le seul qui a réussi à me faire oublier le vrai Manuel.
Dans le dernier plan du film, on voit effectivement Manuel pleurer. Pourquoi avoir choisi de rapprocher le personnage du spectateur aussi frontalement dans cette dernière scène ?
C’est très important pour différentes raisons. Il y a quelques personnes, dans différents festivals en France, qui m’ont demandées s’il s’agissait d’un hommage aux 400 coups de Truffaut, étant donné qu’il y a déjà une référence à lui plus tôt dans le film où l’on en parle directement. Je ne me rappelais d'ailleurs plus que La Republica Dei Ragazzi avait gagné le prix François Truffaut, donc en vérité ça n’a pas été ma référence sur cette scène.
La dernière scène n’avait en fait pas été écrite. J’ai commencé à y penser quelques jours avant la fin du tournage, qui s’est déroulé de façon chronologique, ce qui est très rare. Au départ, Andrea devait sortir du cadre, faire quelques mètres et se retrouver à un carrefour. Il devait être filmé en plan large au milieu de ce carrefour, ne sachant que faire. Je trouvais dommage que le chef opérateur et moi étions les seuls à profiter du regard d’Andrea. J’ai voulu faire quelque chose de très poétique. Je filmais à ce moment-là et quand Andrea s’est redressé, je lui ai demandé de se retourner mais il ne savait pas que la scène continuait. Il s’est donc tourné en pensant qu’il allait s’arrêter de jouer. Je lui ai demandé de continuer à me regarder et ça a donné cette scène. Nous n’avons fait qu’une prise et ça a donné la dernière scène du film. C’est un peu comme si Manuel demandait de l’aide au public. C’était aussi une façon de rattacher le film au documentaire, mon art premier, où on a aucun problème pour que les gens regardent face caméra.
Vous avez commencé votre carrière en tant que photographe et cela se ressent dans certains cadres du film. Est-ce que la photo a une influence sur votre travail de cinéaste ?
Oui, c’est fondamental pour moi. Mon chef opérateur et moi nous connaissons depuis de nombreuses années mais nous n’avions jamais réussi à travailler ensemble. Je n’avais pas suffisamment de budget sur mes précédents travaux et je faisais tout. Je me suis beaucoup appuyé, en tant que documentariste, sur le montage et l’image. C’était donc des postes clés pour moi pour Il Figlio, Manuel.
L’image est presque un personnage à part entière dans le film. Quand Manuel commence sa nouvelle vie, nous avons fait en sorte que l’image permette au spectateur de comprendre l’atmosphère. Pour réfléchir aux cadres, Giuseppe me montrait souvent mes photos et me demandait si je voulais reprendre certains de mes procédés.
La mère est très peu présente dans le film mais ses apparitions sont capitales pour le récit. Pourquoi avoir choisi de ne la montrer que dans deux scènes ?
Je n’ai que très peu vu ma mère dans ma vie et ce choix y fait écho. C’était aussi pour que le spectateur ressente l’idée de cette mère idéalisée mais absente. J’avais envie, par ces deux seules scènes, de montrer cette absence que j’ai pu ressentir et de faire comprendre au spectateur pourquoi elle était idéalisée.
Vous venez du documentaire et semblez très attaché au réel. Pourrait-on vous voir réaliser un projet qui s’en écarte totalement ?
En réalité, je voudrais enchaîner sur un documentaire. J’ai encore beaucoup à apprendre au niveau du cinéma. Je me sens proche de cette approche réaliste, de cette façon de raconter la vie des gens. Je pense que j’aurai encore un peu de mal à me détacher de cette façon de faire. J’ai besoin de raconter quelque chose que je connais très bien.
Pensez-vous qu’il y ait un nouveau courant du cinéma italien grâce à cette manière de traiter le réel ? D’autres réalisateurs comme Roberto de Paolis (Cœurs Purs) suivent aussi cette voie.
Depuis deux ou trois ans, c’est vrai qu’il y a cette envie de raconter de cette manière-là et de raconter des histoires sociales, de revenir à l’essentiel avec sincérité. Il y a une très forte crise dans le cinéma, et dans le cinéma italien en particulier. Je pense que ce renouveau du cinéma italien est en partie lié au fait qu’il y ait beaucoup moins d’argent disponible. On enlève le superflu, on revient à l’essentiel et cette crise permet aussi de raconter le peu que l’on a avec le peu que l’on peut mettre à disposition des films.
Est-ce qu’on peut espérer vous revoir à la réalisation d’un long-métrage de fiction ?
J’espère, j’aimerais beaucoup. J’aimerais encore une fois raconter quelque chose que je connais bien. Il Figlio, Manuel a en tout cas été une très belle expérience.
Propos recueillis par Kevin Romanet