Venues présenter "Jamsil", la réalisatrice Lee Wan-min et sa comédienne Kim Sae-byuk évoquent ensemble une jeunesse compliquée dans des familles patriarcales, menant à une fugue commune et nécessaire.
Lee Wan-min a un parcours étonnant. Elle a notamment commencé par des études de droit avant de se réorienter vers le cinéma, qu’elle a appris à Paris, à l’EICAR et à l’université de Paris 3 – Sorbonne-Nouvelle. De sa vie, marquée par des relations familiales difficiles, elle tire Jamsil, un premier long-métrage qui lui permet de se libérer de nombreuses obsessions (voir notre critique). Dès lors, il apparaît une œuvre éminemment personnelle, dans laquelle chaque personnage féminin vient évoquer une part d’elle-même. Preuve en est, avec cette double rencontre avec la réalisatrice et sa comédienne, Kim Sae-byuk, qui témoignent de leur vision commune, aussi bien du cinéma que de la vie.
Vous avez commencé par étudier le droit en Corée, avant de vous diriger vers le cinéma, que vous avez étudié en France. Pourquoi ?
Lee Wan-min : En fait je ne voulais pas étudier le droit. Mais en Corée, il y a une pression liée aux études supérieures, où il faut toujours être le meilleur. Je me suis donc retrouvée en fac de droit, par la volonté de mes parents. En grandissant, j’ai décidé de faire ce que je désirais réellement, à savoir du cinéma.
Et pourquoi en France ?
L.W : J’avais besoin de m’échapper de mon cocon familial, et cela passait aussi par une nécessité de quitter la Corée, comme une sorte de fugue. J’ai donc cherché différentes choses à l’étranger. J’ai par exemple été stagiaire dans une ONG à Strasbourg qui travaillait sur les droits de l’Homme. Puis j’ai fait un stage pour les Nations unies aux Pays-Bas. C’est là-bas que j’ai appris qu’Hong Sang-soo cherchait une équipe pour un tournage en France. Je m'y suis retrouvée impliquée de manière un peu hasardeuse. Puis, comme j’étais toujours sur le territoire de manière illégale, j’ai dû m’inscrire dans une école pour avoir un droit de séjour étudiant.
Il y a donc un aspect autobiographique dans le film, qui évoque la pression parentale sur les choix professionnels.
L.W : Effectivement ce genre de relation avec les parents est très courant en Corée. J’en ai parlé avec Kim Sae-byuk, qui elle aussi a eu une expérience similaire. Donc c’était assez facile d’aborder son personnage et de le travailler avec elle, puisque c’est quelque chose déjà ancré dans notre culture.
Kim Sae-byuk : Oui, pour ma part j’ai voulu faire du cinéma quand j’avais une vingtaine d’années. Un peu comme Wan-min, j’ai fugué jusqu’à Seoul. Arrivée là-bas, j’ai annoncé à mes parents ce que j’allais faire, sans leur donner le choix. Il faut savoir que je suis originaire de Busan, une région assez machiste, et j'ai donc été élevée dans une famille très patriarcale. Bien sûr, il y a de l’amour, mais de manière très sèche. C’est quelque chose qui m’a toujours pesé. Et il y a encore des fois, aujourd’hui, où je peux être en confrontation avec mes parents.
C'est étonnant comme cela se retrouve dans votre personnage. Avez-vous malgré tout eu besoin de le questionner avec Lee Wan-min ?
K.S : Durant le tournage j’avais beaucoup de questions à son sujet, sur qui elle était. Déjà pour savoir si, cette fille, qu'on voit dans le passé comme dans le présent, est un seul et même personnage ou non. Mais surtout je me suis rendue compte que, pour la première fois, je jouais une personne qui est décédée, et qui apparaît uniquement par des souvenirs donc. Je me suis donc mise à réfléchir à l’existence, au fait qu’elle puisse rester dans le souvenir des gens.
Parmi vos différents personnages féminins, auquel vous identifiez-vous le plus ?
L.W : Je ne m’identifie pas à un personnage directement, car en fait chacun est plus ou moins tiré de ma personnalité. C’est comme si j’avais décalqué des éléments qui me composent et les avais poussé à l’extrême pour créer ces personnages. Et encore une fois, la rencontre avec les actrices m’a permis de les construire davantage.
En terme de mise en scène, on note immédiatement la distance entre la caméra, fixe et sans mouvement, et les acteurs, ainsi que les longues séquences sans coupure.
L.W : Déjà, il faut savoir que j’avais un petit budget pour ce film. Donc la réalisation a forcément été influencée par l’aspect économique. C’est ce qui m’a mené à tourner des longues séquences comme cela. Mais au final, j’y ai pris goût d’une certaine manière. Aussi parce que c’est une méthode qui a plu aux comédiens. Donc je pense poursuivre comme ça pour mes prochains films.
Et pour vous, Sae-byuk, en tant qu’actrice, est-ce que par cette méthode de tournage vous vous sentez davantage responsable ?
K.S : Lorsqu’on doit tourner de longues séquences en une seule fois, si dès le début je ne suis pas sûre de moi, si je doute de ce que j’ai pu produire, je ressens une responsabilité et je me dis qu’il ne faut pas lâcher. Mais c’est amusant, c’est la première fois qu’on me fait cette remarque. Du coup, c’est comme une prise de conscience ce que vous venez de me dire.
Pourtant vous avez souvent joué dans des films qui ont cette même approche contemplative. Chez Hong Sang-soo dans Le jour d’après ou dans A Midsummer's Fantasia.
K.S : Bien sûr. En fait, c’est vraiment le mot « responsabilité » que vous avez employé qui m’a fait tilter. Parce qu'en effet, j’ai beaucoup tourné de cette manière. Et sur ce genre de séquences, j’essaie de donner le meilleur de moi-même mais sans avoir, disons, d’arrière-pensée par rapport à une responsabilité.
La richesse du film est, qu’en plus d’évoquer les rêves inachevés ou les souvenirs du passé, ou encore les relations amoureuses, il y a le sentiment d’être invité à débattre autour de questions sociales, sur la politique, le gouvernement ou juste les rapports entre les gens.
L.W : En fait quand j’ai réalisé le film j’ai cherché à ne pas viser un sujet précis. Je l’ai fait comme une étape à passer et je voulais surtout être honnête dans ma démarche. Du coup, il s’agissait d’évoquer des traumatismes personnels, des manques, des images ancrées en moi. J’avais besoin d’y mettre toutes les idées qui me hantent, les obsessions qui m’habitent. Donc il n’y a pas vraiment pour but de questionner la société, mais plutôt de me livrer. C’est une étape nécessaire pour me détacher du passé et arriver à vivre mon présent.
Propos recueillis par Pierre Siclier