On a rencontré Florian Zeller, scénariste et réalisateur de "The Son", nouvelle adaptation après "The Father" d'une de ses pièces de théâtre. Au menu, forme tragique et narration linéaire, méconnaissance de la dépression adolescente et un email décisif de Hugh Jackman.
Florian Zeller, acte II
Auréolé du succès de The Father, Florian Zeller a rapidement enchaîné sur l'adaptation d'une autre de ses pièces de théâtre avec The Son. Un mélodrame tragique avec notamment Hugh Jackman et Laura Dern, qui traite de la dépression adolescente dans un forme qui diffère fortement de celle de The Father. On a rencontré Florian Zeller pour détailler avec lui ce changement, mais aussi son travail avec Hugh Jackman et ses vues sur une maladie méconnue.
Rencontre
Il y a une forme de parenté entre The Father et The Son, mais vous changez radicalement de narration. Quelle a été votre intention de forme pour ce second film ?
Florian Zeller : Quand on fait un film, on pense à son univers, à comment le créer. L’histoire impose déjà quelque chose, par elle-même. The Father était un thriller psychologique, qui se passe dans un lieu clos. C’est d’ailleurs contre-intuitif pour une adaptation d’une pièce de théâtre. Au cinéma on ajoute des scènes, de l’extérieur, on cherche la dimension cinématographique. La stratégie était de mettre le spectateur presque dans le cerveau du personnage principal, qu’il puisse ressentir ses sensations.
Pour The Son, l’histoire me semblait exiger une autre couleur, et une autre forme. Je me suis appliqué à créer une forme linéaire, parce que je voulais créer un sentiment tragique. Et le tragique se crée au moment où l’on pressent l’endroit de la destination.
On a beau tout faire, tout essayer, le cours inévitable vers le pire ne sera pas dévié. Dans la tragédie grecque, les personnages sont très tôt informés de leur destin. Ils ont beau combattre ce destin, ça ne fait que l’accomplir plus certainement. Cette ligne tendue me semblait importante pour The Son.
Est-ce qu'à cette forme forme tragique correspond aussi l'enjeu de représentation de la dépression adolescente, maladie méconnue, opaque ?
Florian Zeller : Un film "simple" me semblait être la façon la plus honnête de regarder le sujet de la dépression adolescente, ou disons de la "maladie mentale". J’emploie ce mot avec des guillemets, il est inconfortable en France. En anglais on l’emploie sans péjoration, alors qu’en français il semble discriminatoire. Ça en dit beaucoup je crois sur la situation en France, où on s’applique à ne pas en parler, il y a beaucoup de honte, de gêne, de culpabilité. Donc c’est aussi pour cette raison que j’ai choisi cette approche très frontale, pour ne pas détourner le regard de cette souffrance.
Ne pas détourner le regard, mais comment le constituer sur une maladie qui échappe à toute perspective, aux tentatives d'approche ?
Florian Zeller : Il y a chez cet acteur qui incarne Nicholas, Zen McGrath, quelque chose d’impénétrable. Et je tenais à faire que ce jeune adolescent le demeure, je ne voulais surtout pas faire une performance d’adolescent dépressif un peu cliché. Je voulais que ce soit difficile à déchiffrer, parce que l’histoire se déroule du point de vue des parents, et non du sien. Ils sont aux seuil de son cerveau, et dans l’impossibilité de comprendre. Ils ont des questions sans réponses. La frustration du spectateur fait ainsi écho à celle des personnages.
La tragédie de The Son est donc celle d'une ignorance, d'une impuissance ?
Florian Zeller : En effet, je crois que ce qui est terrible quand on est parents, c’est qu’on aime sans avoir de réponses. Ce sont des parents aimants, attentifs, et pourtant ils ne parviennent pas à comprendre la situation, à la diagnostiquer, ni ne comprennent qu’ils ne sont pas bien équipés. C’est très douloureux de faire cette expérience d’impuissance, et c’est ce que j’ai voulu raconter. Assister à la souffrance de son être le plus cher et ne pas parvenir à la guérir.
Hugh Jackman incarne le père de The Son, comment avez-vous établi votre collaboration ?
Florian Zeller : Le casting a été assez peu conventionnel. Je finissais mon scénario quand j’ai reçu un email de Hugh Jackman, que je ne connaissais pas.
Il avait entendu que je préparais ce film, et il m’a donc écrit que si j’avais déjà trouvé mon acteur, je pouvais oublier son email. Mais que si je me posais encore la question, il aimerait avoir 10mn pour m’expliquer pourquoi il devait être, lui, le personnage de cette histoire.
J’ai été évidemment surpris de recevoir un mail d’un tel acteur, un des plus grands d’Hollywood, mais aussi très ému de pressentir ce que ça racontait de la personne qu'il est. Le courage, l’honnêteté, l’humilité, et surtout l’urgence qu’il exprimait à travers ce message m’a attiré. Je l’ai rencontré une première fois par Zoom, on était en plein Covid, et à la faveur de cette discussion je l’ai senti très connecté à cette histoire, en tant qu’homme et père. C’était l’opportunité pour nous d’aller explorer quelque chose qu’il avait déjà en lui, et qui nous éloignait du processus de la performance, la fabrication, l’imitation. Là il s’agissait de s’avancer presque dénudé, de s’engager pour un voyage d’authenticité.
Ça a été une aventure très intense pour moi. J’étais derrière la caméra, et je les regardais, lui et Laura Dern, descendre dans ces endroits de grande émotion. Hugh Jackman m’a bouleversé, et l’émotion du film tient à ce travail d’honnêteté effectué par tous les acteurs.
La fin de The Son prend une forme surprenante au regard du reste de la narration, frontale et linéaire. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Florian Zeller : The Son est une ligne droite vers sa destination. Mais pour la fin, il y a un élargissement vers des possibles. Je me suis beaucoup posé la question de la forme qu’elle devait prendre. Je me suis interrogé sur les émotions violentes que ça pouvait créer.
Mais je tenais à faire la fin ainsi, parce que le but de The Son est de dire que si c’est bien une tragédie, peut-être que celle-ci était évitable. Si les bons mots avaient été choisis, si les bonnes conversations avaient été engagées, si l’aide nécessaire avait été sollicitée au bon moment.
Je pense profondément que c’est une tragédie évitable. Beaucoup de gens dans la vie ont besoin d’être accompagnés dans leurs difficultés. Tellement de gens sont en souffrance. Particulièrement depuis le Covid, les chiffres en témoignent. C’est comme une nouvelle épidémie, une épidémie de fragilité psychique. Quitte à avoir une fin brutale sur le plan émotionnel, je voulais interpeller sur ce train lancé contre le mur. Pouvait-il être dévié ?