A l'occasion du 46e festival du cinéma américain de Deauville, Jérémie Guez étaient présent pour la projection de son deuxième long-métrage, "Sons of Philadelphia" avec Matthias Schoenaerts et Joel Kinnaman. Un jeune réalisateur qui pourrait vite s'imposer dans le cinéma de genre français. Rencontre.
Jérémie Guez : un nom à retenir pour le cinéma de genre français
En l’espace de quelques années, Jérémie Guez a connu une véritable ascension dans le cinéma de genre français. D'abord en tant que scénariste, puis il n’a pas trop attendu avant de passer derrière la caméra pour filmer lui-même ses histoires. En 2018 il tourne son premier long-métrage Bluebird. Deux ans plus tard, voilà qu’il présente son second film Sons of Philadelphia en avant-première au festival de Deauville devant une salle pleine - ou presque, en raison des restrictions sanitaires. Un moment forcément marquant pour un adepte du film noir, dont il reconnaît la difficulté du genre à exister en France.
Présent à Deauville à l’occasion de la première de son film, il revient avec nous sur ce cinéma et l’influence de sa culture française sur Sons of Philadelphia, polar tourné aux Etats-Unis et en anglais (voir notre critique).
Depuis 3-4 ans on a vu votre nom apparaître sur de nombreux films. Même s’il s’agissait parfois de “simples” collaborations au scénario, comment expliquez-vous cette omniprésence ?
En fait j’ai écrit beaucoup de choses qui ne se sont pas concrétisées sur le moment et qui ont fini par s’accumuler. J’ai aussi parfois repris des anciens textes qui n’étaient pas encore financés. Ce qui est normal. Je fais du genre et ce n’est pas quelque chose qui coule de source.
C’est quelque chose qui revient souvent, qu’en France ce n’est pas facile de faire du cinéma de genre.
En fait en France il y a plus d’appétence pour l’horreur. Tandis que le film noir et le polar n’intéressent plus grand monde. Pourtant, d’après moi, le genre n’a pas de tradition américaine. On a des films noirs aussi bien français, qu’italiens ou japonais. Après, les Américains ont peut-être plus de volume, mais je ne pense pas que proportionnellement il y ait plus de films qui comptent chez eux qu’ailleurs.
Est-ce qu’il n’y a pas aussi en France un problème de crédibilité ? Ne serait-ce qu’aux yeux du public...
Il faut admettre qu’il y a eu pas mal de daubes, donc forcément ça n’aide pas. Il y en a beaucoup qui se sont plantés dans les années 1990 et début 2000 en essayant de faire du Michael Mann à Paris, et ça a pu lasser les gens. Si l’obsession des Français c’est Michael Mann, ça ne sert à rien. Parce qu’on ne va pas se lancer dans des fusillades sur le Trocadéro. Si on arrêtait de fantasmer le genre en se disant qu’il faut faire comme les Américains, peut-être que ça irait mieux.
Et d’ailleurs, les jeunes cinéastes qui font de l’horreur, le jour où ils ont compris ça, ils ont fait décoller un genre qui n’a même pas de tradition française. La seule tradition d’horreur européenne, elle est italienne avec le gore. Donc ils ont réussi à rendre français un genre qui ne l’était pas spécialement historiquement. Mais pour revenir sur le film noir en France, il ne faut pas oublier qu’un des plus grands cinéastes français contemporains est quelqu’un qui fait du genre : Jacques Audiard. C’est là tout le paradoxe français. Parce que, qu’on aime ou qu’on n’aime pas Audiard, on ne peut pas nier son influence et le renouveau qu’il a apporté, même à l’internationale.
Mais pour Sons of Philadelphia vous avez quand même eu cette volonté de tourner aux Etats-Unis et en anglais, avec toute une imagerie américaine.
Oui on a cette impression de film américain, avec le casting et la manière dont je l’ai fabriqué. Mais je n’ai pas une culture américaine, et mes références n’étaient pas anglo-saxones. En le faisant, je pensais beaucoup plus aux films de genre de Claude Sautet ou de Louis Malle, des œuvres à contre-courant, sans jugement moral, avec des situations assez complexes entre adultes, qu’à des films de Martin Scorsese.
Oui en apparence on peut se dire “film de mafia” ou “de gangsters”, mais l'intérêt est ailleurs.
C’est bien de voir en toile de fond le côté mafia mais ce n’est qu’un prétexte à l’histoire. Je fais aussi une sorte de contre-pied en ramenant la chute d’une famille soi-disant iconique qui va être précipitée, non pas par des règlements de compte en série, mais par un accident de voiture qui a eu lieu vingt ans plus tôt. Je trouve ça assez original.
L’originalité vient aussi de cette quasi-absence de violence physique au profit d’une violence psychologique entre deux cousins.
C’est exactement ça ! En fait, Sons of Philadelphia est un film sur l’emprise psychologique exercée sur le personnage de Matthias Schoenaerts. Il est écrasé par un autre et n’arrive pas à s’en défaire. D’ailleurs, pour Matthias, ça a été un tournage éprouvant, parce qu’il se demandait constamment : qu’est-ce que je peux endurer comme humiliation et de tension sans réagir ? Il essayait souvent de canaliser son énergie entre les prises. C’était impressionnant de le voir travailler ça.
Du coup le fait de prendre Matthias Schoenaerts et Joel Kinnaman qui sont très imposants offre un vrai contraste.
Oui c’était le but. Prendre des types physiquement imposants et les assécher. En plus le hasard du calendrier de Joel a permis de l’avoir très mince pour ce rôle. Donc on a Matthias qui est de loin le plus imposant et pourtant c’est celui qui se fait marcher dessus. C’était important au niveau de l’image d’avoir le dominant physique être dominé psychologiquement.
Le film m’a rappelé Quand vient la nuit avec Tom Hardy et justement Matthias Schoenaerts. Sauf que dedans Matthias extériorisait sa violence. Dans Sons of Philadelphia, on le retrouve dans un rôle plus proche de celui de Tom Hardy qui ne faisait qu’encaisser.
J’aime beaucoup ce film et ça fait plaisir d’en parler parce qu’il a été assez décrié par la critique. Pour moi, c’est le meilleur film de Michaël R. Roskam, on dirait un film d’Alan J. Pakula. Par contre dedans Tom Hardy est plus quelqu’un qui cache son jeu. Il est le plus méchant mais il ne le montre pas. Là, le rôle de Matthias se rapproche plus d’un enfant écrasé qui n’arrive pas à prendre son indépendance, à sortir d’une mythologie idiote par culpabilité parce qu’il pense avoir précipité la chute de sa famille.
On est presque dans la tragédie grecque puisqu’on finit par comprendre que son destin a été scellé dès son enfance...
C’est exactement ça.
Propos recueillis par Pierre Siclier au 46e festival de Deauville. Sons of Philadelphia sort en salle le 30 décembre 2020.