Avec Laure Calamy en tueuse et le Palmashow en duo de flics hilarants pour animer sa comédie noire "Bonne conduite", Jonathan Barré offre un spectacle très réjouissant et une grande fête de cinéma. Rencontre avec le réalisateur.
Rencontre avec Jonathan Barré
Après la co-écriture et la mise en scène des deux film du Palmashow, La Folle histoire de Max et Léon et Les Vedettes, le réalisateur Jonathan Barré présente Bonne conduite, co-écrit avec Laurent Veyriot. Une comédie noire où on suit une fascinante serial killer traquée par David Marsais et Grégoire Ludig dans un génial duo de flics, mais qui surtout présente un univers de cinéma personnel et très référencé, où l'humour le dispute au dramatique dans un équilibre idéal.
Cet univers, son personnage principal incarné par Laure Calamy, la mise en scène surprenante de la "présence" de Thomas Ngijol, la réalité financière d'une telle production... On est entrés dans les détails de Bonne conduite avec Jonathan Barré.
Bonne conduite a tout d'une comédie noire, avec des morts, du drame et de l'humour. Quel a été le point de départ ?
Jonathan Barré : La première impulsion de Bonne conduite, c'est Patrick Godeau qui me demande si j'ai une idée autour des stages de récupération de points de permis de conduire. Je vois tout de suite ce que ça peut avoir de populaire, mais je me dis, "pourquoi ne pas le proposer à Fabien Onteniente ?". Patrick m'a alors dit, "pars sur un film de genre". Ça m'a intrigué, j'ai réfléchi. Je suis parti sur l'idée de cette fille qui travaillerait dans un centre de récupération de points, là où elle trouverait les pires chauffards, qu'elle tuerait ensuite.
Pourquoi elle tuerait ? J'aime les films de vengeance, j'aime quand il y a du noir et des sentiments plus sombres. Je trouve que les deux s'accordent bien, qu'il y ait du sombre et du grave dans la comédie. J'adore par exemple le noir des frères Coen. Je prends le cas de Fargo, parce qu'il y a ce gars qui bute d'autres gars dans une broyeuse à bois... et on rigole quand même ! C'est parce qu'ils sont dans un film noir, une histoire de bandits, mais ils sont nuls et c'est ce qui fait que c'est si drôle. C'est comme avoir un fou rire à un enterrement. Mais ça a été le problème de Bonne conduite pour le vendre, cette noirceur, son côté tragique.
J'aime les films de "vigilante", et je suis toujours attiré par ce qui n'est pas manichéen. Je pense à "Dexter" par exemple, c'est un tueur de tueurs, ça questionne le schéma moral classique. Dans Bonne conduite, la fin va dans ce sens, en remettant en question toute la vengeance du personnage. Et puis aimer quelqu'un qui fait des choses atroces, je trouve ça génial.
Laure Calamy incarne avec le rôle de Pauline cette double dynamique, à la fois comique et tragique. Comment s'est passée votre collaboration ?
Jonathan Barré : Je n'arrive pas à imaginer quelqu'un d'autre, elle est aussi sincère dans le drame que dans la comédie, elle sait être très drôle comme très émouvante. C'était exactement cet équilibre que je cherchais, et j'avais besoin de quelqu'un d'assez bon pour faire les deux. Elle m'a mis les larmes aux yeux, notamment durant le tournage de la séquence du dîner avec Thomas VDB. Il n'a fallu qu'une seule prise. La veille, elle faisait la folle à gribouiller ses carnets, puis après elle donne ça. Laure est d'une telle générosité dans la proposition, dans l'énergie qu'elle amène sur un plateau.
Son personnage Pauline est très cinématographique. Elle a son univers, son costume de tueuse avec cette cagoule blanche.
Jonathan Barré : La cagoule d'abord était noire. Mais je me suis dit, cagoule noire, dans le noir... Aussi, j'aime bien les trucs pop, mais ça m'a pris du temps avant de trouver : blanc. Après, j'adore Spring Breakers. Ça ne vient pas de là, mais dès que j'ai pensé à la cagoule blanche, j'ai pensé à Spring Breakers, et la cagoule blanche dans le noir devient presque iconique. Ce qui est une idée quand même débile, porter une cagoule blanche... Ça en fait presque une super-héroïne. Cagoule noire, on était trop dans une tendance braqueurs. On a mis du temps aussi à trouver la veste avec les épaulettes blanches mais, une fois trouvée, on avait ce costume de super-héroïne. On a galéré, ça a été long !
Un costume parfait pour les séquences nocturnes...
Je voulais faire des scènes de nuit, qui ne soient pas dans des zones éclairées. Et je déteste les nuits américaines. Je recherchais du noir, du très noir, avec des nuances de noir. J'avais cette vision d'une voiture noire qui roule la nuit sans phares et qui attaque des gens. Donc pour ces scènes, on en a bavé pour avoir ce rendu. C'est beaucoup plus simple quand on fait ça en ville, comme dans Drive par exemple, c'est plus facile à éclairer. On a regardé Boulevard de la mort, la première scène, mais là il y a des projecteurs tous les quatre mètres ! C'est éclairé au maximum.
Il y a un effet comique de répétition exceptionnel, avec la "présence" de Thomas Ngijol tout au long du film. Comment vous est venue cette idée ?
Jonathan Barré : Il y a d'abord ce code du thriller psychologique, la folle qui parle à son mec mort. L'idée était de prendre ce cliché et de le décaler en blague. On se dit alors, "il faudrait qu'il soit dans toutes les pièces", et puis "mettons-le dans l'activité correspondant à la pièce". Normalement, je fais toujours un petit caméo dans mes films, et on s'était dit que je ferais ça. Mais pendant la préparation, je me rends compte qu'en fait le rôle est hyper important ! Donc hors de question que ce soit moi, ç'aurait été ridicule. Je commence à me dire, "comment je vais vendre ce truc ?".
Je pense au film Les Petits mouchoirs, dans lequel Jean Dujardin a ce rôle. J'avais trouvé ça fort parce qu'il est une star, et donc l'empathie se fait facilement. Si ça avait été un mec inconnu, on s'en serait peut-être foutus. Je ne suis pas du tout du genre à mettre des stars pour mettre des stars, mais là je me dis, "il me faut quelqu'un de charismatique". J'ai cherché, j'ai eu du mal à vendre l'idée. Et Thomas a accepté, sans qu'on se connaisse vraiment. Il est venu, on a fait ça tous les deux, à l'arrache... Le soir j'étais énervé, convaincu que ça allait être nul, j'étais tout seul...
En fait tout le monde s'en foutait de ce truc de photos, jusqu'au bout de la préparation tout le monde m'a dit :"Faut le retirer ça. C'est nul." Ma femme me le disait, mon co-auteur me le disait, mon producteur me le disait... En mode, "c'est presque gênant".
J'étais donc énervé, tout seul avec Thomas, et lui me disait, "mais il y a personne pour te filer un coup de main ?" (rires). Et puis le jour où ma chef-déco a commencé à en coller partout, on a vu que ça marchait bien. Quand on a commencé à filmer les photos, on était pliés, on avait vraiment l'impression de filmer quelqu'un qui était là. Je crois que c'est ce dont je suis le plus content dans Bonne conduite. Et moi qui travaille avec beaucoup d'inspirations, je crois que ça je ne l'ai jamais vu avant. On aimerait que toutes les idées soient comme ça, mais malheureusement non !
Il y a une générosité précieuse dans Bonne conduite, une abondance. Est-ce qu'il y a eu néanmoins des coupes, des idées abandonnées, des sacrifices ?
Jonathan Barré : Il y a une réalité de budget. Personne ne voulait faire cette histoire. Il était d'abord budgétisé à 9 millions, je l'ai fait à 5, donc c'est sûr qu'on ne peut pas tout faire. J'aurais aimé faire durer un peu plus les poursuites. Mais pas aller dans le gore en tout cas. Les litres de sang dans la gueule, ce n'est pas forcément mon truc. J'ai trouvé le rythme du film quand je me suis rendu compte que dès que je laissais durer un peu trop longtemps, on commençait à sentir le cheap. Ce n'était pas que technique, c'était un feeling.
Bonne conduite a ce côté brinquebalant, que j'aime bien et que je voulais garder, mais tout en s'arrêtant au bon moment. C'est là où on trouve un charme, de la sympathie pour ce côté un peu bordélique. Mais je ne sais pas l'expliquer entièrement, c'est un sentiment.
Virer des pages, fusionner des scènes, en changer certaines pour que ça rentre dans le budget. Je crois que pour Max et Léon j'ai dû retirer trente pages, enlever 3 millions... Et sans compter qu'on en enlève encore au montage ! Donc maintenant je fais attention à ça, pour écrire ce qu'il sera possible de mettre en scène.
Ça joue dans mon écriture maintenant. Certains disent qu'il ne faut pas se préoccuper du budget quand on écrit, mais la réalité c'est que tu peux te retrouver dans la merde parce que tu n'as pas l'argent pour tourner ce que tu as écrit. Là j'écris un autre projet, mon co-auteur part dans des délires et je lui dis "arrête, après c'est moi qui devais devoir tout réécrire pour l'adapter au budget !". J'ai passé beaucoup de temps à faire ça sur Max et Léon, sur Les Vedettes et celui-ci.
En faire trop ou pas assez, c'est le dilemme ?
Jonathan Barré : Je ne suis pas dans le poussif, mais plutôt sur la frustration. Je dis souvent qu'il faut toujours mieux couper trop tôt que trop tard. Je parle pas de montage, mais vraiment d'effet. Je préfère qu'on réagisse avec "ah j'aurais aimé en voir plus", qui je crois est une sensation plus positive que le "ouais ok on a compris, passe à autre chose". Le but est de faire rire, donc trouver ce bon moment, cette bonne durée, c'est tout l'enjeu.
Il y a des références brillantes, entre Usual Suspects, le cinéma de David Fincher et le clin d'oeil plus "technique" au chien de Sylvester Stallone...
Jonathan Barré : Pour Usual Suspects, je me suis mis dans la peau du spectateur, pour avoir ce côté jubilatoire de la référence, et qu'on l'exploite. Rocky est mon film préféré, et j'adore aussi le 6. Pour Butkus, on m'a aussi demandé : "Mais d'où tu sors ce nom ?". Je suis fasciné par Stallone et son parcours. Il y a un super bouquin écrit par un français, Stallone, héros de la classe ouvrière. En ce moment je regarde Tulsa King, et je m'étonne à chaque nouvel épisode de combien c'est bon. Il y a des idées de montage intéressantes, des bonnes interprétations. Je pourrais parler de Stallone pendant des heures !
Quelle est l'étape de fabrication d'un film que vous préférez ?
Jonathan Barré : Je crois que c'est la préparation qui me passionne le plus. C'est là où se fait toute la direction artistique. J'aime beaucoup ça et j'y passe beaucoup de temps. Rechercher, je crois que c'est ce qui me plaît le plus. Le look du film, les fringues, le repérage... Voilà, si je ne suis pas réalisateur je suis repéreur. Je crois que le film se fait essentiellement à la préparation et au montage. Si c'est bien préparé, le tournage va presque tout seul.
Une idée ou une séquence de Bonne conduite dont vous êtes particulièrement content ?
Jonathan Barré : Il y a les photos de Thomas. La scène du mitraillage de la caravane aussi, je suis content de l'avoir faite comme ça. Mais je crois que j'aime beaucoup la scène de l'interrogatoire avec Soazig, son découpage. J'ai beaucoup regardé le découpage de Fincher pour Zodiac, comment faire pour ne pas s'enfermer dans le champ/contre-champ. J'avais des scènes de 5,6 pages, donc imaginer 5 minutes de champ/contre-champ c'est juste horrible. La séquence dans le garage, je dois avoir dix-neuf axes de caméra, et dans le commissariat, c'est simplement les trois personnages et je suis content du découpage.
Je suis aussi un fan de la demi-bonnette, que Brian De Palma a beaucoup utilisée dans Blow Out. Ça permet d'avoir de la netteté au premier plan et plus loin. Ça donne des plans très graphiques. Dans Bonne conduite ce sont les plans où on la voit dans le rétro. Elle est nette et on voit aussi ce qu'elle regarde. Je suis très content de ces effets.