Actuellement à l'affiche de la comédie "On aurait dû aller en Grèce", Gérard Jugnot continue de s'illustrer dans le cinéma populaire dont il est une figure principale depuis la fin des années 70. Nous l'avons rencontré à l'occasion de ce nouveau film, disponible et rieur, mais aussi marqué par la mort brutale de son ami Michel Blanc.
Gérard Jugnot fait de la résistance
À 73 ans, Gérard Jugnot n'entend pas raccrocher. Il sera en 2026 à l'affiche du nouveau film de Christophe Barratier, Les Enfants de la Résistance, et est apparue trois fois dans des comédies cette année. La troisième, c'est dans On aurait dû aller en Grèce, nouvelle réalisation de Nicolas Benamou qui embarque une famille désunie et au bord de la rupture dans une villa corse, et où rien ne va se dérouler comme prévu.
Nous avons rencontré Gérard Jugnot, membre iconique de la troupe du Splendid, acteur trois fois nommé au César du Meilleur acteur et réalisateur de quelques succès mémorables, pour qu'il nous livre sa conception de la comédie, les films qui l'ont construit et sa réaction à la mort de son ami Michel Blanc, brutalement disparu le 3 octobre 2024.
Quelle est l'histoire de On aurait pas dû aller en Grèce, nouvelle comédie dont vous êtes en tête d'affiche ?
Gérard Jugnot : C’est une comédie familiale, une famille désunie qui connaît un revers de fortune. Ils devaient aller en Grèce mais finalement ils se retrouvent en Corse, dans une maison prêtée par un ami du personnage que je joue. Il fallait pas ! Ils vont d’emmerdes en emmerdes et c’est ce qui est beau dans la comédie : le spectateur est bien content que ça arrive à d’autres. Ce n’est pas une comédie de vannes mais de péripéties, qui permettront peut-être à la famille de se réunir.
Vous incarnez ce père de famille en pleine crise, comment le décririez-vous ?
Gérard Jugnot : Il ne s’aperçoit pas à quel point sa famille va mal. Mais il va se réveiller, et retrouver grâce aux yeux de sa femme, sa fille et son fils vont se révéler et il va l’accepter. C’est un personnage un peu borné, il a des problèmes d’argent, sa vie va exploser mais ce sera peut-être pour le mieux ! C'est une comédie pour s'amuser. Il faudrait d'ailleurs une suite, parce que ça se finit quand même en gros point d’interrogation.
Quelle est, selon vous, la recette aujourd'hui d'une bonne comédie ?
Gérard Jugnot : Je pense qu’on peut se moquer de tous les travers, de tous les caractères. Tout dépend du rire. Léo Ferré disait : "je veux bien qu’on rit de moi, mais ça dépend du rire". Il y a deux mille rires différents, avec des rires de haine, des rires humiliants, mais aussi des rires libérateurs, de l’auto-dérision et des rires positifs. On peut rire de tout, la question est de savoir avec quel rire.
S’il y avait une recette, on ne se serait pas pris autant de gadins. Le rire est fragile, et il y en a des différents. Je crois qu’il faut simplement être au plus près de sa sensibilité. La chance est que, parfois, ça marche.
Dans l’esthétique de la comédie, il y a une obligation de son efficacité. Vous ne pouvez pas faire un film beau, mais pas drôle. Il faut que ce soit drôle, et si c’est beau alors tant mieux. Il y a un tas de films très laids qui sont très drôles !
Je fais ça depuis un bout de temps, j’ai collaboré à l’écriture de beaucoup de films. Il faut suivre son instinct. J’ai fait beaucoup de théâtre, et au théâtre vous êtes payés comptant, il faut que ça marche tout de suite. C’est quelque chose de magique, tout le monde peut essayer : lorsqu’on raconte une histoire, si on est un peu en retrait, si vous entendez quelqu’un tousse, si vous pensez que ce n’est pas drôle, alors instantanément ça ne marche plus. C’est ce qu’on appelle la "vis comica", ce pouvoir, cette sensation et ce profond désir de faire rire. Pourquoi ? Peut-être parce que la vie n’est pas toujours drôle, et qu’on rit toujours du malheur.
Quels ont été les films qui vous ont construit ?
Gérard Jugnot : Il y a eu les films de la bande à Robert Dhéry, les "Branquignols", qu’on a un peu oublié aujourd’hui. Il y avait Louis de Funès, Jacqueline Maillan, Michel Serraud, Pierre Tornade et Jacques Legras… Ça a façonné ma jeunesse parce que c’est le cinéma que je regardais avec mes parents. Et puis il y a eu Melville, les films de Clouzot. Je suis un grand admirateur de Clouzot.
Dans ma filmographie, il y a aussi eu des étapes importantes. Les films qu’on a faits ensemble, forcément, Les Bronzés, Papy fait de la résistance, Le Père Noël est une ordure. Puis il y a eu Tandem en 1987, un film qui m’a fait changer de statut. Ceux que j’ai réalisés aussi, avec Monsieur Batignole qui a très bien marché. Les Choristes, évidemment. Tous ces films ont changé ma vie. Il y a eu d’autres choses, qui ont eu moins de succès mais qui me touchent. Un film comme Oui, mais… par exemple. Et il y a encore des succès différents, comme Pourris Gâtés. C’est un film que je trouve très réussi, et qui n’a pas été tout de suite un succès mais qui maintenant grâce à Netflix devient un film très aimé.
Gérard Jugnot : Beaucoup de films m’ont construit, brique par brique, avec le théâtre aussi. L’avantage de l’âge, même s’il y a beaucoup d’inconvénients, est qu’aujourd’hui je peux jouer des choses que je n’aurais pas pu jouer il y a vingt ans. Je suis dans une partie de ma vie où je n’ai plus grand chose à prouver. Après, les gens aiment ou pas. Mais en tout cas je prends un plaisir profond à jouer des personnages, sans aucun calcul pour me faire engager ici ou là. Là je viens de commencer le nouveau film de Christophe Barratier, dans lequel je joue un curé pendant la Résistance, et c’est très agréable à faire, je me sens plus à l’aise… Je ne sais pas si je suis meilleur qu’avant, mais je me sens plus à l’aise dans mes baskets et dans ce métier.
La disparition de Michel Blanc, que vous connaissiez depuis 60 ans, a été un choc. Savez-vous, peut-être, quelle image il aurait voulu laisser ?
Gérard Jugnot : C'est compliqué de répondre... Pour moi, ce qui m’a un peu gêné, c’est qu’on a parlé que de Jean-Claude Dusse. Un personnage formidable. C’était lui, c'était sa création. Mais il a fait beaucoup d’autres films, moins dans la comédie, des films plus graves. Il aimait faire les deux, il n’a jamais arrêté. Il avait, je crois, depuis Marche à l’ombre et dans ses films plus tard, une envie de plus de gravité… Il avait un sens du dialogue époustouflant, ce côté Woody Allen, ce truc de la "politesse du désespoir", avec des personnages très angoissés. Il a montré toute l’étendue de son talent, son éclectisme, en gardant cette envie de faire rire mais en donnant autre chose aussi.
Gérard Jugnot : Rire, c’est un masque. Et Michel l’a baissé plus que d’autres. Christian ne l’a pas beaucoup baissé, moi un peu plus, Josiane aussi. Thierry moins. C’est difficile. Ce qui fait chier, c’est que c’est un peu soudain, rapide. Il aurait pu nous laisser un peu plus de temps. C’est la vie. Et pour nous, « the show must go on ».