Pour son nouveau film "Houria", sorti au cinéma le 15 mars 2023, Mounia Meddour retrouve Lyna Khoudri qu'elle dirigeait déjà dans "Papicha", un des grands succès de 2019. Avec ce nouveau film, qui conte une résilience au sein d'une société algérienne où être une femme libre est encore une gageure, la réalisatrice prolonge son regard critique mais aimant sur une Algérie sous tension. Rencontre.
Houria, vraie-fausse suite de Papicha
Après le grand succès de son très beau premier long-métrage de fiction Papicha, la réalisatrice franco-algérienne Mounia Meddour est de retour au cinéma avec Houria. Pour ce nouveau film, elle retrouve Lyna Khoudri, la formidable Ndejma de Papicha, qui dans Houria tient le rôle-titre, celui d'une jeune et talentueuse danseuse d'Alger dont les rêves sont brisés après une violente agression. Traumatisée, elle s'enferme dans le mutisme, ce qui l'oblige à s'exprimer autrement et à se reconstruire par une nouvelle approche de la danse. On a rencontré Mounia Meddour pour entrer dans les détails de son intention pour Houria, de sa méthode de travail et de sa collaboration avec Lyna Khoudri.
Rencontre
Houria est le portrait d'une jeune femme, mais n'est-ce pas surtout la chronique de la société algérienne contemporaine ?
Mounia Meddour : Lorsqu'on évoque la génération actuelle algérienne, on ne peut pas l'amputer de ce contexte économique et politique. La société algérienne est dense, fracturée et blessée. Tous ces problèmes qu'expose Houria, l'envie de partir, d'être libre, d'être danseuse, de reconduire une voiture... On a besoin de saisir le contexte lourd de cette société. Les personnages luttent dans un contexte complexe.
Il y a une multiplicité de thèmes, comme si Houria pouvait être une peinture exhaustive. Était-ce votre ambition ?
Mounia Meddour : Il y a beaucoup de thèmes. Mais ça fait partie du contexte, la société est immergée là-dedans. Il peut être très difficile de simplement demander un extrait de naissance, on peut se trouver face à des policiers qui n'en ont rien à faire de votre demande. On peut aussi tomber sur des femmes qui veulent quitter le pays, comme le personnage de Sonia, avec tous les risques que ça implique. Et tout ça est hanté par le passé de guerre civile de l'Algérie. On parle aussi des "repentis", une sorte de fantôme qui rode sur cette société.
C'était il y a vingt ans, mais les séquelles sont encore présentes. C'est une société fragilisée par son manque d'artistes aussi. Ceux-là ont quitté le pays, et la société n'a pas renouvelé cette partie de la population. Ces thèmes sont donc indispensables pour montrer à quel point ces personnages naviguent dans une société gangrénée, et sont des héroïnes qui trouvent les ressources nécessaires pour continuer à vivre.
Houria est une fiction de cinéma, mais avec une nature quasi documentaire, le genre dans lequel vous avez débuté.
Mounia Meddour : Venant du documentaire, je ne peux pas déraciner le sujet et l'ancrer dans un contexte neutre. Mais je ne pars pas d'une intention documentariste pour aller vers la fiction, je réfléchis dans l'autre sens. Je travaille sur un projet fictionnel, mais comme ce sont des thématiques sensibles, il est indispensable d'avoir toute la recherche et la documentation nécessaire. Ça commence par la langue, je ne me vois pas travailler avec des comédiens ne parlant que français, parce que ce n'est pas la langue naturelle des personnages, qui est l'algérois.
Il y a eu tout un travail sur le mutisme effectué avec Lyna et des neurologues, des psychologues, des médecins, pour expliquer ce qui se passe dans le cerveau quand on a un refus de parole. Comment celle-ci revient après un traumatisme, comment apprendre la langue des signes... On s'est imprégné de tout ça, et on a aussi beaucoup étudié les chorégraphies. J'ai notamment lu des biographies de chorégraphes qui ont eu des parcours difficiles. Amasser et traiter toutes ces informations donne ainsi la dimension documentaire.
Je dirais aussi qu'il y a une urgence. C'est un cinéma d'urgence. C'est un cinéma sans transitions, je pars du principe que le spectateur est perspicace et qu'il n'a pas besoin de transitions, pas besoin de voir un personnage qui marche dans la rue. J'en tourne, je fais des plans larges, mais très vite dans la narration j'ai besoin de la course effrénée du personnage, parce qu'en Algérie on est dans cette urgence. On essaye de faire, mais sans garantie de lendemain. C'est très cinématographique, c'est une société qui a une dramaturgie très intéressante.
Comment faire du mutisme une force d'expression ?
Avec Lyna on s'est retrouvées le jour du tournage et on s'est dit, "mais dans quel pétrin on s'est foutues" ? (rires). L'Algérien, d'une façon générale, est un personnage très vivant, qui communique beaucoup. Pour le personnage d'Houria, il fallait donc trouver une autre solution pour s'exprimer. Ce n'est plus la parole, ce n'est plus l'humour, comment on transmet les informations ? On laisse donc plus de place aux éléments naturels, comme le souffle par exemple, la respiration. Le son des haïks (vêtement féminin algérie, ndlr) au vent sur la terrasse aussi, la pluie... Ce sont des éléments qui recentrent le personnage, et l'emmènent vers la chorégraphie signée.
C'est votre deuxième collaboration avec Lyna Khoudri, en continuité avec Papicha. Était-ce une évidence de lui confier ce personnage ?
Mounia Meddour : Je travaille d'abord sur des envies de scénarios, d'histoires. Avec Lyna, en quittant le tournage de Papicha, on s'était dit : "Il faut continuer à raconter cette Algérie". On s'est arrêtées dans les années 90, on doit continuer à montrer combien ces femmes sont blessées mais puissantes, elles trouvent des subterfuges pour atteindre leurs rêves. C'est une grande histoire d'émancipation. Le travail très important fait pour Papicha, de la recherche documentaire à la promotion, avec le succès du film qui nous a dépassées, fait qu'on ne s'est pas vraiment posé la question pour Houria.
Ces deux films forment presque un diptyque. Sans Papicha, je n'aurais pas faire Houria. Il fallait partir de cet épisode traumatique pour arriver à ce film de libération. Avec Lyna, on a ce même bagage culturel, l'expérience partagée de Papicha, et une relation de travail très fluide et persévérante. Je crois que c'est ce mot qui définit le mieux notre relation, la persévérance.
Avez-vous une séquence d'Houria en particulier qui vous tient à coeur ?
Mounia Meddour : Je crois qu'il y a une séquence symbolique, que je retiens particulièrement parce que c'est un pivot. C'est quand les filles sortent enfin dans cette forêt, toutes habillées de blanc. Elles investissent l'espace public, ce jardin d'essai du Hamma, qui a quelque chose de paradisiaque. À ce moment, on a Houria qui reprend possession de son corps meurtri, on a ce groupe de femmes qui se retrouvent dans cette chorégraphie collective, et surtout on a la libération de Halima. Elle confie ce collier, et son trauma, au cou de la sculpture. Qui est d'ailleurs la seule sculpture de femme nue d'Alger, puisque les sculptures de femmes nues ne sont pas autorisées. C'est l'acceptation du deuil, c'est accepter d'avancer, et Halima un peu plus tard se regarde dans un miroir et se dit "Oui, je suis belle." Je dirais celle-ci, s'il faut n'en choisir qu'une !