À l'occasion de la sortie en salle ce mercredi de « Au Poste ! » avec Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig dans les rôles principaux, nous avons rencontré Quentin Dupieux, alias Mr. Oizo. « Au Poste ! » est son septième long métrage et, surtout, le premier intégralement en langue française après une série de films californiens.
Très demandé, très actif, très occupé, Quentin Dupieux l'est. Alors que son prochain film - Le Daim avec Jean Dujardin - est déjà tourné, entre deux festivals d'été, après être passé aux Solidays et avant de participer au Burger Quiz d'Alain Chabat, nous l'avons rencontré pour parler, brièvement mais sûrement, de sa nouvelle comédie, intitulée Au Poste !. Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig se partagent l'affiche dans ce quasi-huis clos au sein duquel un inspecteur de police, Buron, interroge Fugain, principal suspect d'un meurtre mystérieux, qui devra lui détailler tous faits et gestes s'étant déroulés la nuit du meurtre.
Plus retors qu'il n'y paraît, Au Poste ! jongle entre différentes cordes humoristiques. Le casting du film, très éclectique, en reflète toute la variété. Pour harmoniser tout ça, Quentin Dupieux a du travailler comme un musicien, un chef d'orchestre, un ingénieur du son. Malgré la disparition progressive de sa propre musique au sein de ses films, et dont Au Poste ! en est l'acmé, il n'a finalement jamais été autant question, dans son cinéma, de musicalité, de rythme et de tonalité. Retrouvez des extraits choisis dans la vidéo ci-dessus ou bien plongez vous dans la tête de Quentin Dupieux avec l'intégralité de l’entretien disponible ci-dessous :
Pourquoi, après la complexité ludique de Réalité, avoir eu envie d’en venir à un format plus resserré avec Au Poste ?
C’est très simple en fait. Quand on est à l’aise dans un truc, on a envie de retrouver de la difficulté. On peut avoir l’impression que Au Poste est un film plus simple, mais après Réalité, le chemin vers un film comme celui-ci n’est pas facile. La simplicité est parfois plus compliquée. Et même si ça paraît bête dit comme ça c’est vrai ! Je me suis amusé avec un format de cinéma et j’ai eu envie d’autre chose. Quand on mange tout le temps la même chose ça devient lassant, là c’est pareil. Un film comme Au Poste, après ma petite série de films californiens, posait plus de problèmes dans sa fabrication et dans l’écriture. C’était donc plus compliqué de le faire mais je suis ravi que ça paraisse au final plus simple. Je ne crois pas d’ailleurs que la complexité de Réalité soit sa plus grande qualité.
Au Poste s’inscrit dans la même configuration que le face à face culte entre Alain Chabat et Jonathan Lambert dans Réalité, que reprennent ici Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig. Cet entretien entre un réalisateur et un producteur sentait le vécu, vous vous êtes déjà fait arrêté ?
Non je ne me suis jamais fais arrêter. Ce qui est vrai c’est que l’entretien dans Réalité s’inspirait de différents moments que j’avais pu avoir avec certains producteurs. Même si ça ne ressemblait pas à ça, j’ai trouvé l’inspiration pour cette scène grâce à quelques moments absurdes vécus dans certains bureaux en tant que cinéaste. Là cette fois je me suis inspiré d’autre chose puisque je ne suis jamais allé à la police. Je ne sais pas d’où ça vient ! C’est peut être plus un film inspiré du cinéma que de ma vraie vie.
Après Wrong Cops et avec Au Poste, on sent une certaine fascination pour le milieu policier…
Wrong Cops était un plaisir policier tout à fait différent. Je l’ai souvent dit et c’est vraiment vrai : si on pose à plat ce qu’il se passe dans Wrong Cops, il n’y a rien de policier. Ça aurait pu être des médecins et s’appeler Wrong Doctors ! En fait ça aurait pu être n’importe quoi car ce qui m’amusait avec Wrong Cops c’était de jouer avec le code de l’uniforme. Alors il y a bien sûr quelques rappels d’éléments de l’univers policier puisque c’est le sujet, mais ce qu’il y a de drôle dans le film et que je trouve super, c’est que ça n’a rien à voir avec la police. Le costume est là comme un élément de décor un peu fastoche.
Dans Au Poste on est moins dans l’uniforme (pause). En fait c’est très bizarre de mettre ces deux films côte à côte car c’est deux visions très différentes de l’univers de la police. Les connexions ne se font pas. L’envie première d’Au Poste était de faire un film de dialogue, comme une pièce de théâtre, même si ça ne fait pas envie dit comme ça… Je ne veux pas faire fuir les gens non plus. C’est comme lorsque l’on dit que c’est un film en noir et blanc, en russe et en huis clos, on peut être sûr que personne n’ira voir le film. En l’occurrence, j’avais très envie de textes, de comédiens et de comédie !
Votre humour se fait encore plus oral, plus incisif. Vous organisez vos dialogues comme un morceau musical, avec des temps forts, des temps faibles, des transitions, plusieurs tonalités d’humour complémentaires qui se répondent. On a l’impression que vous êtes un peu ce chef d’orchestre en slip que l’on voit au début du film et qui se retrouve embarqué au commissariat…
Oui c’est possible, on m’a déjà fait la remarque. Ce qui est sûr c’est qu’il y a un lien avec la musique. La partition serait le script, qui est en fait un texte de 100 pages. L’objectif a été de transmettre ce script et ce texte aux comédiens puis de l’orchestrer pour que ce soit digeste, agréable, drôle et pas ennuyeux. C’est un boulot assez ingrat car il ne se voit pas. C’était compliqué. Le texte était bon mais il était trop chargé, trop complexe. Il y avait tout un tas de trucs qu’il fallait modifier, ça a demandé beaucoup de travail. Et effectivement j’ai été un peu comme un chef d’orchestre. On avait cette partition très solide qu’on a ensuite répétée, travaillée et améliorée. Il y a eu un travail important sur la musique et le son. Pas la musique du film mais celle issue des dialogues. C’était même l’essentiel de notre travail !
Quand on on se retrouve entre quatre murs à faire ce type d’exercice, l’essentiel du boulot réside dans ce que l’on entend, ce que l’on voit. Le calibrage de tout ça permet ensuite de trouver, en quelque sorte, la magie. Tous les jours on était en quête de cette magie. Il ne s’agissait pas de juste tourner les dialogues et de se dire « tiens on a fait la scène n°4, c’est bon on fait la n°5 ». C’était beaucoup plus complexe dans la mesure où tous les jours on passait à côté du navet. Il y avait toujours un sérieux risque que le film soit mauvais étant donné que c’est un exercice très compliqué. Car pour que cette musique soit prenante et agréable, il y a tout un tas de paramètres à gérer. Et encore heureux, sinon on s’emmerderait !
Comment vous faites pour garder le cap parmi les différents niveaux de réalité dans vos fictions ? C’est quelque chose que vous définissez, posez à plat clairement ? Ou vous vous laissez guider ?
En fait ma petite cuisine pour fabriquer mes scripts n’est pas vraiment passionnante. Chacun a sa méthode. Ma matière première vient d’idées issues de l’inconscient. Ce sont des idées gratuites. Ensuite il y a un immense travail pour rationaliser tout ça, pour fabriquer une logique, sans quoi ce serait n’importe quoi. C’est dur à résumer mais c’est presque comme des mathématiques. Il y a un travail de synthèse pour que les blocs fonctionnent entre eux et c’est quelque chose qui se poursuit au montage. Sur Au Poste plus que dans tous mes autres films, c’est la première fois que je me frotte à cet exercice du quasi-temps réel. Il y a un interrogatoire qui se déroule et je ne pouvais pas vraiment jouer avec le montage pour sauver certains trucs. Il y a une précision dans le récit qui est assez forte et la partition – le script – est plus rigide que d’habitude.
Sur un film comme Réalité, la partition était rigide mais, au montage, j’ai pu créer des zones de tourbillons temporels puisque le film s’y prête. Là ce n’était pas le cas. Toute cette mécanique entre le récit et les différents espaces temporels était écrite, pensée à l’avance et solide. Mais expliquer comment je fais cette cuisine là m’est presque impossible. J’adorerais pouvoir partager ça avec vous et avec d’autres personnes mais je pense que, déjà, c’est très ennuyeux d’expliquer le « pourquoi » du « comment », tout le monde s’en fou, et que, surtout, c’est très compliqué !
Pouvez-vous nous évoquer, sans trop en dévoiler, cette scène hallucinante et incroyable qui survient après le générique de fin ?
Alors… c’est ce qu’on appelle un coup de théâtre (rires) ! C’est le moment où littéralement les murs tombent et où l’on envisage tout ce qu’on a vu autrement. Je ne sais pas vraiment comment en parler mis à part le fait que c’est une illustration hyper basique du coup de théâtre. Et je trouve ça marrant puisque le film se présente comme une sorte de pièce de théâtre... Encore une fois, dans l’écriture, il n’y avait pas cette envie à l’origine du projet, mais le film avait besoin d’exploser à la fin. Bref, c'est mon coup de théâtre !
Propos recueillis par Corentin Lê
Au Poste ! de Quentin Dupieux sortira en salle le mercredi 4 juillet.