Présenté au festival de Cannes 2022 en compétition officielle, "Leila et ses frères" est un nouveau tour de force de Saeed Roustaee. Rencontre avec ce jeune réalisateur iranien de 32 ans qui ne cesse d'impressionner.
Saeed Roustaee impressionnant avec Leila et ses frères
Saeed Roustaee avait frappé très fort en 2021 avec La Loi de Téhéran, qui confrontait un policier et un dealer de drogue, et pointait du doigt une société ravagée. Le réalisateur change faussement de style avec Leila et ses frères, un drame familial qu'il met en scène comme un thriller. Une œuvre puissante qui voit une famille pauvre se déchirer en tentant de sortir de sa condition. Devant la maîtrise dont fait preuve Saeed Roustaee, nous avons souhaité en savoir plus sur ce "petit génie" du cinéma iranien.
Comment avez-vous débuté dans le cinéma ?
Je suis entré dans le milieu du cinéma dès quinze ans grâce à un lycée professionnel spécialisé dans le cinéma. Ensuite, je suis allé à l’université. Ce n’était pas facile, car ils devaient prendre seulement vingt ou trente personnes. Ensuite, j'ai directement commencé à faire des courts-métrages, sans avoir à être assistant. Tout cela est allé vite, mais j’ai l’impression d’avoir vécu deux fois plus de choses, comme si chaque jour passé comptait double.
Avez-vous des influences spécifiques ?
Mes films viennent vraiment de l’essence de la vie. Je pense que, dans chaque plan, il faudrait montrer une part de la vie des gens, leur vécu. Il ne s’agit pas uniquement de faire un récit. Le récit est à l’intérieur de la vie des gens. C’est peut-être cela qui touche le public. J'apprends de la vie pour faire des films. Et j’apprends à vivre en regardant des films. C’est une relation bilatérale. Je suis cinéphile, mais je ne peux pas dire quel film ou cinéaste m’aurait le plus touché ou inspiré.
Il y a dans vos films une vision assez pessimiste de la vie.
Les œuvres d’art sont pour moi le résultat de ce qu’il se passe dans la société. Les chats ne font pas des chiens comme on dit. Mais je pense que dans Leila et ses frères, il y a tout de même une part d’espoir. Ce sont des personnages qui ne sont pas usés. Qui essaient de changer les choses. Mais c’est le système, économique ou autre, qui va avoir leur peau.
Parlez moi du choix de vos acteurs. On retrouve dans Leila et ses frères les mêmes que dans La Loi de Téhéran.
En réalité, tous ces gens que vous voyez à l’écran, ce sont mes amis. Je les connais parfaitement, je les ai vus dans toutes les situations de la vie et je sais de quoi ils sont capables. C’est presque terrible mais, d’une certaine façon, je profite de leur amitié car à chaque moment de la vie je vais penser à m’en servir.
Ensuite si vous prenez quelqu’un comme Payman Maadi, c'est un acteur extrêmement compétent. Et il faut savoir qu’en Iran il n’avait jamais accepté un rôle secondaire. Mais ce personnage de Manouchehr l’a intrigué car il est très complexe. Et il l’a joué avec beaucoup d’enthousiasme.
Un autre personnage notable est Alireza (Navid Mohammadzade). Il est celui qui reste au milieu et qui est prêt à accepter les choix de son père.
En fait, toute cette famille est dans un appartement minuscule. Ils deviennent de la vie des autres car, eux, ne peuvent pas être séparés. D’ailleurs, on a souvent l’impression qu’ils parlent fort, mais en réalité c’est juste qu’il n’y a pas assez d’espace vital. C'est aussi pour cela qu'il y a si souvent des gros plans dans le film, car il n’y a vraiment pas de place. Or, dans la vie, il faut de la place pour soi. Pour pouvoir réfléchir. Ce n’est pas le cas pour eux. Ils dorment ensemble, mangent ensemble, etc.
Donc au lieu de réfléchir, ils ne font que se mêler de la vie des uns et des autres. Et au milieu il y a Alireza, le seul qui a pu partir. Lorsqu’il revient, il pense encore que chacun peut avoir ces moments de réflexion. C’est pour cela qu’il a cette position.
Malgré la situation, l'humour a une place et il y a même des moments de joie mais qui sont éphémères. Comme trouvez-vous le bon équilibre ?
Quand j'écris, je ne cherche pas à insérer dans l’histoire un moment qui doit être drôle, un moment qui doit faire pleurer, etc. Je représente vraiment le cours de la vie, donc cela vient naturellement dans le récit. Néanmoins, mon personnage d’Alireza dit à un moment qu’ils ont peur d’être joyeux. Car ces moments sont extrêmement éphémères. Vous savez, nous sommes dans une société où les problèmes arrivent les uns après les autres. Et on sait que les moments de joie sont peu significatifs finalement.
Leila et ses frères de Saeed Roustaee, en salles le 24 août 2022. Retrouvez ici notre avis.