Dans "La Voie royale", Suzanne Jouannet interprète une "matheuse" qui souhaite rentrer à Polytechnique. Excellente dans ce rôle, l'actrice nous parle de son expérience sur le film de Frédéric Mermoud.
La Voie royale : rencontre avec l'actrice Suzanne Jouannet
Réalisé par Frédéric Mermoud, La Voie royale suit Sophie, une jeune lycéenne qui, lorsqu'elle n'est pas en cours, donne un coup de main à ses parents et son frère pour l'entretien de leur ferme.
Mais encouragée par son professeur de mathématiques, elle décide de tenter une autre voie que celle qui semble lui être destinée. Elle se rend ainsi à Lyon, dans une classe préparatoire scientifique avec pour objectif d'intégrer Polytechnique.
Après avoir été révélée dans Les Choses humaines (2021), Suzanne Jouannet est cette fois de tous les plans dans La Voie royale. L'actrice porte véritablement le film et nous fait vivre le stress, la tension et l'inquiétude de Sophie, débarquée de "son bled" et confrontée pour la première fois à la difficulté des mathématiques.
Déjà excellente dans son film précédent, Suzanne Jouannet continue de convaincre en rendant Sophie extrêmement touchante. Rencontrée pour la promotion du film, la comédienne nous parle de son personnage, de "la poésie des mathématiques" et de l'aspect politique du film. La Voie royale traitant de l'ascension sociale, mais aussi du mouvement des gilets jaunes et de la place des femmes.
Qu’est-ce qui a attiré ton attention pour La Voie royale ?
Ce qui m’a intéressé avec La Voie royale c’est que ça n’avait rien à voir avec mon précédent film, Les Choses humaines. Disons que c’est plus léger. Mais les thématiques restent profondes et sérieuses. Ensuite, pour moi, c’était agréable de passer à un personnage qui n’est pas du tout timide ou réservé. Et également de pouvoir faire des choses que je ne connaissais pas du tout, qui étaient loin de moi, comme les maths et la vie à la ferme.
Il y a aussi un aspect politique important dans le film.
Bien sûr ! Que ce soit la question des concours ou des classes sociales, ça me parlait beaucoup. J’étais contente de pouvoir en parler. J’étais déjà sensible à des questions politiques. Mais c’est vrai qu’en préparant le film, je me suis informée davantage, et ça a pris pour moi une autre dimension.
D’une certaine manière, ça m’a fait grandir. Sur les questions de classe sociale, l’égalité des chances, etc. Mais c’est aussi un film qui parle des agriculteurs et des gilets jaunes. C’est important, car on ne parle pas si souvent d’eux. Même s'il y a bien sûr des films, comme Petit paysan.
Concernant Sophie, ton personnage, qu’est-ce qui te plaît chez elle ?
J’aime ce personnage car c’est une fille qui va se politiser au fur et à mesure du film. Mais aussi, elle a un parcours particulier. C’est une fille qui va au lycée tous les jours et qui doit bosser tous les matins à la ferme. Je l’admire beaucoup pour ça.
Et puis, il y a le fait que c’est une battante. Elle a beau être en infériorité, par rapport à sa classe sociale et ce monde qu’elle ne connaît pas, on voit qu’elle a un caractère et qu’elle veut défendre sa terre natale. J’aimais bien cette authenticité qui déborde de partout. Elle a à la fois un complexe d’infériorité, mais aussi de supériorité car elle n’accepte pas les choses. Ça la rend assez complexe.
Justement, entre la ferme et les formules mathématiques à réciter, tu t’y es préparé comment ?
Avec une partie de l’équipe on a passé une journée avec les propriétaires de la ferme pour qu’ils nous expliquent comment faire. Même si c’était pour quelques plans, je ne voulais pas qu’on ait l’impression que j’ai peur des animaux. Ce qui n’est pas le cas. En fait, c’est plutôt une peur de les blesser, de mal faire quelque chose. Je voulais vraiment qu’on y croit.
Pour la partie mathématique, j’ai eu un professeur qui venait de Polytechnique. C’était assez fou car il a mon âge. Il m’expliquait tout, mais au final je n’avais pas forcément à comprendre ce que je disais. C’est impossible quand on n’a pas ce niveau. Et alors quelqu’un comme moi qui vient d’une filière littéraire....
Vraiment, je ne comprenais rien ! Sauf qu’il fallait tout de même éviter tout non-sens. Ça m'a permis de voir que les mathématiques, ça peut être hyper beau. Il y a vraiment une poésie que je trouve sublime maintenant. Même si je ne comprends pas. (rire, ndlr)
Tu as eu des difficultés pendant le tournage ?
J’ai eu le Covid. Le tournage a été bloqué pendant une semaine. C’était compliqué, évidemment, mais au-delà de ça, c’était un tournage assez dense. On avait 28 jours donc il fallait caler beaucoup de choses en peu de temps. Et pour moi, la difficulté venait du fait que je suis dans tous les plans. Donc obligée d’être là du matin au soir. Mais en contrepartie les gens étaient aux petits soins avec moi.
Dans le film on ressent une vraie tension parce qu’on est avec toi et on vit ce stress des concours. Ça t'a marqué de jouer sous tension de la sorte ?
Non, pas vraiment. En fait, il y avait tellement de bienveillance dans l’équipe de tournage, et beaucoup de rire, donc c’était plutôt une expérience de joie. Même pour les scènes d’émotion. Je dirais même que ça m’a fait du bien, comme une sorte de purge. Je suis déjà passée par des concours. Et même dans les castings il peut y avoir cette même tension. Donc c’était agréable finalement de pouvoir faire ressortir ce vécu.
Forcément, on ne peut s’empêcher de faire un lien entre ces concours pour une grande école et les castings, qui sont des concours mais pour des rôles.
C’est évident que j’ai fait des transferts par rapport à mon métier d’actrice. Sur les doutes, sur le fait de passer des concours, sur le choix de tout quitter et d’essayer de se donner une chance. Et même à travers les échecs. Sur les raisons qui font qu’on continue. Je pense que ça va changer au cours de ma vie, mais je pense qu’on peut parfois se perdre dans les raisons pour lesquelles on fait ce métier. Et pourquoi on s’accroche.
Pour Sophie, pendant un moment elle n’est pas actrice de sa vie. Elle fait ces concours mais pourquoi ? Il lui faut suivre un chemin avant de pouvoir décider vraiment ce qu’elle veut faire et de quelle manière. C’est ce que j’ai dû faire personnellement par rapport à mon métier.
Pour quelle raison je suis actrice ? C’est vaste. Mais en grande partie il y a l’envie d’être messagère et universelle. Si pour Sophie son but est de changer le monde, pour moi, si je peux créer de l’émotion, faire du bien et faire comprendre des choses aux gens, même à ma toute petite échelle, c’est déjà bien.
De manière plus large qu’est ce qu’un film comme La Voie royale peut apporter d’après toi ?
Pour certains, ça pourrait apporter de la guérison. Pour ceux qui le verront à la campagne par exemple. J’espère qu’ils se diront qu’eux aussi ils peuvent viser les grandes écoles. On sait que c’est compliqué de changer de classe sociale, mais les films peuvent toujours aider à faire changer les choses.
Et je dirais aussi par rapport aux femmes. Car le monde scientifique est un milieu hyper fermé et dans l'inconscient on associe ça davantage aux hommes. C’est l’effet Matilda, qui fait qu’on va plus retenir les hommes dans le milieu scientifique.
Par exemple, si on demande de citer une grande figure, chez les femmes il y en aura une : Marie Curie. Et plusieurs pour les hommes. C’est aussi pour cela qu’il y a beaucoup de jeunes filles qui, de base, ne vont pas aller vers ces carrières. Donc si le film peut rendre ça un peu plus glamour pour les femmes ce serait bien.
Et pour toi ?
Comme beaucoup, je n’aime jamais ce que je fais. Je suis toujours très exigeante et jamais satisfaite. Ce n’est pas grave, je l’accepte et j’en rigole même ! Mais je peux quand même voir quand il y a des progrès. La seule chose que je veux, par rapport à moi-même, c’est réussir à me dire que ce que je vois, ce n’est pas que moi, mais je vois le personnage et le travail derrière.
Sinon les retombées, ce qui m’importe ce n’est pas tellement la notoriété. Évidemment, ça aide à avoir d’autres projets. Mais ce que je préfère c’est quand des gens ont eu la vie de mon personnage, qu’ils viennent me parler et qu’ils me disent que ça les a touchés. Il suffit d’une personne.
La Voie royale de Frédéric Mermoud, en salles le 9 août 2023. Retrouvez ici notre critique.