Nous avons eu la chance de rencontrer Tahar Rahim, interprète du rôle principal dans la série "Le Serpent", diffusée sur Netflix. Une expérience et un rôle complexe pour cette production britannique que l'acteur français détaille avec enthousiasme et passion.
C'est hors des frontières nationales que l'acteur Tahar Rahim a tourné ses derniers rôles. C'est en effet avec Désigné coupable au cinéma et Le Serpent sur Netflix que Tahar Rahim revient en 2021 et, à mieux regarder sa filmographie, cette incursion dans des productions étrangères ou internationales n'a rien d'anecdotique. En effet, voici bientôt quinze ans que l'acteur français s'épanouit dans une alternance de productions francophones et étrangères, très souvent dirigé par des références du cinéma contemporain. Les français Jacques Audiard, Jean-Jacques Annaud, l'iranien Asghar Farhadi, l'allemand Fatih Akin et l'écossais Kevin Macdonald, pour ne citer qu'eux. Friand de rôles complexes, boulimique de travail, Tahar Rahim est revenu pour nous sur son rôle-titre dans Le Serpent, une série ambitieuse produite par la BBC et diffusée en France sur Netflix à partir du 2 avril 2021 (notre critique ici).
"Le Serpent", c'est le surnom de Charles Sobhraj, escroc et tueur en série qui a essentiellement sévi durant les années 70 dans la région d'Asie du Sud-Est. Avec sa femme Marie-Andrée Leclerc (interprétée par Jenna Coleman), il empoisonnait ses victimes - des touristes lancés sur la Hippie Trail - afin de les voler. Séducteur, charismatique, celui qui se faisait passer pour un négociant en pierres précieuses purge actuellement une peine de prison à perpétuité au Népal, après une très longue traque et de multiples rebondissements. Un personnage à la personnalité très complexe que Tahar Rahim a voulu explorer, une intention qui relève de l'évidence quand celui-ci raconte ce rôle, un grand sourire aux lèvres sous des yeux d'une fascinante noirceur.
Vous incarnez Charles Sobhraj, un tueur en série célèbre et toujours vivant. Comment avez-vous obtenu ce rôle ?
J'ai eu une proposition classique, par mail, de mon agent américain. Ça faisait un bon moment que j'avais envie d'explorer le mal dans un personnage, de m'y frotter. Pour plein de raisons, d'abord parce que c'est mon métier, de promener d'un personnage à un autre, et d'en trouver qui sont le plus éloignés de moi-même. Dans ce cas-là, l'exploration du mal est le trajet le plus rapide.
Mais ça a été finalement très surprenant pour moi. Je déroule le mail et je lis "meurtrier, escroc, cambrioleur, évadé de prison". Je me dis "bon, ok...". Et ensuite, je lis Charles Sobhraj. Et je connais ce personnage parce que j'ai lu le livre quand j'avais 16 ans. Quand je l'avais lu, l'homme m'était tout de suite apparu en images, en film, donc en personnage. Je suis jeune, je veux être acteur, je suis naïf et je ne me rends pas bien compte de l'ampleur de l'horreur que c'est.
Je vois le reste, le charme du mec, le bagout, le fait qu'il échappe à toutes les polices, qu'il est acteur aussi, dans un sens, puisqu'il prend des identités différentes, et qu'il est français aussi. Donc je fantasme de le jouer. En 2001, William Friedkin et Benicio Del Toro devaient faire un film, et j'ai alors ressenti comme une petite déception... Mais vingt ans après, je reçois donc ce mail !
Avez-vous déjà incarné un personnage aussi froid, aussi maléfique dans son comportement ?
(Pensif) Non, je ne crois pas. Mais vous seriez étonné, des profils comme Charles il y en a des bien pires. J'ai étudié pendant un bon moment les meurtriers, les tueurs de masse, les tueurs en série... On découvre beaucoup d'éléments communs dans l'enfance de ces individus : l'abandon du père, des maltraitances de la mère, et la triade MacDonald : pyromanie, violences et meurtres sur des animaux, et l'énurésie - faire pipi au lit. Charles avait tout ça. Mais d'une part ce n'est pas systématique, et d'autre part ça ne dit pas tout sur la monstruosité que peut devenir un homme.
Il ya bien pire que lui, ça va parfois dans l'inconcevable, d'où la fascination et la répulsion qu'on a pour ces individus. On vient tous du même endroit, difficile donc de concevoir ces trajectoires quand on est équilibré. L'étude psychologique du personnage ml'a beaucoup intéressé, pour l'incarner bien sûr, mais aussi pour moi en tant qu'homme, en tant qu'être humain. C'est horriblement intéressant !
Cette monstruosité est un venin qui se diffuse dans une reconstitution néanmoins délicieuse de l'époque et des lieux...
Ah, ça c'était les friandises ! Ça c'était le bon délire (rires). Tout est dans le contrôle chez Charles Sobhraj, il était soigné et soigneux. C'était évidemment un plaisir de porter ces tenues-là, de conduire ces voitures, d'écouter cette musique. Et puis tourner à Bangkok, où il reste encore une empreinte de la route des hippies, c'est toujours vivant et c'était le meilleur endroit pour tourner cette histoire. Sans compter que quand se termine la semaine de tournage, tu peux aller sur une île le week-end !
On sort vite d'un rôle comme ça ou est-ce que ça pèse ?
Non, on en sort rapidement. Vous n'avez pas envie de le garder en vous celui-ci ! Quelques jours peut-être... Le personnage et tellement dans le contrôle, il a quelque chose de vibrant et de mystérieux, de flippant et charmant. C'est ce qu'on essayait de créer, et comme il fallait que je reste en forme, je déchargeais beaucoup le soir au sport. J'avais vraiment besoin de laisser sortir.
L'histoire de Charles Sobhraj, c'est aussi celle de sa femme et de son acolyte. Quel souvenir gardez-vous de ce trio ?
C'était des partenaires de jeu rêvés. Jenna est une personne merveilleuse, une âme formidable et exceptionnelle, très attentionnée, du réalisateur au régisseur. C'est un bonheur de travailler avec des gens comme ça. C'est un soldat. Le tournage était très dur, très intense, et jamais de plainte.
Pareil pour Amesh Edireweera, acteur de théâtre dont c'était la première fois devant à des caméras. C'est un excellent acteur, avec une grande spontanéité. Peut-être parce qu'il n'avait pas une grande expérience, il se réinventait continuellement, et j'adore ça parce que ça casse la monotonie. Hors du tournage, on a passé beaucoup de temps ensemble, on parlait de nos personnages mais aussi de tout le reste. Il fallait bien qu'on se détache de cette horreur...
Le Serpent couvre une petite partie de la vie de Charles Sobhraj. Va-t-on vous voir reprendre le rôle pour approfondir encore ?
Je ne sais pas si ça arrivera, mais il est clair qu'il y a énormément de choses qu'on n'a pas encore racontées de Charles Sobhraj. Particulièrement avant cette période, avant qu'il ne devienne un meurtrier. Je me suis éclaté sur ce tournage, j'ai travaillé avec des gens géniaux devenus des amis, et donc j'aimerais beaucoup que ça se poursuive. Et puis retourner travailler en Thaïlande, ce serait évidemment très cool !