Avec "Soudain seuls", le scénariste et réalisateur Thomas Bidegain dirige Gilles Lellouche et Mélanie Thierry dans un brillant film d'aventure mêlé à un drame amoureux émouvant. On l'a rencontré pour entrer dans les coulisses de "Soudain seuls".
Thomas Bidegain ravit avec Soudain seuls
Pour son deuxième long-métrage seul aux commandes - il a réalisé un segment de Selfie -, après Les Cowboys, Thomas Bidegain propose avec Soudain seuls un survival de très haut niveau, isolant un couple au bout du monde, un homme et une femme confrontés à une nature hostile et à eux-mêmes. Une histoire de double survie : rester en vie et rester, ou pas, en couple.
Le scénariste, grand collaborateur de Jacques Audiard, devenu avec réussite réalisateur, a confié l'interprétation de son histoire à Gilles Lellouche et Mélanie Thierry qui, éclairés par la magnifique photographie de Nicolas Loir, livrent des performances saisissantes.
On a rencontré Thomas Bidegain pour ce deuxième long-métrage, co-écrit avec Valentine Monteil. Les questions qu'il a voulu mettre au coeur de Soudain seuls, le tournage en Islande et ses comédiens, le "faux-départ" américain du film... Il nous raconte.
Soudain seuls lie intimement un drame amoureux et un survival. C'était votre ambition dès le départ ?
Thomas Bidegain : J'aime beaucoup faire des films de genre, parce que je crois que ça permet de raconter des histoires très intimes. Pour Soudain seuls, l'idée était donc de faire à la fois une histoire très intime et très large. Avoir ce sentiment d'aventure, tout en étant très proches de ces personnages, et donc avoir cette double survie : la survie personnelle et celle du couple. La survie du couple, c'est ce qu'on a toujours gardé au-dessus, pendant l'écriture, pendant le tournage, on devait s'en faire tout le temps pour le couple.
Il y a beaucoup de films de rencontre où des gens qui ne se connaissent pas sont jetés dans une aventure, et à la fi du deuxième acte ils s'embrassent, etc. Là, que le couple préexiste au film, c'est important, ça permet des questionnements plus matures : "Est-ce qu'on peut remettre le couvert ? Comment se réinventer ?". Ces questions m'intéressaient, et j'ai voulu les mettre à l'intérieur d'un film avec du spectacle.
Se réinventer passe par se mettre à nu, et Soudain seuls fait le choix d'un extrême pour "déshabiller" ses personnages et ce couple.
Thomas Bidegain : Avec Valentine Monteil, la co-scénariste, on a beaucoup réfléchi à cette question : ça veut dire quoi être "seul" ? Au début ils sont sur leur bateau, c'est déjà être assez seul, mais ils ont encore internet, un écran, un téléphone, un iPad, et il va falloir les "peler", comme on pèlerait un ognon, les dépouiller de tout ce qui fait la civilisation.
Quand on est en couple, on peut vivre sur une inertie. On va travailler, on rentre, on va dîner chez des amis, on va au cinéma, on traîne sur internet... Mais là, plus de cinéma, plus de travail, plus d'amis, plus rien.
C'est juste le couple nu, face-à-face, c'est ce qui nous intéressait. On a commencé à écrire avant le confinement, et pendant le confinement je regardais plein de blogs, toutes les phrases que pouvaient se dire les couples, parce qu'il y avait ce face-à-face imposé. Et quand on est en couple, ce face-à-face, on fait souvent à peu près tout pour l'éviter...
Est-ce que le drame de Soudain seuls explore aussi, via ses conditions physiques et psychologiques et par la fin d'un couple, le thème de la fin du monde ?
Thomas Bidegain : Il y a toujours cette question quand on fait des films : comment on parle du monde ? Aujourd'hui, le monde est confronté à sa survie, on est en train de vivre ce moment-là, et au même moment l'équilibre entre les hommes et les femmes est questionné. Un équilibre qui existe depuis des siècles et qui tout d'un coup est bouleversé. Je m'en suis rendu compte tard, mais c'est aussi ce que raconte Soudain seuls. Il peut y avoir un côté "que le meilleur gagne", et le "meilleur" n'est peut-être pas le plus costaud...
D'où ce casting idéal pour illustrer ce bouleversement, Mélanie Thierry et Gilles Lellouche ?
Thomas Bidegain : C'était super de tourner avec Gilles et Mélanie, qui sont d'abord des comédiens merveilleux, mais aussi pour leurs tailles : le côté imposant de Gilles, et le côté frêle de Mélanie, et en même temps toute la détermination qu'elle déploie, qu'on ne voit pas venir, c'est formidable.
Ces deux comédiens étaient vos premiers choix ?
Le film a eu une histoire compliquée. Je l'ai d'abord écrit en anglais et j'ai commencé une production américaine (avec Jake Gyllenhaal et Vanessa Kirby, ndlr), et puis je me suis rendu compte que ça n'allait pas. Parce que les acteurs américains veulent prendre le pouvoir, parce qu'on ne voulait pas raconter la même histoire... Et tout s'est effondré.
On m'a alors dit, "tu vas voir, les choses arrivent pour une raison", et c'est pas faux (rires). Parce que j'ai rencontré Mélanie et Gilles, et on s'est entendus, on voulait faire exactement le même film. On n'était pas nombreux à faire Soudain seuls, on avait besoin d'une équipe mobile, resserrée, seulement deux comédiens... Et ça a été formidable.
Comment s'est déroulé le tournage ?
Thomas Bidegain : J'ai cherché des endroits très minéraux, dans l'hémisphère nord, des endroits où il n'y a pas un seul arbre, pas un buisson. J'ai trouvé ça en Islande. On y a tourné pendant huit semaines, dans des conditions parfois hostiles.
Un film est toujours l'histoire de son tournage, donc pour un film d'aventure c'est pas mal si le tournage en lui-même en est une. Je voulais des décors dans lesquels, tous les matins, les comédiens seraient ébahis.
On a construit les ruines d'une base baleinière, des tas de choses, c'était une aventure ! Gilles et Mélanie ont été saisis par ces décors et se sont dit qu'il fallait maintenant parvenir à les habiter. Pour ce film-là, il nous fallait vraiment les meilleurs ! (rires). Vraiment, on avait une super maquilleuse, et le chef-opérateur Nicolas Loir, sans beaucoup de matériel, a réussi à utiliser cette lumière polaire. C'est toujours ce qu'on essaye de faire dans le cinéma, produire des images qu'on n'a pas déjà vues.
Vous avez beaucoup travaillé avec Jacques Audiard, dont le premier film s'intitulait Regarde les hommes tomber. Et ses films suivants, dont ceux que vous avez écrits, poursuivent cette exploration d'une identité masculine brisée. Est-ce aussi le cas pour Ben, le personnage de Gilles Lellouche ?
Thomas Bidegain : Regarde les hommes tomber, ça pourrait être d'ailleurs le titre de la plupart des films de Jacques ! Mais oui, bien sûr, il y a dans Soudain seuls cette exploration de l'âme humaine et de la masculinité.
C'est une des raisons pour lesquelles c'était formidable d'avoir Gilles. Il est au sommet de sa gloire, c'est l'acteur français le plus populaire, les gens l'adorent, et moi je voulais raconter une chute. Et plus il tombe de haut, mieux c'est ! S'il m'avait dit non, j'aurais pas eu beaucoup de solutions de repli. Il a une très grande générosité, il arrive avec son jeu, sa popularité, sa finesse, et il donne le film à Mélanie.