À l'occasion de la sortie de "Un fils", au cinéma le 11 mars, nous avons rencontré le réalisateur Mehdi M. Barsaoui. L'occasion de parler de sa rencontre avec les comédiens, la situation en Tunisie et ses influences.
Un fils est un drame poignant se situant dans la Tunisie post-2011. Il aborde de nombreuses thématiques que le cinéaste Mehdi M. Barsaoui a pris le temps de développer lors d'un entretien pour Cinéséries. Rencontre.
Quel est le point de départ du projet ?
La question est censée être simple mais dans la réalité c’est plus complexe. Je suis issu d’une famille recomposée et ce sont les questionnements qui en découlent qui sont venus alimenter l’envie de faire ce film. Qu’est-ce qu’avoir des frères et sœurs, qu’est-ce qu’être un père, qu’est-ce qu’être un couple en Tunisie... Que ce soit avant ou après les événements de 2011. J’ai grandi avec ces questions et c’est tout naturellement qu’on les retrouve comme sujet de mon premier film.
Je ne peux pas dire que Un fils est autobiographique, je suis l’enfant légitime de mes deux parents. Je ressemble tellement à mon père qu’il n’y a pas de doute à avoir (rires). Je voulais aussi raconter l’affranchissement, l’émancipation dans la Tunisie contemporaine : féminine et masculine, celle d’un couple aussi. Comment s’affranchit-on des dogmes qui pèsent sur nous ?
C'était important pour vous de placer votre histoire après les événements de 2011 en Tunisie ?
C’était primordial. Je n’ai pas les moyens ni les outils pour parler de la révolution. Je ne suis pas politologue ou sociologue. Parler frontalement de la révolution ne m’intéressait pas. C’était plutôt les conséquences de ces changements sur une famille. Cette famille qui, à travers le secret révélé dans le film, va rentrer en mutation. C'est à l’image du pays qui lui aussi est en plein changement par rapport au Président Ben Ali qui a été chassé du pouvoir. Le film se passe également à quelques semaines de l’assassinat du colonel Khadafi en Libye. C’était important de voir les répercussions de ces soulèvements sur une famille en apparence normale.
Dans votre film, le politique vient contaminer l'intime. Mais dès le début, il y a un positionnement sur les classes sociales qui aura un impact sur la suite de l'histoire... Le film est très riche thématiquement.
Vu de l’extérieur, c’est une famille qui est parfaite. Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils ont de l’argent. Ça se matérialise avec la belle voiture. Pour préciser, un Range Rover coûte extrêmement cher en Tunisie. C’est une famille idéale, dans un monde idéal, dans une Tunisie idéale. En commençant à creuser on se rend compte que ce n’est qu’une vitrine. C’est à l’image de la Tunisie de la dictature de Ben Ali. La Tunisie était ce petit pays avec ces belles plages de sable blanc. Mais les dessous sont plus obscurs. Je souhaitais faire ce parallèle. En choisissant une famille privilégiée, il était intéressant de les confronter à une réalité qu'ils ont inconsciemment ignorée et qu'ils ne maîtrisent pas. Ils sont dans un décor qu’ils ne connaissent pas : celui de l’hôpital public. La bulle qui les protégeait va éclater et les confronter à leurs propres choix.
Votre film se rapproche du thriller dans le rythme qu'il imprime. Pourtant on sent une volonté de réalisme, fuyant le genre.
Cela s’articule autour de deux moteurs. C’est d’abord l’écriture. Le film est très fidèle au scénario. C’est un rythme qui a ensuite été insufflé au montage mais qui a toujours été dicté par le scénario. C’est une course contre la montre, avec plusieurs branches, plusieurs pistes à explorer. Mais c’est venu aussi de la mise en scène. Avec Antoine Héberlé, le chef opérateur du film, nous avons opté pour une caméra portée. Tout le film est filmé à l’épaule. Je voulais une mise en scène viscérale, organique, qui ne lâche jamais les personnages. Ce qui m’intéressait, c’était être proche de leur douleur, d’essayer de les comprendre, sans les condamner. Tout cela s’articulait donc autour de cette caméra nerveuse. Pour autant, je ne voulais pas céder aux codes du genre. Je voulais avoir une liberté. C’est l’écriture qui m’a permis de rester à distance de tout ça.
Avez-vous été bercé par des influences pour Un fils ? N'y-a-t-il pas du Asghar Farhadi dans cette volonté de "thriller social-réaliste" ?
Wahou. C’est le plus beau des compliments qu’on puisse me faire. Je suis très sensible au cinéma de Farhadi, notamment sur Une Séparation. L’idée était de suivre la descente aux enfers de cette famille. Il y a certes l’environnement social dans lequel ils évoluent, notamment avec les lois qui régissent notre quotidien. Inconsciemment, je pense que Fahradi a été très important. C’est des références qui font partie de moi intrinsèquement. Mais il n’y a rien eu de conscient. Mon but était de coller au plus près de cette famille, de les suivre et de les comprendre. Le reste est allé naturellement.
Un fils est aussi un film d'acteurs. Pourquoi s'être tourné sur Sami Bouajila et Najla Ben Adballah ?
J’ai été tenté d’écrire le film pour des acteurs, mais je me suis ravisé. C’est mon premier long, je ne voulais pas que ça crée une limite dans mon processus d’écriture, une barrière dans mon inspiration. Je ne voulais pas m’enfermer dans des cases. Je suis tombé sur Les silences du palais de Moufida Tlatli où Sami Bouajila joue dedans. Ça m’a tout de suite frappé. On pense pas souvent à lui parce qu’il ne vit pas en Tunisie, sa carrière est en France. Je trouvais ça intéressant que ce personnage de père soit interprété par un homme qui ne maîtrise pas très bien le pays. Ça collait parfaitement au personnage.
Najla Ben Abdallah, ça a été un peu plus compliqué. C’est une véritable star en Tunisie mais elle n’a pas fait beaucoup de cinéma. On a fait des essais caméra qui ont duré des mois. En plus j’ai horreur de l’étape du casting. Auditionner des acteurs, je trouve ça froid, impersonnel, pas dans le rythme. C’est glaçant. Je fais des essais filmés sur la base d’improvisation. Je racontais le scénario aux prétendantes et on se lançait dans des séquences qui n’existait pas dans le scénario. Najla m’a scotché par son talent. C'est devenu ensuite une évidence.
Quelle était la place de l’improvisation et de l'écriture ?
C’est très écrit. Nous avons beaucoup répété, pendant plus d’un mois de préparation en totale immersion avec les acteurs, donc ça ne laissait pas beaucoup de place à l’improvisation. On a réécrit les dialogues ensemble, on s’est adapté pour une meilleure mise en bouche. Je voulais toucher du doigt une certaine vérité, un naturalisme. C’est un scénario technique basé sur des piliers dramaturgiques, on ne voulait pas explorer d’autres pistes.
C'est un film qui joue beaucoup sur les silences, les regards, les non-dits. C'est ce que vous souhaitiez chercher à l'écriture ?
Ce qui m’intéresse dans le cinéma, c’est de filmer les yeux, d’où ce choix du gros plan. Les yeux, c’est le miroir de l’âme. Un regard peut remplacer milles mots. C’est ça ma conception du cinéma. C’est des émotions. La caméra était très proche et filmait sans arrêt alors quand il y avait un moment de vérité, on était là pour le capter.
Quelle est la signification de ce dernier regard ?
C’est de l’espoir. C’est un couple qui apprend à se regarder de nouveau. Et quand on arrive à cela, on est capable de défoncer toutes les portes.
Propos recueillis par Jonathan Rodriguez
Un fils en salle le 11 mars 2020. Ressortie exceptionnelle le 22 juin 2020.