Elle joue Françoise, une lavandière parisienne en lutte pour elle-même et les siens. Lui joue Basile, un voleur de poules emporté et sublimé par la Révolution. Rencontre avec leurs interprètes, Adèle Haenel et Gaspard Ulliel, à l’affiche du film historique "Un Peuple et son roi".
Aujourd’hui sort Un Peuple et son roi, grande fresque sur la Révolution française. Réalisé par Pierre Schoeller, le film choisit de revivre cet épisode historique au sein de l’intimité du peuple, croisant la « grande » histoire avec des parcours personnels et intimes. Un Peuple et son roi est mené par un casting impressionnant, avec notamment Gaspard Ulliel et Adèle Haenel. Nous les avons rencontrés pour parler de cette expérience unique.
La Révolution Française est un grand sujet, est-ce qu’on ressent de la pression ?
Gaspard Ulliel : C’est un sujet très ambitieux, et je l’ai identifié ainsi dès le départ. J’avais cette envie très forte de travailler avec Pierre Schoeller. J’avais été très impressionné par Versailles et surtout par L’Exercice de l’état. Quand il m’a appelé pour ce projet, pour être honnête, ça faisait un peu peur. On est quand même sur un budget bien supérieur à la majorité des productions françaises. Mais il peut aussi sembler faible au regard de ce que propose le scénario. Il y a avait donc des contraintes rigoureuses. C’était un vrai pari, très stimulant et très fédérateur.
Adèle Haenel : C’est toujours stressant ! Ce que je me dis, c’est que je me suis engagée, et que maintenant il faut que je le fasse, je me suis jetée dans le truc sans trop y penser. Pierre m’avait contacté longtemps avant le film, il voulait qu’on travaille ensemble et j’étais ravie ! C’est un sujet que je trouve passionnant, et c’est rare de travailler sur un film avec autant d’ampleur, j’ai vraiment le sentiment d’avoir eu de la chance de participer à ce film. Il faudrait être fou pour refuser !
Un Peuple et son roi est une très grosse production, comment s’est déroulé son tournage ?
G.U. : L'aspect fédérateur du tournage était très à propos, par rapport au film : la grande expérience collective qu’est la Révolution. C’est un vrai film choral, tous les jours sur le plateau on avait cette sensation d’appartenir à un groupe, avec la volonté de Pierre de ne pas cloisonner. Les acteurs, les figurants, tout le monde se mélangeait. Une véritable expérience collective, avec ses soubresauts, son équilibre précaire, à l’image de la Révolution. Pierre a su se laisser aller à une forme de chaos, de frénésie, ce qui est aussi le sujet du film.
A.H. : J’aime beaucoup la métaphore qu’il y a dans le film autour de l’univers, de la matière… Je vais faire une digression : pendant le tournage d’Un peuple et son roi, je lisais un livre d’Etienne Klein (physicien et philosophe des sciences, ndlr), qui dit qu’avec la conception quantique de la matière, il n’y a pas de cloisonnement entre la matière et le vide, il y a un continuum, c’est-à-dire que la matière vient du degré d’agitation du vide, et j’ai trouvé ça génial. Je pense que c’est la même chose dans un mouvement politique, pour la Révolution c’est une agitation qui s’est construite pour faire ce « précipité » politique.
Pour la fabrication du film, c’était impressionnant, monstrueux, le nombre de gens présents, les équipes autour. Il y a ainsi quelque chose de bordélique, d’infernal, et on va tirer de ça la matière du film.
Le film est charnel, très proche des corps de ses acteurs, c’est un traitement inédit de ce moment politique ?
G.U. : Oui, c’est ce qui m’a semblé singulier, de reprendre un sujet et d’y apporter un regard nouveau, en tramant l’aspect historique avec une distanciation poétique, parfois métaphysique, et une approche plus intime, humaine. Il y a les grandes figures, Marat, Robespierre, reine Audu, le roi. Mais aussi des personnages totalement fictionnels et anonymes. Il y a l’intime et le politique, et l’individuel et le collectif. C’est la somme de ces personnages qui montre que la Révolution traverse l’intégralité de la société.
A.H. : Je suis passionnée par les idées politiques, mais dans la perspective du sentiment, du corps. La politique n’est pas une idée froide qui ne communiquerait pas avec le reste, c’est quelque chose de physique. Il y a toujours beaucoup d’entraves à la véritable expérience intérieure, et une révolution vient changer la façon dont on désire, dont on aime, comment on partage. Les moments de lutte changent radicalement les comportements avec les autres.
Vos personnages Basile et Françoise sont des personnages de fiction, et forment un couple iconique de la révolution. Ce sont des parcours particuliers, mais qui incarnent donc un destin collectif?
G.U. : J’ai été très séduit par ce personnage de Basile, qui est celui qui va le plus évoluer dans l’histoire. Il passe de l’anonymat le plus total pour finir en un héros de la Révolution, et qui devient avant tout un individu complet et un citoyen accompli. Il va intégrer une famille avant de fonder la sienne, et l’enfant qu’il a avec Françoise est l’enfant de tous les possibles. La séquence où le roi touche la tête de Basile, c’est une forme de transmission inconsciente du pouvoir entre l’ancien régime et celui qui va suivre.
A.H. : Le destin de Françoise est singulier, mais sans être exceptionnel. Il fallait donner une âme à une foule, mais il n’y a pas de personnages plus importants que d’autres, ce sont des portes pour accéder au collectif. Pour moi, il est très important d’être révolté. De demander trop, comme on dit. Il faut se soulever, pas pour avoir une plus grande télé, mais pour avoir plus de possibilités de vie. Il est nécessaire d’être en lutte, et de ne pas accepter la réalité technocratique qui, elle, est mortifère.
Un Peuple et son roi, de Pierre Schoeller. 2h01mn. En salles le 26 septembre.