Canal+ propose une nouvelle Création Originale de qualité avec "La Fièvre", excellente proposition d'Eric Benzekri après "Baron noir". Nina Meurisse et Ana Girardot s'y affronte, dans une France au bord du chaos...
C'est quoi La Fièvre sur Canal+ ?
L'histoire de La Fièvre débute au moment de la remise de prix du football français. Une star y est attendue : Fodé Thiam (Alassane Diong). Le joueur vedette du Racing est le grand favori de la cérémonie. Pourtant, il dérape. Le voilà qu'il se lève, met un coup de tête à son coach et le traite de "sale toubab" ("sale blanc" en wolof), avant de quitter les lieux. Le président du club, François Marens (Benjamin Biolay), va donc devoir gérer une crise qui ne tarde pas à dépasser le monde du football. Pour cela, il fait appelle à une équipe de communicants, dont fait partie Sam Berger (Nina Meurisse). Cette dernière, spécialisée en analyse sociologique, ne tarde pas à voir apparaître des signaux inquiétants qui lui font penser que la société française pourrait basculer dans le chaos.
C'est précisément ce que va pointer la série tout au long de la saison 1, qui montre la fragilité extrême de la construction de notre société, qui pourrait basculer à cause d'un élément déclencheur en apparence anodin. En effet, sur les réseaux sociaux, tout le monde s'empare de l'affaire Fodé Thiam. Qu'ils soient des personnalités politiques, des spécialistes du football ou des militants. C'est aussi le cas de Marie Kinsky (Ana Girardot), une néo-conservatrice clivante et ancienne collaboratrice de Sam, qui intervient tous les soirs sur l'actualité, et qui manipule les foules pour diviser.
Après Baron noir, un regard passionnant et inquiétant sur la société français
Portée par un casting solide, mais surtout par Nina Meurisse et Ana Girardot (cette dernière est excellente en "méchante" aux airs d'ange), La Fièvre est à l'évidence une des meilleures propositions de Canal+ de ces dernières années. En même temps, on n'en attendait pas moins d'Eric Benzekri, le créateur de la série. Après des années à écrire des discours politiques, ce dernier a décidé de se lancer dans les séries. Dès 2010, il participait à la première saison de Maison close pour Canal+. Mais c'est avec Baron noir (co-créée avec Jean-Baptiste Delafon) que le scénariste a véritablement marqué les esprits, offrant entre 2016 et 2020 une plongée passionnante dans le milieu politique français.
La Fièvre est sa nouvelle création pour la chaîne cryptée (avec la collaboration de Laure Chichmanov et Anthony Gizel), et une continuation de son travail précédent avec le réalisateur Ziad Doueiri (L'Insulte, Cœurs noirs). C'est donc une grande partie de l'équipe de Baron noir qui se reforme pour La Fièvre, qui en plus d'être une fiction passionnante, est d'un réalisme qui fait froid dans le dos.
Comme pour Baron noir, l'objectif de La Fièvre est de raconter l'état de la France d'aujourd'hui, avec toute sa complexité, et notamment l'impact de la télévision et des réseaux sociaux sur la société. Le football n'est au fond qu'un prétexte pour traiter d'un sujet plus large. Même si, dans la réalité, ce milieu est souvent au cœur de débats (sur le racisme et la crise identitaire). Et Eric Benzekri, fan de foot, n'a pas opté pour ce sport par hasard.
J'ai 50 ans, en 1998 j'en avais 25, et c'était la France Black Blanc Beur. Je considère que dépuis il y a eu une petite évolution dans la vision qu'on porte sur le caractère rassembleur de ce sport. Mais surtout je voulais raconter, comment à travers le foot, on a une lecture de la société.
Une série (trop) proche de la réalité
Comme l'expliquait Olivier Bibas, directeur de la création chez Canal+, lors d'une conférence de presse de la série, ce qui ressort de La Fièvre "c'est la question du vivre ensemble et de ce qui fait société". Sauf que le talent d'Eric Benzekri est d'assumer entièrement la fiction sérielle avec tout ce qu'on attend d'elle : des personnages attachants ou fascinants, des rebondissements, du rythme, du drame, du rire, etc. Tout en ayant cette accroche dans le réel qui, au fil des épisodes, rend le show inquiétant, voire carrément effrayant lorsqu'on pense à ce qui pourrait arriver en France aujourd'hui. En France, mais pas que, comme le précisait Ziad Doueiri, originaire du Liban et ayant obtenu la nationalité américaine :
Peut-être que pour vous La Fièvre est une série qui représente la France, parce que ça se passe en France. Mais ce qui était très touchant pour moi, c'est que son sujet ne s'applique pas seulement à ce pays, mais partout. Je pourrais transposer cette histoire au Liban ou aux États-Unis. Ça dépasse les frontières.
Ce qu'Eric Benzekri parvient si bien à traduire avec La Fièvre, c'est cette inquiétude ambiante (au travers de Sam qui voit venir l'apocalypse) devant la montée des extrêmes et de la violence. Le scénariste pointe d'une part la réutilisation politique de différents camps, qui malgré leurs oppositions peuvent mener à la même chose. On le voit avec Kenza Chelbi, qui cherche à embarquer Fodé Thiam dans son combat contre le racisme systémique, mais qui ne crée finalement que davantage de scission au sein de la population et rentre, au fond, dans le jeu de Marie Kinsky. Sur cette représentation large du spectre politique, loin d'être glorieuse dans La Fièvre, Eric Benzekri s'explique :
Sur l'ensemble du spectre politique, l'idée de la catastrophe est mise en avant. De gauche à droite, grosso modo, on nous dit : "On va tous mourir, et pour éviter ça, il faut faire ce que je dis". Je pense que c'est un niveau de discours anxiogène, qui rend les discussions et les moyens de se réparer très compliqué. Je ne pense pas qu'on puisse construire un monde meilleur quand on dit qu'on le fait pour éviter une catastrophe.
Politique, communication et réseaux sociaux
De plus, le scénariste décrypte parfaitement la puissance des images en représentant ces experts en communication, dont le rôle est de gérer n'importe quelle crise. Ils ne sont ni bons, ni mauvais, mais savent comment, dans un sens, manipuler l'opinion. Et dans La Fièvre, ils le font très bien avec le président du Racing François Marens, dès les premiers instants de la série.
Tous les communicants que j'ai rencontrés m'ont confirmé que lorsque des dirigeants sont plongés dans une crise médiatique, ils ont peur. Leur premier rôle, c'est donc de les rassurer. D'où toutes ces phrases d'agence comme : "La peur, c'est sain, ça force à agir". Et ces détails étudiés comme le fait de relever ses manches pour une photo. En fait, même dans la crise, c'est le spectacle qui domine.
Un spectacle qui a également lieu sur les réseaux sociaux, élément primordial de la série et que Marie Kinsky va utiliser de manière redoutable au fil des épisodes. C'est alors cette facilité à manipuler une pensée qui inquiète. En atteste, Charlotte Pajon, une influenceuse féministe qui, poussée par ses abonnés et la crainte de ne plus exister dans ce monde virtuel, finira par agir à l'encontre de ses principes.
Je pense qu'il y a un besoin de contrôle sur ce monde virtuel. C'est prescripteur de nos vies et on ne s'en rend pas compte. Chacun est dans sa catégorie et ne montre qu'une des facettes de son identité. Si on commence à fabriquer nous-mêmes nos propres algorithmes qui nous enferment dans des bulles, alors on va tous devenir Charlotte Pajon, qui finit par faire quelque chose qui est complètement à l'encontre de ce qu'elle défend. C'est ça qui est fou.
La Fièvre est à découvrir sur Canal+ à partir du 18 mars.