Diffusée à raison d'un épisode par semaine sur Apple TV+ depuis le 20 septembre, "La Maison", série française dans le milieu de la haute couture, est une des meilleures séries du moment. Focus sur une réussite dont on ne parle pas assez.
La Maison vous ouvre ses portes
La stratégie des productions originales d'Apple TV+ est un mystère. Sur les réseaux, les blagues et les mèmes pullulent : des castings prestigieux, des dizaines de millions dépensés, des productions high end et en moyenne 32 spectateurs... La firme Apple, qui cultive le secret et l'ultra-discrétion pour ses produits iconiques, applique étrangement pour ses séries et ses longs-métrages la même méthode. Exemple le plus récent : la comédie noire Wolfs avec George Clooney et Brad Pitt, réalisée par Jon Watts, complètement passée sous les radars. Alors que Netflix dépense sans compter pour faire exister ses programmes et qu'on n'en rate rien, Apple procède à l'inverse. Un mystère regrettable, puisque beaucoup de ses productions méritent largement qu'on s'y attarde.
C'est ainsi le cas de La Maison, production franco-américaine qui fait la chronique du quotidien d'une famille propriétaire d'une maison de haute couture, la maison Ledu. Cette famille est composée du designer star Vincent Ledu (Lambert Wilson), de sa muse Perle Foster (Amira Casar), de sa soeur Marie (Anne Consigny) et de son frère Victor (Pierre Deladonchamps). Ce dernier est passé à "l'ennemi" en épousant Caroline Revel (Florence Loiret-Caille), fille de la toute-puissante Diane Rovel (Carole Bouquet), femme la plus fortunée d'Europe et à la tête du groupe Revel, concurrent de la maison Ledu. Enfin, histoire de nourrir encore une intrigue familiale retorse, il y a Robinson Ledu (Antoine Reinartz), fils de Marie, créateur de génie mais vilain petit canard de la famille qui cherche sa place.
Au coeur d'une maison de haute couture
Tout semble aller bien du côté de la maison Ledu, jusqu'à ce que Vincent Ledu, excédé par une clientèle chinoise impatiente, se lance dans une diatribe raciste, des propos captés par une caméra indiscrète. Le scandale éclate, dans une référence claire à celui de John Galliano, et Vincent Ledu doit se retirer de la maison qu'il a portée au sommet du monde de la haute couture. Entre alors en jeu Paloma Castel (Zita Hanrot), jeune créatrice de prêt-à-porter en pleine ascension et fille de l'ancien amant de Vincent. Une succession doit se faire, et avec elle le règlement de comptes personnels comme professionnels.
Une tendance et un casting performants
Par bien des aspects, La Maison a retenu la leçon du monument Succession. On suit cette maison indépendante et cette famille ultra-riche, prise dans une tragédie shakespearienne et dont la représentation est plus élégante qu'ostentatoire dans l'affichage de la richesse comme dans la peinture psychologique des personnages. Le casting très talentueux de La Maison propose des performances idéales. Lambert Wilson et Carole Bouquet, "vétérans" puissants et charismatiques, tentent chacun avec vice et délice de manipuler la jeune génération afin de surpasser la maison concurrente. Une jeune génération qui a d'autres idéaux et d'autres aspirations. Si l'écriture du personnage de Paloma Castel, entre la transfuge sociale et le chien dans un jeu de quilles, est un poil caricatural, les autres de sa génération font état d'une complexité suffisante pour que chacune de leurs actions soit à la fois logique et inattendue, efficace et porteuse de conséquences.
Défilés tendus, opérations rogue de marketing, guerre d'influences et conflits sentimentaux... Avec cette série sur le milieu de la mode, on ne peut aussi s'empêcher, dans le premier épisode, de ressentir une vague ambiance Emily in Paris. Mais La Maison n'est pas drôle et utilise avec finesse une ironie qui n'est pas tant celle de ses auteurs que celle inhérente au milieu de la mode. Ce qu'on retrouve alors du succès de Netflix est le soin apporté à la sophistication, mi-réelle mi-fantasmée, du milieu de la mode et de ses manières. Si on imagine bien comment cette série aurait pu s'épanouir sur un versant plus comique, c'est que ç'aurait été le choix de la facilité. Mais la tendance cynique au hate watching comme le recours à la comédie pour s'affranchir d'une profondeur sont heureusement à la baisse, et la maturité comme le sérieux affichés par La Maison vont largement de pair avec l'ambition d'emmener le spectateur dans les coulisses de ce milieu pour qu'il s'en régale avec intelligence.
Réalisée avec application par Fabrice Gobert et Daniel Grou, La Maison est un excellent divertissement, dont quatre épisodes sont déjà disponibles sur la plateforme Apple TV+. À raison d'un nouvel épisode chaque vendredi - cette première saison en compte dix -, on recommande vivement de découvrir cette série très réussie.