"Plus une souffrance qu’une folie" : comment Laure Calamy a incarné la mythomane du Bataclan

"Plus une souffrance qu’une folie" : comment Laure Calamy a incarné la mythomane du Bataclan

Nous avons rencontré Laure Calamy, Just Philippot, Jean-Baptiste Delafon et Alexandre Kauffman pour évoquer la série « Une amie dévouée », diffusée sur Max le 11 octobre. La comédienne nous a confié comment ce rôle complexe l'a passionnée.

Une amie dévouée : la série de Max sur "la mythomane du Bataclan"

Diffusée à partir du 11 octobre, Une amie dévouée est adaptée de La mythomane du Bataclan, l'enquête du journaliste Alexandre Kauffman portant sur l’arnaque montée par une fausse rescapée du Bataclan. Elle était devenue responsable de l'association de victimes Life for Paris. La série s'en inspire et la présente via Chris (Laure Calamy), le lendemain du 13 novembre 2015, alors qu'elle prend contact en ligne avec plusieurs victimes. Comment cette mythomane va devenir la pierre angulaire de l’association Stand for Paris ? La série analyse brillamment la spirale infernale et glaçante des mensonges de Chris (voir notre avis).

De la réalité à la fiction

Lors du Festival de la Fiction de La Rochelle, l’équipe de la série s'est présentée soudée autour de ce projet émouvant. La comédienne Laure Calamy, les scénaristes Alexandre Kauffman et Jean-Baptiste Delafon et le réalisateur Just Philippot se revenus avec nous sur ce projet, tiré de l'enquête d'Alexandre Kauffman. L'auteur avait alors tenu à "présenter les faits sans se laisser entrainer sur des spéculations de ce qu’elle voulait faire ou de ce qu’elle pensait". D'après lui, ses motivations sont un véritable labyrinthe, et la véritable "mythomane du Bataclan" aurait longtemps refusé de lui parler.

J’ai échangé avec elle seulement à la fin de mon enquête. Pour moi, c’est un monstre qui met un coup de canif dans le contrat social. Je ne lui ai pas trouvé d’excuses mais des raisons car il y avait dans la construction de ses mensonges quelque chose de très logique. Un mythomane est quelqu’un qui ment compulsivement en croyant à ses propres mensonges. On estime d’ailleurs qu’il y a environ une trentaine de fausses victimes au Bataclan, qui ont en commun d’être toutes d’anciennes victimes de quelque chose d’autre dans leur histoire personnelle : leur famille, les hommes et surtout la solitude, qui est le point névralgique de la mécanique de ces mensonges.

Laure Calamy - Une amie dévouée ©Max
Laure Calamy - Une amie dévouée ©Max

De cette vraie affaire, il a fallu construire une fiction pour Une amie dévouée, réinventer l'histoire même car, pour les auteurs, le vrai récit serait "trop glauque". D'après Jean-Baptiste Delafon, l'adaptation a alors consisté à se rapprocher de l'aspect sordide de l'affaire, tout en y donnant "un rythme et un suspense". Il était également nécessaire de se mettre à hauteur du personnage et de "jouer à la fois sur le rejet et le plaisir à suivre quelqu’un qui a une forme du génie du mal".

Notre personnage a été défini sous trois angles : d'abord la victime de la solitude, qui n’a pas sa place dans la société et est en échec social. Puis, la super-héroïne altruiste qui vit sa nuit et enclenche son processus de l’utilité qu’elle clame pour tous. Et enfin le monstre, capable de faire peur à un enfant ou de menacer.

L'approche de Laure Calamy pour incarner ce personnage

Une fois le scénario de la série en place, restait à Just Philippot de mettre en scène le récit en confiant ce rôle délicat et à la limite de la folie à Laure Calamy. Un rôle néanmoins passionnant pour l'actrice qui cherche toujours à "raconter l’être humain sans jugement moral et à aller vers les monstres et les gouffres". C'est donc avec curiosité, et même une "gourmandise", que la comédienne a commencé à explorer cette personne et ces situations en essayant le plus possible de s'identifier à elle.

J’ai exploré sa sincérité et son pouvoir d’empathie paradoxal, qui lui permet de se réaliser dans cette aventure. J’avais aussi envie que son côté glamrock soit toujours présent et lui donne son panache séduisant, pour qu’on éprouve de l’attirance pour son savoir de la musique et qu’on ait envie qu’elle soit notre amie. Elle est au bord du gouffre sans cesse, c’est plus une souffrance qu’une folie. Le regard des autres est si important pour elle, elle a une puissante porosité aux gens et au monde qui la fait basculer.

Laure Calamy, Jean-Baptiste Delafon et Alexandre Kauffman ©Sylvie-Noëlle T. pour CINESERIE
Laure Calamy, Jean-Baptiste Delafon et Alexandre Kauffman ©Sylvie-Noëlle T. pour CinéSérie

Pour l'aider dans son approche, les auteurs ont essayé de ne jamais tomber dans l'outrance de la folie et de ne pas en faire un personnage malade. Comme l'expliquait Jean-Baptiste Delafon, il s'agit d'une fille "consciente de ses briques de mensonges qu’elle déplace et derrière lesquelles elle s’enferme".

Elle doit avancer car elle ne peut pas revenir en arrière ; elle est consciente de ce qu’elle vit, de la douleur qu’elle pourrait infliger et de la nouvelle douleur qu’elle pourrait également éprouver.

D'ailleurs, comme l'a rappelé Alexandre Kauffman, après avoir été expertisée par un psychiatre, la véritable mythomane a été jugée responsable de ses actes, "car elle avait du discernement".

La pudeur comme seul guide

Enfin, raconter cette histoire de la "mythomane du Bataclan", renvoyait à s'interroger sur l'impact potentiel sur les victimes du Bataclan. Un événement important pour tous et intimidant pour les scénaristes, qui ont néanmoins dû se désinhiber et ne pas hésiter à "traiter aussi les victimes avec leurs défauts et leurs déglingues" dans le but de leur donner "la même chair que le personnage principal" expliquait Alexandre Kauffman. De son côté, Jean-Baptiste Delafon a rappelé le pouvoir cathartique de la fiction.

La difficulté était de faire vivre les victimes avec justesse sans les enfermer dans une cloche de vénération et de sacralisation. Car les victimes ne sont pas en porcelaine et le pouvoir de la fiction est d’être cathartique.

Reste que pour Laure Calamy, tourner une scène devant le Bataclan a été un moment difficile. D'un coup, la comédienne a été "rattrapée par la réalité" et s'est même sentie gelée à l'intérieur d'elle-même. Mais Just Philippot était là, de son côté, pour s'assurer d'avoir le bon dosage en termes d’émotion et de garder ainsi une forme de retenue, de pudeur.

Sur le plateau on a toujours fait attention pour que les mots employés pour fabriquer l’émotion ne soient pas une façon de brusquer, car je ne connaissais pas les émotions et les histoires de vie des comédiens. La difficulté de la série, c’est qu’elle n’offre forcément pas ce temps pour construire une émotion de façon collective et très chaleureuse.

Propos recueillis au Festival de la Fiction La Rochelle le 13 septembre 2024 par Sylvie-Noëlle T. Une amie dévouée est à découvrir sur Max à partir du 11 octobre.