Quatre ans après la première saison, Jane Campion nous donne des nouvelles de la détective Robin Griffin. Avec 6 épisodes, tous construits comme des mini longs-métrages, "Top of the Lake" revient ce 7 décembre pour une saison 2 au top, dont nul ne ressortira sans un avis bien tranché.
On le sait, depuis La leçon de piano ou encore avec Portrait de femme, Jane Campion aime mettre à l’honneur les femmes. Les femmes, mais aussi leurs complexes et leurs blessures. Rien ne l’arrête, et surtout pas les sujets sensibles ou bien tabous. Cela déroute ? Sans aucun doute. Il existe chez elle une forme de réalisme brutal qui obsède ou agace.
Top of the Lake ne déroge pas à cette règle. Le format de la mini-série ne l’empêche pas de traiter des thèmes forts. Déjà dans la saison 1, l’intrigue se concentrait autour de la violence, du viol, du meurtre et des abus en tout genre. Avec la saison 2, « China Girl », on retrouve tous ces fils conducteurs qui croisent le destin de Robin Griffin, une détective tourmentée.
Un univers féminin et féministe
Dans « China Girl » il est d’abord question d’une valise qui a été jetée en pleine nuit dans la mer. Bien sûr, un corps dérive dans cette valise. Et comme le méfait à lieu près de la grande ville de Sydney, la probabilité était grande pour que la valise remonte à la surface et devienne l’affaire mystérieuse à résoudre. A l’intérieur, une jeune asiatique, très certainement une des filles qui travaillaient dans une maison close. Pour résoudre le crime, Robin Griffin est mise sur le coup. Celle-ci est revenue à Sidney après l’épisode de Laketop (saison 1).
La détective, encore sous le choc de la précédente affaire, essaye de se reconstruire. Cette enquête est une aubaine pour se replonger dans le travail. Elle a aussi décidé de renouer avec sa fille (jouée par la fille de Jane Campion) qu’elle a abandonné alors qu’elle n’avait que 16 ans - dans la saison 1, on apprenait qu’elle avait été victime d’un viol qui l’avait mise enceinte.
Au travers de tous ces épisodes, Jane Campion va évoquer le rôle de la femme, à tout âge, selon diverses classes sociales et soumise à des interrogations existentielles. Des thèmes noirs comme la prostitution, le viol, la fragilité identitaire et beaucoup d'autres sont évoqués dans la série. Mais toujours avec bienveillance et sans tomber dans un dolorisme dégoulinant.
Certes, les thématiques sont nombreuses, mais reflètent une réalité dans son ensemble. On parle de la difficulté d'avoir un enfant, ou bien de l'élever, de l'enfant devenu grand qui veut assumer ses propres choix, etc. La réalisatrice regarde et observe ces femmes sans les juger et sans donner de leçon de morale. Ce sont ainsi des portraits de femme qui laissent entendre sa vision féministe de la société.
Un décor urbain et « presque » anonyme
Et tout cela se déroule dans un monde industriel et industrialisé. D'abord en évoquant l'industrie du sexe, qui est le premier thème abordé. On voit que la grande ville de Sydney et ses rues douteuses sont le décor parfait pour montrer un commerce parallèle qui est celui de la traite de femmes.
On est loin de la saison 1 qui se passait à Laketop, en plein cœur d’un décor naturel magnifique. La saison 2 se passe dans une grosse métropole. De fait l’ambiance et le calme ne sont pas les mêmes. Mais Jane Campion arrive à faire de chaque lieu un personnage à part entière. Cependant, un petit bémol se fait sentir car, la série évoluant, on oublie qu’on est dans une grande ville tant tout parait rapproché, comme si nous étions toujours dans un village. Passées ces coïncidences qui interpellent, on peut toutefois se plonger à fond dans l’histoire.
Un casting torturé
Si Jane Campion réussit à créer une ambiance grinçante et noire, c’est également grâce à un casting au poil. Bien évidemment, on peut applaudir le talent d'Elisabeth Moss. Déjà encensée dans Mad Man, mais surtout dans The Handmaid's Tale, elle devrait se faire encore remarquer avec ce rôle. Elle joue à la perfection la détective déboussolée, mais lucide malgré tout. Toujours dans des émotions ultra-fortes, elle reste juste dans son interprétation. Sa sensibilité pourrait faire croire à une faiblesse, mais il n’en est rien, quand il le faut, elle a l’esprit clair et raisonné. Pourtant, il faut l’avouer, son personnage se traîne un boulet de vie comme c’est pas permis ! Heureusement, pour donner un peu de légèreté et de sourire, sa partenaire d’enquête n’est autre que la grande Gwendoline Christie. Drienne de Torth (Game of Thrones) a laissé tomber son épée et Podrick pour mener l’enquête. Son rôle est touchant et lui aussi pris au premier degré.
Enfin, Nicole Kidman fait son apparition en bobo bohème - dans l'attitude et le physique (cheveux gris, vêtements hippies, etc.). Féministe et engagé, son personnage vient de quitter le cocon familial pour suivre une femme, professeure de lettres, elle aussi dans son monde, avec toujours une bonne citation de philo quand ce n’est pas forcément le moment ! Kidman joue là à la perfection cette femme de la cinquantaine en pleine crise de doutes, sur elle-même et sur l'existence. Touchante dans son incapacité à se faire aimer et comprendre de sa fille adoptive. Il faut dire qu'il est difficile de voir sa toute jeune adolescente tomber amoureuse d'un espèce de gourou, plus vieux, et plein de préceptes révolutionnaires ! Le duel entre la mère et le "jeune fiancé" n'étant alors que plus savoureux.
Une écriture qui met à nue
On pourrait penser que tout ceci fait cliché, mais la retenue de la réalisatrice, empêche de tomber dans des traits grossiers et donc comiques. Car justement, ce qui fait la force de Jane Campion, c'est une écriture et une réalisation ficelées. Rien n’est laissé au hasard, et tout fait sens. Toujours un objectif à atteindre, même dans des scènes qui, à première vue, pourraient faire rire. Ce va-et-vient entre noirceur et réalisme permet de mettre en avant les thèmes chers à la réalisatrice. D’abord le destin meurtri des femmes, de génération en génération. Leurs problématiques liées au corps. Vouloir et pouvoir disposer de son corps comme elles l’entendent. De ne pas être soumises à la violence physique, ni morale. Enfin, le choix ou le non-choix d’être mère. Parfois cela fleure même le plaidoyer contre les incohérences sociétales et contre le commerce des individus.
En définitive, Top of the Lake est un genre à part, une série comme on n’en voit pas tout le temps. C’est-à-dire, à l’inverse des séries où tout doit se passer vite pour ne pas lasser le spectateur. Jane Campion prend son temps. Le rythme – parfois frustrant car au ralenti - fait partie de l’intrigue. Il crée l’ambiance, le suspens. Une musique épurée de quelques notes accroît ce sentiment de tension. Tous ces choix sont, il faut le dire, assez audacieux, car Jane Campion prend le risque d’énerver ou même de lasser le spectateur qui pourrait aller chercher la zappette. Mais elle ne cède sur rien. Le résultat se laisse mériter. Car Top of the Lake est une réussite sur de nombreux points.
Top of The Lake : China Girl créée par Jane Campion, saison 2 à partir du 7 décembre 2017 sur Arte. Ci-dessus la bande-annonce.