Entre 1982 et 2007, « Blade Runner » n’a cessé d’être modifié jusqu’à la sortie du Final Cut. Avec cette version, Ridley Scott a enfin obtenu le contrôle artistique total sur son chef d’œuvre et a confirmé la véritable nature de son anti-héros, un policier incarné par Harrison Ford qui traque des humanoïdes en quête de liberté. Retour sur l’évolution du long-métrage et sur l’une de ses séquences cultes, à ranger parmi les plus belles scènes du septième art.
Blade Runner : un chef d’œuvre de la science-fiction
En 1982 sort Blade Runner, adaptation du roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick orchestrée par le plasticien britannique Ridley Scott. Le film débute dans le Los Angeles futuriste de 2019. La ville est devenue sombre et verticale, dominée par les pyramides de la Tyrell Corporation. Cette société conçoit des humanoïdes « plus humains que l’humain », communément appelés réplicants. Le policier Rick Deckard (Harrison Ford, fabuleux) est chargé de retrouver l’un des prototypes du dernier modèle, baptisé Nexus 6, qui a commis un meurtre. Il découvre progressivement les raisons de la rébellion des réplicants et leurs envies d’une liberté dont seuls les humains semblent pouvoir jouir.
Pièce maîtresse de la science-fiction, Blade Runner est un chef d’œuvre du néo-noir dont certaines séquences demeurent imperceptibles à chaque visionnage, ce qui crée un véritable sentiment de fascination. Après le sublime Alien, le huitième passager, le film dévoile lui aussi une série de magnifiques images picturales au service d’un scénario profondément riche. Des costumes à la fameuse bouteille de whisky Johnnie Walker de Deckard, en passant par l’esthétique rétro-futuriste et les Spinners, rien n’a été laissé au hasard.
À l’image de l’œil que l’on découvre furtivement dans la séquence d’ouverture, ceux des spectateurs sont écarquillés pendant près de deux heures devant cette enquête haletante, doublée d’une réflexion passionnante sur la condition humaine et d’une histoire d’amour poignante entre le personnage principal et Rachael, humanoïde interprétée par l’excellente Sean Young. Si le blade runner Deckard est le personnage principal, c’est le sort des réplicants et leurs mises à mort successives qui offrent au long-métrage ses scènes les plus déchirantes. Et qui remettent en question les principes de l’antihéros, individu mystérieux et désabusé dans la lignée du détective Philip Marlowe, dont la nature est tout aussi énigmatique que celle des êtres qu’il traque…
Huit versions différentes de Blade Runner
Si l’on compte le premier montage qui affiche une durée de quatre heures, il existe pas moins de huit versions différentes de Blade Runner. Avec le Final Cut sorti en 2007, Ridley Scott est enfin parvenu à imposer son film. Cette mouture est la favorite de son auteur, et comporte une fin où l’idée de chasse atteint son paroxysme, contrairement à celle édulcorée de la version cinéma de 1982. Les producteurs avaient exigé une conclusion plus lumineuse et heureuse, qui contraste avec la vision dystopique du Los Angeles de 2019 dépeint dans le long-métrage.
Pour cette dernière, dans laquelle Deckard et Rachael fuient à travers la campagne, Ridley Scott, visiblement peu motivé à l’idée de tourner des scènes verdoyantes, avait demandé à Stanley Kubrick de pouvoir réutiliser des chutes de Shining. En 1992, la version Director’s Cut de Blade Runner est dévoilée, et l’on découvre pour la première fois la fin géniale voulue par le cinéaste. Face à la notoriété grandissante du film, en partie grâce au succès du Director’s Cut, le réalisateur parvient à récupérer le contrôle artistique total dans l’ultime version sortie en 2007. Les différentes moutures du long-métrage se contredisent autour d’un point essentiel du récit : la véritable identité de Deckard, sur laquelle Ridley Scott et Harrison Ford n’ont jamais été d’accord. Le Final Cut donne une réponse claire à cette interrogation.
Le final improvisé de Blade Runner
La confrontation finale entre Deckard et le réplicant Roy Batty, incarné par un Rutger Hauer habité et inoubliable, est probablement l’une des plus belles séquences du cinéma. Perché sur le toit d’un immeuble de Los Angeles, l’humanoïde livre un monologue court mais bouleversant sur sa condition et son existence, après une partie de cache-cache où le flic est malmené. Dans le dépotoir pollué qu’est devenue la mégalopole, où vivent les humains qui n’ont pu accéder aux colonies spatiales, l’esclave moderne en quête de liberté évoque les images inoubliables qui lui ont été données de voir dans le cosmos.
À l’origine, les deux personnages devaient se battre, mais Rutger Hauer a refusé cette idée, préférant retourner la chasse contre Deckard. L’ancien acteur fétiche de Paul Verhoeven a par ailleurs improvisé les deux dernières lignes de sa sublime tirade, après avoir suggéré le fait de porter une colombe. Dans l’ouvrage Future Noir : The Making of Blade Runner de Paul M. Sammon publié en 1996, le regretté comédien expliquait :
J’ai dit à Ridley : "faisons ça rapidement, avec autant de simplicité et de profondeur que possible. Mais il faut aussi que Batty passe pour un intello le temps d’un instant". Ridley a dit oui, il aimait ça. Donc, quand nous avons filmé ce monologue, j’ai enlevé des phrases du début et j’ai improvisé les dernières phrases : "et tous ces moments vont être perdus dans le temps, comme des larmes sous la pluie. Il est temps de mourir".
Blade Runner : The Final Cut est à voir ou revoir sur Netflix.