Le premier film de Poelvoorde, "C'est arrivé près de chez vous", obscur long-métrage belge de fin d'études, provoqua un engouement sans précédent au festival de Cannes 1992.
Un début de carrière fulgurant pour Poelvoorde
"Déroutant", "curieux", "formidable"... Ce sont les mots prononcés par les spectateurs du festival de Cannes 1992 à la sortie de la projection de C'est arrivé près de chez vous, premier film dans lequel apparaît Benoît Poelvoorde et qui lance par la même occasion sa carrière.
Le film est tourné à la façon d'un faux documentaire. Il raconte l'histoire d'une équipe de journalistes suivant Ben, un tueur qui attaque posément et légèrement de petites gens. Progressivement, l'équipe va prendre part aux crimes de Ben. Écrit et réalisé par trois amis belges d'une vingtaine d'années, Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde, C'est arrivé près de chez vous est sorti en France le 4 novembre 1992. Le film est un véritable succès, au vu de ses maigres moyens, avec plus de 500 000 entrées. Encore aujourd'hui, il est considéré comme un film culte.
À l'époque, le film ne provoque pas d'avis tièdes ou mitigés : encensé par les Cahiers du Cinéma ("La réussite de ce film est de mener le spectateur au-delà du dispositif initial, de ce vrai-faux reportage qui aurait pu tourner très vite à l'exercice de style.") ou Actuel ("Un pur délice antimédias, zigzaguant aux frontières de la morale, sombre à faire peur, cruel, dégueulasse, à mourir de rire.", il est décrié par Le Monde ("Dans cette absence envahissante, on pressent quelque chose d'immonde") ou Télérama ("une bande de potaches hilares qui tourne en rond avec leur provoc facile et se vautre dans le pipi-caca-vomi").
D'une école de cinéma bruxelloise au festival de Cannes
À l'origine, C'est arrivé près de chez vous était le film de fin d'études de Rémy Belvaux. Il était alors étudiant à l'INSAS, école bruxelloise francophone de cinéma. D'une durée de cinquante minutes environ, semblable au format de l'émission Strip-Tease que Belvaux empruntait, de nouvelles séquences ont été tournées quelque temps plus tard afin de permettre une sortie en salle.
Graphiste à l'époque, Benoît Poelvoorde ne se destinait pourtant absolument pas à une carrière d'acteur. André Bonzel, le dernier homme du trio, se remémore le tournage pour Le Point en 2020 à l'occasion de la re-sortie du film sur Amazon Prime :
Benoît avait une puissance de feu phénoménale. Quand on recevait les rushs muets du film, on voyait bien que Benoît était excellent, rien que sa manière de bouger était imparable. C'était clair, c'était un acteur né, il avait un vrai don d'imitation, il était dément.
Le film est produit de façon très artisanale. Auto-produit par le trio, le tournage se fait au gré des rentrées d'argent de Bonzel, Poelvoorde et Belvaux afin d'acheter de la pellicule. Les comédiens sont des amis et connaissances. La mère de Ben, le personnage principal, n'est ainsi autre que la vraie mère de Poelvoorde. Le trio se garde bien de raconter l'histoire du film qu'ils tournent à madame Poelvoorde. Ils prétendent faire un documentaire sur son fils. Malgré ces conditions de production précaires, l'improvisation était très rare sur le plateau :
Tout était écrit, et Benoît n'improvisait quasiment jamais. Comme on n'avait pas beaucoup de pellicule, on ne pouvait pas se permettre d'essayer des variantes, on ne faisait que le minimum de prises.
Certaines tensions apparaissent même sur le plateau. La méticulosité de Belvaux se confronte à la nonchalance de Poelvoorde. Le tournage s'interrompt avant d'être repris deux mois plus tard.
Contre toute attente, grâce à une connaissance belge du directeur de la Semaine de la Critique (spécialisée dans les premiers films et les nouveaux talents), C'est arrivé près de chez vous se retrouve en compétition officielle du festival de Cannes 1992. Sa projection est très vite l'évènement du festival. La première séance est ainsi pleine à craquer. 300 personnes se présentent dans une salle de 150 places à la projection suivante. Bertrand Blier en personne, réalisateur des Valseuses, s'avoue "battu sur son propre terrain" et n'a qu'une seule envie à la sortie du film : "se remettre au travail". L'équipe du film repart alors avec trois récompenses. Le prix SACD, le prix de la critique internationale et le prix spécial de la jeunesse.
Brouillés à cause du succès
Durant le festival de Cannes, les trois amis signent un contrat avec un vendeur. Mais celui-ci va se révéler être un escroc. André Bonzel l'explique, toujours dans Le Point :
On l'avait produit nous-mêmes et on s'est fait entuber sur la distribution française et internationale. Il y a eu des années de procès avec le mec qui nous a escroqués. C'est arrivé près de chez vous a généré énormément d'argent, avec un total de 500 000 entrées et nous n'avons rien vu !
Rémy Belvaux accepte alors de signer ce contrat qui met Poelvoorde, Bonzel et lui au même niveau (celui de réalisateur et de scénariste). Or, c'est bien Belvaux qui a écrit la structure, réalisé et monté le film. Par la suite, il vit difficilement le partage des crédits de son film. Il vit tout aussi mal tous les lauriers que récolte alors Poelvoorde. Le trio se fâche très vite après Cannes et ne présente même plus le film dans les festivals.
Benoît Poelvoorde se lance alors dans un one-man-show Modèle Déposé en 1995. Puis la série de sketchs Mr Manatane pour Canal+ en 1997. Il devient ainsi un des plus importants acteurs du cinéma français. André Bonzel quitte le monde artistique. Rémy Belvaux devient, lui, un réalisateur de publicités très sollicité avant de se donner la mort en 2006.