[Attention, cet article contient des spoilers !] Dénué de dialogue, "La Tortue rouge" est un superbe film d’animation qui convoque en permanence le ressenti du spectateur. Un long-métrage où la fameuse tortue peut susciter une multiplicité d’interprétations, comme l’a voulu le réalisateur Michael Dudok de Wit.
La Tortue rouge : un récit initiatique dépouillé et sublime
En 2016, Ghibli travaille pour la première fois avec un artiste extérieur au studio. La Tortue rouge marque le passage de l’artiste néerlandais Michael Dudok de Wit à un format long, après les courts-métrages Le Moine et le poisson et Père et fille.
Ce récit initiatique débute en pleine mer, où un homme tente de survivre en s’accrochant à une barque. Après avoir échoué sur une île et découvert les lieux magnifiques, il tente de s’en échapper en construisant un radeau. Mais son embarcation de fortune est à plusieurs reprises détruite par une force invisible.
L’homme semble donc condamné à rester sur l’île. Après la colère viennent les repères, l’apaisement et l’attachement à une nature ainsi que des éléments avec lesquels il apprend à vivre en harmonie.
Dénué de dialogue, La Tortue rouge retrace les étapes cruciales d’une vie. Et l’émotion naît malgré l’abstraction, grâce à la force des images, du montage mais aussi de la bande originale signée Laurent Perez del Mar. Des premières chutes à la découverte de l’amour, en passant par la colère et les remords, tous les états traversés par le protagoniste sont particulièrement limpides. Ils naissent dans une histoire imagée préférant s’orienter vers la simplicité et la contemplation plutôt que la morale ou le message.
Un symbole de l’altérité ?
Michael Dudok de Wit laisse au spectateur le choix d’interpréter la longue aventure vécue par le naufragé, lui qui a été fasciné durant son adolescence par 2001 : l’Odyssée de l’espace sans le comprendre. La Tortue rouge offre des clés suffisantes au public pour créer une attache envers les personnages.
Ainsi il est possible de voir un fils emprunter le même chemin que son père et chuter au même endroit. Le dévouement, l’innocence et la culpabilité sont des notions totalement compréhensibles dans le film. C’est par exemple le cas lorsque l’homme fait basculer la tortue rouge sur le dos et l’immobilise, avant de s’en vouloir de l’avoir privée de ses mouvements. Une séquence qui offre un nouveau point de vue sur l’animal, qui avait jusqu’ici détruit les radeaux sans pour autant s’en prendre au personnage.
Peu après, la tortue se transforme en femme que l’homme va aimer. Et durant les magnifiques dernières minutes, leur fils prendra son envol, en partant à la nage avec d’autres tortues. L’animal pourrait donc tout simplement représenter l’autre, qui peut d’abord effrayer et qu’il faut apprivoiser avant de le percevoir véritablement et vivre à ses côtés. La tortue ne se révèle profondément inoffensive que lorsqu’elle arrive sur l’île du naufragé. Elle permet alors de révéler encore davantage la personnalité d'un protagoniste en constante évolution. C’est également le cas des crabes, omniprésents et qui réveillent chez lui la notion de partage. Lorsque L’Express lui demande la symbolique derrière la tortue, le réalisateur répond :
Je n'ai pas d'explication précise. J'ai choisi la tortue de manière instinctive. C'est un être paisible, solitaire, mystérieux avec son côté ancestral, presque immortel. J'ai testé le scénario avec d'autres grandes créatures de l'océan, comme la pieuvre par exemple. Cela ne fonctionnait pas. Une pieuvre, ça évoque tout de suite quelque chose de dangereux. La tortue, elle, n'attaque jamais. Elle prête à l'empathie.
Cité par Sud Ouest, Michael Dudok de Wit déclare également :
J'ai choisi la tortue car elle est paisible et solitaire et c'est pour cela que je l'aime. Mais j'ai voulu qu'elle garde une part de mystère. Je veux permettre aux spectateurs de percevoir ce qu'ils veulent, sans leur imposer un point de vue. Il faut qu'ils ressentent les choses de façon intuitive, sans forcément tout analyser.