Le tournage de "Forrest Gump" a pris la forme d’un affrontement entre Robert Zemeckis et les pontes de Paramount Pictures. Tandis que le studio voulait à tout prix réduire les dépenses, le cinéaste était déterminé à ne pas renoncer à ses ambitions pour son film devenu culte.
Forrest Gump : un héros américain
Adaptation du roman éponyme de Winston Groom publié en 1986, Forrest Gump révèle au monde l’un des personnages les plus emblématiques du cinéma américain. Un protagoniste hors du commun qui raconte son histoire à qui veut l’entendre, assis sur un banc alors qu’il attend un bus.
Son enfance en Alabama, les inoubliables leçons et conseils de sa mère (Sally Field), le Vietnam, ses amitiés avec Bubba (Mykelti Williamson) et le lieutenant Dan (Gary Sinise) mais surtout son amour inaltérable pour Jenny (Robin Wright)… Le héros incarné par Tom Hanks retrace tout son incroyable parcours entre les années 50 et 80, conscient qu’il n’est pas le plus malin des hommes mais rappelant que "n’est stupide que la stupidité".
Sorti en 1994, Forrest Gump est un immense succès, récoltant plus de 677 millions de dollars de recettes mondiales. Le long-métrage décroche par ailleurs six Oscars : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur, Meilleur scénario, Meilleur montage et Meilleurs effets spéciaux.
Forrest Gump est enfin la première collaboration entre Tom Hanks et Robert Zemeckis, qui se retrouvent sur Seul au monde et Le Pôle Express. Leur amitié se consolide durant le tournage mouvementé, au cours duquel ils n’hésitent pas à se mettre à dos les pontes de la Paramount.
La Paramount près de ses sous
À l’origine, Forrest Gump n’est pas le film de Robert Zemeckis. Lorsque Sherry Lansing, alors présidente de Paramount Pictures, récupère les droits d’adaptation à Warner Bros, elle le propose à Barry Sonnenfeld, auréolé du succès de La Famille Addams. Le cinéaste préfère toutefois se consacrer à la suite de son premier long-métrage. Par ailleurs, Bill Murray, John Travolta et Chevy Chase sont envisagés avant que l’acteur oscarisé de Philadelphia n’obtienne le rôle-titre.
Arrivé aux commandes, Robert Zemeckis se voit octroyer 40 millions de dollars selon Rockyrama, même s’il a déjà largement fait ses preuves au box-office (Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit). Un budget particulièrement maigre au regard des ambitions du réalisateur et du challenge que représente le film, notamment au niveau des effets spéciaux. Avant même que le tournage ne débute, des tensions émergent, comme l’explique le journaliste Stephen Galloway dans l’épisode du programme Netflix The Movies That Made Us consacré à Forrest Gump :
Zemeckis y a vu une attaque personnelle. Il a dit : 'Que dois-je faire pour qu’ils me prennent au sérieux ?'
La productrice Wendy Finerman ajoute :
Ça s’est envenimé, ça a dégénéré.
Robert Zemeckis demande plusieurs millions de dollars supplémentaires, ce que Sherry Lansing refuse. Elle invite le metteur en scène et Tom Hanks à piocher dans leurs salaires respectifs, en échange d’un intéressement plus élevé sur les recettes. Le tandem se fait la promesse de faire le long-métrage comme il l’entend, quoi qu’il en coûte.
Robert Zemeckis : "J’emmerde le studio"
Le tournage de Forrest Gump débute en août 1993. Le directeur artistique Rick Carter découvre un terrain à Beaufort en Caroline du Sud, où l’équipe construit la maison de Forrest, la ferme de Jennie et où la végétation des alentours sert de jungle pour les séquences censées se dérouler au Vietnam.
Pour réduire les coûts, Sherry Lansing insiste pour que des scènes soient supprimées, à commencer par celles à bord du chalutier "Jenny" mais aussi celles au Vietnam, fondamentales dans le récit. Elle menace même d’arrêter la production, ce qui provoque à nouveau la colère de Robert Zemeckis. Michelle Manning, exécutive au sein de la Paramount, se souvient :
Bob disait : 'J’ai mis de l’argent dans ce film. J’emmerde le studio'.
Après le début des prises de vues, la présidente du studio fait également savoir qu’elle n’apprécie guère l’élocution singulière de Tom Hanks, basée sur celle de Michael Conner Humphreys, l’interprète du jeune Forrest. Le cinéaste décide de la contacter et après une discussion houleuse, le problème est réglé. Le réalisateur peut continuer son long-métrage comme il l’a commencé.
Par la suite, plusieurs exécutifs débarquent sur le plateau afin de surveiller Robert Zemeckis et pour trouver un moyen de minimiser les dépenses. Michelle Manning fait partie de cette équipe, et ses échanges avec le metteur en scène ne sont franchement pas cordiaux :
Quand j’arrivais, Bob s’écriait : 'Dégage de mon plateau !' Ça a dégénéré très très vite. (…) Toute l’équipe déjeunait dans l’unique restaurant de Beaufort, et Bob hurle : 'Michelle !' Il m’attrape et me fait sortir. Il hurle : 'Qu’est-ce que tu fous ici, qui t’a envoyé ? Tu touches pas à mon film !' Je tourne la tête, tout le monde me regardait. (…) J’étais tellement gênée.
Des scènes tournées secrètement
Une fois le tournage en Caroline du Sud terminé, l’équipe se rend à Savannah, en Géorgie, où se trouve le fameux banc de Forrest Gump, puis à Washington, où le héros prononce son célèbre discours qui marque ses retrouvailles avec Jenny. Viennent ensuite les prises de vues de la course à travers les États-Unis, qui entraînent un dépassement du budget.
Cependant, hors de question pour Robert Zemeckis de renoncer à filmer les paysages du pays. Il élabore donc un stratagème pour le faire secrètement, à propos duquel le directeur de la photographie Don Burgess déclare :
Parfois, on filmait à deux endroits dans la même journée, dans deux Etats différents.
Larry Hanks, le frère de Tom, est même engagé en tant que doublure. Mais Paramount découvre les manigances de Robert Zemeckis. Fort heureusement, il ne reste qu’une scène à tourner, celle de Monument Valley, financée par le réalisateur et son comédien, qui respectent ainsi leur pacte jusqu’au bout.