En 1938, Marcel Carné immortalise avec Arletty et Louis Jouvet un modeste établissement parisien avec le drame "Hôtel du Nord". Un lieu emblématique de la capitale, qui a failli disparaître à plusieurs reprises.
Hôtel du Nord : une "atmosphère" inoubliable
En 1938 sort Hôtel du Nord, mis en scène par Marcel Carné. Avec ce film, le cinéaste interrompt sa collaboration avec le poète et scénariste Jacques Prévert, alors aux États-Unis. Le duo se reformera un an plus tard sur Le Jour se lève, puis sur Les Visiteurs du soir et Les Enfants du paradis.
Pour Hôtel du Nord, Jean Aurenche se charge de l’adaptation du roman éponyme d’Eugène Dabit et Henri Jeanson signe quant à lui la plupart des dialogues devenus cultes. Comme l’ouvrage, le long-métrage dévoile diverses tranches de vie au cœur d’un établissement du dixième arrondissement de Paris, situé sur les bords du Canal Saint-Martin. Néanmoins, l'ajout d'un événement dramatique qui survient dans les premières scènes lui offre une trame narrative.
Un soir, alors que les gérants célèbrent une communion avec plusieurs pensionnaires, un couple loue une chambre. Amants torturés, Renée (Annabella) et Pierre (Jean-Pierre Aumont) veulent mourir ensemble. Le jeune homme tire sur sa fiancée, ne parvient pas à mettre fin à ses jours et prend la fuite. Le drame chamboule les habitants de l’hôtel, à commencer par Raymonde (Arletty) et Edmond (Louis Jouvet), une prostituée et un maquereau recherchés par des truands.
Ces deux personnages sont à l’origine de l’un des échanges les plus emblématiques. Au cours d’une dispute, le second explique à la première qu’il a besoin de "changer d’atmosphère". Ce à quoi la première rétorque en répétant le terme, avec la gouaille représentative de son interprète. C’est d’ailleurs une véritable atmosphère qui se dégage d’Hôtel du Nord, où Bernard Blier, François Périer ou encore Paulette Dubost font également des allées et venues. Le film retranscrit l'ambiance du Paris de l’entre-deux guerres, marquée par des romances tragiques, des apparitions de criminels endurcis mais aussi des moments de convivialité sublimés par une répartie réjouissante.
Des portes toujours ouvertes ?
Selon le site officiel de l’établissement, l’Hôtel du Nord aurait été construit en 1912. Si Eugène Dabit décide d’y consacrer un roman paru en 1929, c’est parce que ses parents en sont les tenanciers. Dans ce modeste lieu où les chambres sont louées à la semaine se croisent des ouvriers, des chômeurs et des mariniers d’écluse.
Au fil des ans, l’immeuble se dégrade, n’étant pas entretenu. La démolition est envisagée à plusieurs reprises et la bâtisse ne peut être classée "Monument Historique de Paris", étant donné que le film n’a pas été tourné dans ses murs mais dans un studio de Billancourt. La ferveur des admirateurs du long-métrage finit cependant par l’emporter. Citée par le site de l’hôtel, Arletty déclare notamment :
C’est un coin merveilleux de Paris, cela me touche beaucoup, c’est un peu comme la tour Eiffel. Hôtel du Nord, j’adore ce quartier, c’est fou, il ne faudrait pas y toucher. Et je pense et j’espère que l’on laissera la façade de l’Hôtel du Nord…
Le 15 juin 1989, la façade et la toiture sont enfin classées par la commission des Sites des Monuments Historiques. Elles conservent à ce jour le charme originel du drame de Marcel Carné. Si les étages ont été rénovés et les chambres transformées en logements, il est toujours possible de profiter du rez-de-chaussée. Un bistrot-restaurant ouvert en 1995 continue d’accueillir les clients, dans un cadre qui multiplie les références cinéphiles.