À la fin des années 70, Akira Kurosawa vient de traverser une période extrêmement compliquée. Alors boudé par l’industrie cinématographique, le réalisateur japonais ne parvient pas à réunir les fonds nécessaires pour "Kagemusha, l’ombre du guerrier". Le film peut finalement voir le jour grâce à l’intervention de deux de ses plus célèbres admirateurs.
Kagemusha, l’ombre du guerrier : une usurpation destructrice
Sorti en 1980, Kagemusha, l’ombre du guerrier s’ouvre sur un long échange entre Takeda Shingen, puissant chef de son clan, et son frère cadet Nobukado. Ce dernier lui présente un voleur sauvé du crucifiement en raison de sa ressemblance extrêmement frappante avec son aîné, estimant qu’il pourrait leur être utile.
Rêvant de prendre le contrôle de Kyoto et ainsi de tout le pays, Shingen est mortellement blessé alors que ses hommes tentent d’assiéger un château. Ne renonçant pas à sa quête, il ordonne à ses généraux de cacher son décès. Nobukado leur dévoile l’existence de son sosie. Le kagemusha, ou "guerrier de l’ombre", va avoir la lourde tâche de remplacer le chef du clan Takeda.
Malgré les soupçons, le voleur s’avère extrêmement convaincant, faisant preuve de bravoure et prenant goût au pouvoir. L’usurpateur devient progressivement dépassé par son orgueil, mettant en péril son avenir et celui de ses hommes.
Fresque élégiaque aux nombreuses thématiques, à commencer par celle du double et des politiques belliqueuses conduisant au désastre, Kagemusha est une œuvre colossale, portée par la prestation hallucinante de Tatsuya Nakadai. Ce classique du chanbara s’inspire d’événements historiques comme la bataille de Nagashino, qui eut lieu en 1575.
Akira Kurosawa en pleine traversée du désert
Ce projet ambitieux marque une véritable renaissance artistique pour Akira Kurosawa. Bien loin des succès de Rashōmon et Les 7 Samouraïs, le cinéaste japonais vient alors de vivre une décennie extrêmement compliquée. Une fois son contrat avec la Tōhō terminé en 1966, le réalisateur tente une incursion à Hollywood. Il ne réussit pas à aller au bout de Runaway Train, thriller qui sera repris en main une vingtaine d’années plus tard par Andreï Konchalovsky.
Akira Kurosawa est par ailleurs renvoyé du film de guerre Tora ! Tora ! Tora !, produit par 20th Century Fox et duquel il est censé mettre en scène les séquences du point de vue japonais. Le long-métrage demeure l’un des plus gros échecs de sa carrière, qu’il vit extrêmement mal. En 1970, La sortie de Dodes'Ka - Den - son premier film en couleur - suscite ensuite le désintérêt du public dans son pays natal.
Mis de côté par l’industrie cinématographique, Akira Kurosawa fait une tentative de suicide en décembre 1971. L’artiste de 61 ans se tranche la gorge et les poignets. Il parvient à se remettre et décide de mettre de côté la réalisation. Le succès, du moins à l’étranger, revient en 1976 grâce à Dersou Ouzala, tourné en Sibérie et basé sur la vie de l’explorateur russe Vladimir Arseniev.
George Lucas et Francis Ford Coppola à la rescousse
Akira Kurosawa a toujours été une influence majeure pour ses confrères. Sergio Leone s’est grandement inspiré de Yojimbo sur Pour une poignée de dollars. Les Sept mercenaires est bien sûr un remake des 7 Samouraïs. Enfin, Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir doit beaucoup à La Forteresse cachée. La relation entre C-3PO et R2-D2 rappelle par exemple clairement celle entre Tahei et Matashichi, deux paysans qui cherchent à fuir une guerre entre deux clans.
George Lucas n’a évidemment jamais caché son admiration sans borne pour Akira Kurosawa. C'est aussi le cas de Francis Ford Coppola, Steven Spielberg ou Martin Scorsese. En apprenant que son modèle n'arrive pas à réunir les fonds nécessaires pour son prochain film, le père de Star Wars demande à la 20th Century Fox de le financer. Il en est également le coproducteur, au même titre que Francis Ford Coppola. En 1980, Kagemusha, l’ombre du guerrier est récompensé par la Palme d’or au Festival de Cannes et connaît un succès mondial. Ce qui permet au metteur en scène de travailler sur Ran, considéré comme un autre de ses aboutissements artistiques majeurs.