[Attention, cet article contient des spoilers] "Silence" marque l’aboutissement des questionnements sur la foi abordés par Martin Scorsese en cinquante ans de carrière. Adaptation du roman éponyme de Shūsako Endō, le film retranscrit avec fidélité les supplices infligés aux Chrétiens dans le Japon du XVIIe siècle, en se basant en partie sur la vie du prêtre incarné par Liam Neeson.
Silence : la crise de foi de Martin Scorsese
Après La Dernière tentation du Christ et Kundun, Martin Scorsese conclut sa trilogie sur la foi religieuse en 2017. Silence est un projet que le réalisateur laisse mûrir pendant de nombreuses années. Sa mise en chantier est repoussée à plusieurs reprises. Des difficultés à trouver les financements nécessaires l'empêchent notamment de voir le jour.
Le cinéaste peut enfin s’y consacrer après Le Loup de Wall Street, son plus gros succès au box-office mondial. Le changement d’ambiance entre les deux films est radical. Après les orgies de Jordan Belfort, Martin Scorsese se penche sur le voyage au Japon de deux prêtres jésuites portugais. Sebastião Rodrigues (Andrew Garfield) et Francisco Garupe (Adam Driver) se rendent dans le pays en 1633 pour retrouver leur mentor, le père Ferreira (Liam Neeson). Sous la torture, ce dernier aurait abjuré sa foi catholique. Ses disciples veulent en avoir le cœur net.
Chaleureusement accueillis à leur arrivée, les deux prêtres sont rapidement séparés et témoins d’horreurs perpétrées sur les Chrétiens. Capturés et emprisonnés par les inquisiteurs, Rodrigues et Garupe sont poussés à apostasier et tentent de résister. Leur quête vers Ferreira chamboule toutes leurs croyances et leurs préceptes en les confrontant avec violence au silence de Dieu.
Ciarán Hinds et Tadanobu Asano complètent la distribution de ce drame éprouvant. Le long-métrage trouve une place parfaitement cohérente dans la carrière de Martin Scorsese. Depuis ses débuts avec Boxcar Bertha et Mean Streets, ses œuvres évoquent souvent la culpabilité vis-à-vis du sacré. À ce niveau, Silence semble enfin marquer l'apaisement pour le réalisateur. L’utilisation d’une imagerie religieuse occupe également une place fondamentale dans son cinéma.
Une retranscription fidèle
Au vu de son parcours, de son envie d’être prêtre abandonnée à l’adolescence et de sa filmographie, Silence représente donc un projet idéal pour Martin Scorsese. Le long-métrage sonne comme un aboutissement après cinquante ans de questionnements intimes et artistiques.
En 1990, Martin Scorsese incarne Vincent Van Gogh dans Rêves d’Akira Kurosawa. C'est durant le tournage au Japon qu'il met la main sur l’ouvrage Silence de Shūsako Endō et songe ensuite à l’adapter. Six ans après sa parution, Masahiro Shinoda transpose déjà le roman à l’écran en 1971. Comme le rappelle Le Point Pop, le livre se base sur des événements historiques, à commencer par la mission au Japon du père Ferreira, qui a relaté son voyage à travers des écrits. Le père Alexandro Valignano, incarné par Ciarán Hinds et qui tente de dissuader les jeunes prêtres d’aller à la recherche de leur mentor au début du film, a lui aussi réellement existé.
Le Japon interdit officiellement le christianisme entre 1614 et 1873. Silence retranscrit avec fidélité les supplices infligés aux catholiques au XVIIe siècle. La technique du fumi-e, qui consiste à forcer des individus à marcher sur une image sainte, était par exemple pratiquée. Face à une hésitation ou un refus, les inquisiteurs avaient recours à la torture.
Le flou autour du père Ferreira
Dans la dernière partie du film, le père Rodrigues retrouve Ferreira. Il découvre que le personnage interprété par Liam Neeson a fait le choix de renoncer à sa foi. En réalité, les écrits du prêtre ne le confirment pas directement, comme l’explique l’historienne Nathalie Kouamé au Point Pop :
Dans le pamphlet anti-chrétien que Ferreira a écrit (La supercherie dévoilée, ndlr), et que j'ai lu en japonais et dans sa traduction française, il n'apparaît pas de façon certaine qu'il ait véritablement apostasié. Ferreira adresse beaucoup de critiques à l'Église catholique, mais, après tout, comme les protestants. Sa renonciation au christianisme n'est pas très claire.
Directeur de la revue jésuite Études, François Euvé écrit néanmoins en 2017 que Ferreira "a publiquement apostasié sa foi, fut marié avec une Japonaise et collabora avec les autorités ". Le prêtre est mort en 1650 à Nagasaki. Ce flou autour de son renoncement s’accorde avec le superbe dernier plan de Silence, qui interroge sur la possibilité d’assumer ses croyances secrètement sous la contrainte.