« Je ne suis pas un animal ! Je suis un être humain ! » Le classique cinématographique de David Lynch célèbre son quarantième anniversaire cette année. Afin d’être à la hauteur de l’événement, le bouleversant « Elephant Man » a subi un lifting supervisé par le réalisateur en personne dans l’optique d’une brève ressortie en salle et d’une sortie physique d’ores et déjà disponible à l’achat.
Avec une réputation encore à construire, David Lynch (Mulholland Drive) n’a pas fait dans la facilité en décidant de porter sur grand écran la biographie romancée de Joseph Merrick d’après les mémoires du chirurgien britannique Frederick Treves. Une entreprise risquée qui lui vaut néanmoins une reconnaissance incroyable dans le milieu avec huit nominations aux Oscars, quatre aux Golden Globes et 26 millions de dollars récoltés rien qu’aux États-Unis (pour seulement 5 millions de budget). Elephant Man (1980) est ainsi élevé au rang de classique et inspire nombre d’œuvres ultérieures à l’instar de l’épisode Prométhée post-moderne de la série X-Files.
Elephant Man : présentation et critique
Scénario ★★★★☆
La révolution industrielle bat son plein à Londres lorsque le réputé Dr Frederick Treves (Anthony Hopkins) doit marchander avec le sadique Bytes (Freddie Jones) pour rencontrer un individu qu’il tient captif. Surnommé « Elephant Man », John Merrick (John Hurt) souffre de difformités sévères qui lui valent d’être considéré comme une bête de foire dénuée d’intelligence, ne pouvant s’exprimer verbalement et ne comprenant les ordres que par l’usage de la force. Il est rapidement pris en charge par le chirurgien et l’équipe médicale dirigée par Mrs. Mothershed (Wendy Hiller) à l’hôpital de Londres où il trouve refuge. L’homme de 21 ans, dont la condition physique l’oblige même à dormir assis sous peine d’un décès prématuré, se révèle bien plus intelligent que son « propriétaire » ne l’a laissé penser lorsqu’il se met à réciter le psaume 23 de la Bible hébraïque. S’ensuit pour lui une sortie progressive des Enfers jusqu’à ce qu’un drame le renvoie à la case départ.
À travers le prisme de la différence de son personnage principal, Elephant Man passe en revue la cruauté de l’espèce humaine. Nourrie de peur et de préjugés, elle est dévastatrice pour ceux ne répondant pas à la norme, même davantage, peut-être, lorsque le physique entre en jeu. L’image de soi et de l’autre revêt une importance maladive. Beaucoup de formes de barbarie sont reproduites avec une crédibilité à en donner la nausée : intimidation, moquerie, rabaissement, domination. Le public compatit pour cet homme torturé et s’insurge en réaction au traitement qu’il subit, soupirs et yeux dirigés vers le plafond à la clé.
En contrepartie, le film n’oublie pas d’insuffler l’espoir que toute personne considérée comme « anormale » puisse un jour être acceptée et non plus pointée du doigt. Ce message est transmis à travers le personnage de Hopkins sans qui rien n’aurait été possible, mais aussi par le biais du personnel féminin de l’hôpital et de son directeur Carr Gomm (John Gielgud) pour ne citer qu’eux. L’évolution de leur comportement face à un John Hurt méconnaissable mais époustouflant est émouvant à constater et constitue l’un des facteurs prêtant à sourire au cœur d’une histoire ne pouvant laisser indifférent.
Les éditions commercialisées
Elephant Man n’en est pas à son premier coup d’essai sur le marché de la haute-définition. Pour cause, la première édition Studiocanal remonte aux débuts du format Blu-ray avec un digibook commercialisé au cours de l’année 2009. Il fut ensuite reproposé dans un boîtier plastique standard en mars 2017. Pourquoi donc se tourner vers cette sortie steelbook anniversaire ? La réponse est simple : l’inclusion d’un excellent disque 4K Ultra HD, une foule de suppléments (dont des nouveaux) répartis sur deux disques et une restauration inédite. Une pièce indispensable pour les cinéphiles.
Test Vidéo/Audio
Vidéo ★★★★☆ Audio ★★★★★
En janvier 2020, Studiocanal a fait passer le mot : Elephant Man s’est vu offrir une restauration pour le son et, pour l’image, à partir du négatif scanné en 4K HDR (16 bits). Le communiqué va plus loin puisqu’il précise que celle-ci a été menée par L’Immagine Ritrovata sous la supervision de son metteur en scène. Son investissement ne s’est pas arrêté en si bon chemin puisqu’il a aussi pris en charge l’étalonnage à Los Angeles aux côtés du laboratoire FotoKem.
Bien que le Blu-ray offre une présentation plus modeste que son petit-frère en Ultra HD avec son passage en SDR et sa définition moins pointue, son gain de qualité comparé à celui édité il y a plus de dix ans est indéniable. La visibilité est rehaussée, la stabilité de l’image est irréprochable, et le noir et blanc fourmille de détails même dans ses zones de luminosité les plus extrêmes. Oui, le tout est plus terne que lors du visionnage avec la fonction HDR en 4K puisque augmenter ici les contrastes entraîneraient malencontreusement des pertes avec des noirs bouchés et des hautes lumières brûlées. La netteté connaît quant à elle des hauts et des bas (plus rares heureusement) mais qui ne sont pas à imputer à cette restauration mais à l’équipement (un défaut a été identifié par le directeur de la photographie Freddie Francis après plusieurs semaines de tournage) et aux techniques de l’époque comme les fondus optiques. La présence du grain a également été « sévèrement » manipulée à quelques occasions sans pour autant être catastrophique contrairement aux deux premières trilogies des Star Wars déjà disponibles en 4K aux États-Unis.
Trois pistes sont à retrouver dans le menu : le doublage français et allemand en DTS-HD Master Audio 2.0 et la version originale dans ce même format. Cette dernière conserve les dialogues avec une approche frontale, précise et naturelle, tout en mobilisant au mieux les capacités du son stéréo. La scène dans le bureau de Frederick Treves lorsqu’il interroge Merrick est un excellent exemple de l’utilisation d’effets ambiants avec l’activité extérieure venant résonner aux oreilles du spectateur. L’immersion sonore est toujours une réussite avec le craquement des marches, l’écoulement de l’eau, le bruit de la foule, etc. Quant aux basses, elles sont efficacement utilisées notamment lors de l’introduction et lorsque le clocher fait vibrer le sol peu après l’arrivée du protagoniste dans sa chambre d’hôpital.
Test Bonus ★★★★★
Les classiques commentaires audio et scènes coupées ne sont pas au rendez-vous mais l’éditeur ne s’est pas reposé sur ses lauriers pour autant puisqu’il a rassemblé 3 heures de suppléments. Parmi elles : 50 minutes de contenu jamais révélé auparavant disponible sur le premier disque. Et dire que des blockbusters parus ces dernières années n’atteignent même pas un tiers de ce total ! Travail remarquable pour une édition qui l’est tout autant.
Disque 1 :
- Entretien avec Frank Connor, photographe de plateau (25:15 min) : le professionnel revient sur ce qui l’a amené à choisir cette carrière ainsi que la progression de celle-ci avant d’aborder plus en détail son expérience sur Elephant Man en mentionnant le travail des acteurs, le département en charge du maquillage, les émotions ressenties durant le tournage, etc.
- Q&A avec le producteur Jonathan Sanger au British Film Institute (24:21 min) : cet entretien au cours duquel le producteur confie la façon dont il s’est retrouvé avec le scénario entre les doigts jusqu’à la finalisation du long-métrage, a été mené le 18 janvier 2018.
Disque 2 :
- Entretien avec David Lynch (24:49 min) : l’entretien est composé de huit parties qui sont nommées : « Sur les origines d’Elephant Man », « Sur Mel Brooks », « Sur le scénario », « Sur les acteurs et l’équipe », « Sur la représentation de John Merrick », « Sur le maquillage dans le film », « Sur les réactions au film » et « Sur l’avenir de la pellicule ».
- Entretien avec John Hurt (20:14 min) : celui-ci est divisé en onze thèmes : « Sur les origines d’Elephant Man », « Sur le tournage du film », « Sur John Gielgud », « Sur Michael Elphick », « Sur Hannah Gordon », « Sur le tournage », « Sur le film », « Sur la nuit des Oscars », « Sur le sujet du film », « Sur les souvenirs du film » et « Sur John Merrick ».
- The Air is on Fire : Entretien avec David Lynch à la Fondation Cartier (14:50 min) : Paris, 2007, l’écrivain Michel Chion rencontre le cinéaste sur lequel il a écrit un livre quinze ans plus tôt. Celui-ci l’interroge à partir des œuvres présentées à l’exposition.
- Joseph Merrick : le vrai « Elephant Man » (19:53 min) : l’archiviste et conservateur aux archives et au musée du Royal London Hospital en fonction lors du tournage de ce supplément, soit Jonathan Evans, revient sur la vérité autour de Joseph Merick, les mythes qui l’entourent et la fidélité du film.
- Galerie photos (00:11 min) : en lecture manuelle uniquement, cette galerie contient onze clichés d’excellentes factures capturés lors du tournage.
- Interview de David Lynch par Mike Figgis (19:47 min) : le metteur en scène révèle ses débuts dans la profession, son amour pour la pellicule, sa collaboration avec les directeurs photo, etc.
- Documentaire « The Terrible Elephant Man Revealed » (30:02 min) : ce bonus datant de 2001 fait office de making-of en passant en revue le casting, l’équipe technique, la tâche ardue du maquillage, les prothèses et l’accueil par la critique.
Bilan ★★★★☆
Quarante ans après s’être hissé parmi les créations les plus réussies d’Hollywood, l’œuvre plus sublimée que jamais demeure d’actualité tant son message est universel. Cela tombe bien puisqu’avec cette édition débordant de bonus et flattant son brillant passage à la dernière technologie visuelle, Elephant Man n’est pas près d’être oublié des futures générations !
L’édition Blu-ray et Blu-ray 4K d’Elephant Man est disponible à la Fnac et sur Amazon.