Difficile d’être passé à côté du phénomène « La Forme de l’eau ». Sorti dans les salles obscures françaises en février dernier, il est temps de se (re)plonger dans ce nouveau classique en Blu-ray, Blu-ray 4K et DVD.
Toutes les œuvres de Guillermo del Toro ne font pas l’unanimité malgré une filmographie regorgeant de lyrisme, de fantastique, et proposant un bestiaire tout aussi varié que complexe. C’est notamment le cas de Crimson Peak (2015) qui s’est contenté d’un petit 74,6 millions de dollars de recettes à l’international. S’il avait séduit de par ses décors et sa photographie hors pair, son histoire n’avait pas convaincu. Pourtant, c’est un réel tour de force que réussi le réalisateur avec La Forme de l’eau près de trois ans plus tard. 195,2 millions de dollars plus tard et quatre Oscars en poche, le film se hisse d’ores et déjà comme l’une des références cinématographiques de la décennie.
La Forme de l’eau : un conte gothique réinventant La Belle et la Bête
L’Amérique des années 1960. Alors en pleine Guerre froide, les USA mènent une lutte acharnée pour supplanter les Soviétiques en disposant des meilleures technologies et des plus grands savoirs. C’est cette course qui est à la base de la motivation des patrons du laboratoire gouvernemental de Baltimore où travaille Elisa Esposito (Sally Hawkins). Muette suite à une opération lors de son enfance, celle-ci n’est pas haut placée dans la hiérarchie puisqu’elle est embauchée en tant que femme d’entretien. Si son existence est routinière et plutôt en marge, elle peut compter sur sa coéquipière Zelda Fuller (Octavia Spencer) qu’elle connaît depuis une dizaine d’années. Pipelette, elle ne manque jamais d’anecdotes à partager, en particulier concernant son mariage. Elle fait aussi figure d’interprète pour son amie. Elle n’est pas la seule sur laquelle l’héroïne peut compter. Son voisin de pallier, Giles (Richard Jenkins), est lui un illustrateur gay sans succès aussi bien dans sa vie professionnelle que sentimentale. Une réelle complicité existe entre les deux individus qui se surprennent même à réaliser plusieurs pas de danse tout en regardant avec attention des comédies musicales diffusées à la télévision.
Plus rien ne sera plus comme avant pour Elisa lorsqu’elle rencontre une créature aquatique ramenée par le colonel Richard Strickland (Michael Shannon) d’Amérique du sud. Torturé par ce dernier, l’humanoïde (Doug Jones) ne dispose pas d’un langage compréhensible aux scientifiques. C’est ce qui finit par unir les deux êtres. S’ils sont en incapacité de s’exprimer oralement, les deux personnages s’apprivoiseront par des gestes, des regards et des intentions. Les interprètes se surpassent alors que leurs sentiments ne peuvent s’exprimer que corporellement, avec grâce, justesse et élégance. Tandis que l’exécution de la créature est imminente, Elisa doit faire un choix : laisser mourir la seule « personne » qu’elle aime, ou lui sauver la vie. Dans un pays où la violence règne, est-ce que la pureté cristalline de l’amour l’emportera ?
Loin de l’univers Disney et de sa féerie jamais outrageante, del Toro emmène La Forme de l’eau dans des recoins sans aucune pudeur. Il présente une héroïne parfois totalement dénudée sans prendre la peine de maintenir hors-champ ses parties les plus intimes, et va jusqu’à la filmer dans son rituel journalier de masturbation tandis qu’elle se tient allongée dans son bain. Comme déconnectée du monde qui l’entoure de par son handicap, il s’agit de l’unique solution trouvée par la protagoniste pour prendre du plaisir et croquer la vie à pleines dents. En outre, le racisme et la misogynie ambiants sont pointés du doigt lors d’un entretien entre le casting féminin et leur patron. Ce dernier nourrit d’ailleurs des fantasmes à l’égard d’Elisa qu’il peine à réfréner. Si cela s’exprime par l’acte sexuel qu’il entretient avec sa femme et durant lequel il exige qu’elle se taise, c’est aussi le moyen idéal pour toucher du doigt un problème sociétal majeur : le harcèlement au travail. Afin d’apporter une énième touche à ce tableau déjà peu ragoûtant, s’exprime un mépris des classes dites « populaires » et « moyennes » par le snobisme et les critiques acerbes de ce même personnage. Bien qu’il paraisse abject, Richard Strickland est un antagoniste complexe lui-même en proie à des pressions provenant de ses supérieurs. Menacé de n’être plus rien s’il ne parvient pas à accomplir sa mission, il perd d’autant plus les pédales qu’il s’engouffre dans un puits sans fin qui ne saura se terminer sur un happy ending. Le cinéaste ne craint ainsi pas d’aborder des sujets particulièrement sensibles, et additionne donc les tabous (surtout pour l’époque) dont la liste s’achève par une homophobie pesante au sein de la société américaine. Cette chasse aux sorcières quant aux minorités est d’autant plus percutante que toujours actuelle et globale à différents degrés.
Les éditions commercialisées
20th Century Fox a fait les choses en grand pour La Forme de l’eau puisque l’éditeur propose les trois formats de disques disponibles sur le marché (hors Blu-ray 3D). Le marchand FNAC a aussi pris les choses en main puisqu’il propose un steelbook incluant le Blu-ray, mais également un second regroupant Blu-ray 4K et Blu-ray standard. Malheureusement, ce dernier est victime de son succès puisqu’il est en rupture de stock depuis déjà plusieurs mois !
Test Vidéo/Audio
La Forme de l’eau a été tourné à l’aide d’une caméra numérique de type Arri Alexa. Impossible donc de retrouver le grain intrinsèque aux tournages sur pellicules, mais les images ne sont pas stériles puisque bénéficiant d’une photographie splendide signée Dan Laustsen (Crimson Peak, Le Pacte des loups). Le niveau de détail est impressionnant de A à Z, soignant la silhouette travaillée de l’Amphibien qui ne cesse d’épater notamment lors de l’apparition de la bioluminescence. Aussi, les environnements des années 60 sont très riches comme en témoignent notamment les deux appartements voisins. Malgré cela, le Blu-ray parvient à restituer les formes de chaque objet trônant dans les habitations : esquisses, œuvres, meubles... Aucun ne se fond dans la masse, et le spectateur prêtant attention aux murs de chez l’héroïne y découvrira, dissimulée par l’état lamentable des lieux, une reproduction de l’estampe japonaise La Grande Vague de Kanagawa. Les gros plans ne sont pas en reste non plus, et présentent des textures de peau très définies.
Ce soin est porté par un travail poussé sur les couleurs en post-production apportant une apparence relativement « superficielle ». Quelques minutes suffisent pour saisir que les deux heures se dérouleront dans une ambiance aux tons verdâtres : vert sombre, acide, aquatique, cyan… Si exceptions il y a, la palette ne change jamais drastiquement puisqu’elle se tourne en direction des tons de jaune ou bleuté. Le rouge se fait extrêmement discret, bien que relevant parfois l’habillement de la protagoniste suite à sa rencontre avec son futur amant. Bien sûr, il est inconcevable de ne pas mentionner la scène en noir et blanc. L’échelle des gris y est maîtrisée et généreuse, et bénéficie de contrastes maîtrisés comme l’ensemble de l’œuvre. Les noirs sont profonds et instaurent une profondeur convaincante à l’ensemble.
Achevé en 2K, le Blu-ray 4K offre lui uniquement un agrandissement. Si l’écart entre les deux galettes haute-définition n’est donc pas aussi impressionnant que cela aurait pu l’être autrement quant aux détails, l’apport du HDR est incontestable et offre des nuances exquises comparé à son ancêtre technologique. L’uniformité des filtres couleurs du Blu-ray standard est donc mise à mal par la gamme de couleurs étendues, pour le plus grand bonheur des rétines.
20th Century Fox offre une myriade de pistes audio comme à son habitude. La version originale est encodée en DTS-HD 5.1, le français, l’espagnol, l‘allemand, l’italien et le russe en DTS 5.1, et une seconde piste espagnole, ainsi que le doublage portugais et ukrainien en Dolby Digital 5.1. L’audiodescription (en anglais) est également en Dolby Digital 5.1.
L’immersion est complète grâce à l’audio en VO. Les sons environnementaux sont constants grâce à l’activité surround poussée qui n’empiète jamais sur les voix claires et frontales. Parmi eux : un écho des films projetés dans le cinéma au-dessus duquel se situe l’habitation d’Elisa. La musique, sifflotée ou orchestrée est agréable à l’oreille. L’audimat ne peut qu’être transporté dans cet univers à la fois triste et fantastique.
Test Bonus
Étonnamment pour une œuvre cinématographique récente et populaire, ni scènes inédites ni commentaire audio ne sont proposés contrairement à Crimson Peak ! Les suppléments valent tout de même le détour, mais il est impossible de réprimer une légère déception.
- Un conte de fées pour temps agités (28:55 min) : sous la forme de quatre featurettes pouvant être visionnées en lecture automatique par le biais de la fonction « Tout lire », chacune présente un aspect spécifique de la production. Dans la première, les intervenants reviennent sur la genèse de La Forme de l’eau, qualifié de « projet des rêves » qui a pu laisser libre court à son amour des monstres Universal. De plus, ils reviennent sur le racisme et les conditions sociales typiques de l’époque dans laquelle se déroule l’action. Ensuite, tous s’arrêtent la créature. Maquette, design, croquis, recherches, textures, les retouches numériques réalisées par Legacy Effects, l’interprétation de Doug Jones… Tout est passé en revue. La troisième partie aborde les décors ainsi que la palette de couleurs mobilisée. Les interviewés notent l’utilisation du rouge pour symboliser la passion ressentie par Elisa. Pour finir, le module s’intéresse rapidement à la musique composée par Alexandre Desplat.
- Anatomie d’une scène : le prologue (3:14 min) : quelles sont les motivations derrière cette introduction ? Quelles sont les techniques mobilisées afin de réussir ce long plan aquatique ?
- Anatomie d’une scène : la danse (4:50 min) : comment exprimer son amour lorsque l’on est muette et que l’individu ne peut le comprendre ? Tel est le but de cet instant qui vient brusquement briser le rythme du récit, mais aussi sa photographie en délaissant la patte visuelle du film au profit d’un simple noir et blanc. Des extraits du tournage sont révélés, et del Toro mentionne l’orchestre qui a contribué à rendre cette scène possible. Au total, une demi-journée aura été nécessaire pour donner vie à ces quelques minutes.
- Donner forme aux vagues : une conversation avec James Jean (5:05 min) : ici, une brève conversation avec l’artiste qui est derrière l’affiche du film. Le spectateur y découvre ébauches, croquis, et autres réalisations ancrées dans la fantaisie et le surréalisme. Très bonne initiative de la part de l’éditeur.
- La Master class de Guillermo del Toro (13:27 min) : il s’agit d’une discussion plus « technique du film » et plus « minutieuse » menée par le cinéaste face à une audience au Zanuck Theater, et soutenu par des membres de son équipe. L’homme fournit des conseils quant à la conception d’un monstre, et mentionne la majesté de celui qu’il propose dans La Forme de l’eau. Cette dizaine de minutes lui permet en outre de revenir sur les costumes dont le paradoxe de ceux de Richard qui le présentent tel un héros, mais aussi sur la scène de la salle de bain devenue piscine en recyclant des matériaux de la série The Strain.
- Bandes-annonces cinéma : au nombre de trois, il est possible de les visionner automatique grâce à la fonction « Tout lire ». Elles sont nommées : bande-annonce cinéma (2:32 min), bande-annonce censurée (2:03min) et bande-annonce censurée 2 (2:19 min).