Le Grand Jeu : l’appât du gain en Blu-ray

Première réalisation d’Aaron Sorkin, « Le Grand Jeu » restitue la biographie de Molly Bloom pour le grand écran. Apogée, poker, descente aux enfers, manipulation… Rien n’est laissé au hasard dans ce long-métrage désormais édité en Blu-ray et DVD par M6 Vidéo.

L’autobiographie de Molly Bloom a été publiée aux États-Unis par It Books en 2014. Dès lors, Molly’s Game attire l’attention d’Hollywood, mais le projet peine à se concrétiser malgré l’achat des droits d’adaptation en novembre de la même année par le studio indépendant Mark Gordon Company. Après avoir hésité à s’y investir, Aaron Sorkin est attaché au scénario. Connaissant plusieurs joueurs de poker dont il est question sous la plume de l’auteure, l’homme modifie leur identité afin qu’ils bénéficient de l’anonymat. Il limite ainsi la casse, évitant de se mettre à dos des amis, voire de possibles futurs collègues.

Genèse et réception

Avec Le Grand Jeu, Sorkin porte une double casquette en marquant ses débuts à la réalisation. Connu jusqu’ici pour avoir scénarisé Le stratège (2011), et Steve Jobs (2015), il puise ses conseils auprès de David Fincher avec lequel il a collaboré sur le réputé The Social Network en 2010. Ce dernier film lui a d’ailleurs valu de remporter l’Oscar de la Meilleur Écriture dans la catégorie Adaptation. Autant dire que l’Américain est on ne peut mieux placé pour porter les mésaventures de Molly Bloom au cinéma. Suite à l’insistance de celle-ci, Sorkin embauche Jessica Chastain (Crimson Peak) dans le rôle principal en février 2016. Le tournage des 45 pages se déroule avec une rapidité presque olympique, les deux têtes d’affiche n’ayant que dix jours de disponibilité dans leur planning.

L’œuvre est diffusée au Festival international du film de Toronto en septembre 2017, avant d’être sujette à une sortie internationale dès le premier mois de 2018. En France, Le Grand Jeu occupe la septième place du box-office dès sa première semaine d’exploitation. L’accueil qui y est porté est encourageant avec près de 53,36 millions de dollars de recettes récoltées dans le monde.

Le Grand Jeu : un parcours en dents de scie façon puzzle

Par le biais d’une structure décomposée en de multiples allers-et-retours dans le temps, Le Grand Jeu parvient à ne pas perdre le spectateur avec ses flashbacks provenant de différents chapitres de la vie de la protagoniste. Cette technique cinématographique influe un rythme intéressant et dynamique au récit, qui s’essoufflera durant la dernière partie se focalisant sur le présent. En voix-off, Chastain lie ces fragments entre eux, et réussit à en faire un tout cohérent – bien que légèrement déconcertant au départ. Le public découvre ainsi deux tableaux opposés en introduction : Molly en skieuse professionnelle dans un paysage lumineux et couvert de neige, et la femme, bien des années après, plongée dans le noir de sa chambre avant d’être arrêtée par le FBI. Double métaphore donc, entre isolement et désespoir. Cette question se pose alors immédiatement : qu’a-t-il bien pu se produire pour que tout aille de travers ? Comment une jeune fille au destin prometteur a-t-elle pu se retrouver impliquée dans une affaire illégale ?

Tout commence par une blessure qui ne lui laisse d’autre choix que de quitter la compétition. Dès lors, il lui faut se confronter à un destin incertain tout en mettant fin à ses espérances sportives. La déception est partagée par son père (Kevin Costner), psychologue si exigeant qu’il frôle la relation abusive en n’hésitant pas à user de violence morale sur sa fille. Une scène en particulier illustre très bien cela puisqu’il parvient à lui faire dire, alors qu’elle était encore gamine et croulait sous la fatigue, que s’arrêter est uniquement « pour les perdants ». Dès son adolescence, Molly paraît comme désenchantée par la vie et n’hésite pas à se montrer agressive envers lui. Les raisons derrière un tel comportement forgeront sa personnalité future, l’engouffrant indirectement dans un tourbillon dont elle aura par la suite beaucoup de difficultés à s’extirper.

Dans le but de payer ses études de droit, elle décide de prendre une année sabbatique et de se dégoter un travail Los Angeles. Serveuse dans un bar à cocktails luxueux, elle fait la rencontre d’un promoteur immobilier (Jeremy Strong) dont les affaires ne se cantonnent pas à son emploi. En effet, ce dernier organise des parties de poker clandestines dont les participants ne sont autres que des acteurs, réalisateurs, et autres personnalités dont le porte-monnaie déborde de billets verts. Il l’embauche à la fois en tant que secrétaire, mais lui donne aussi pour fonction de tenir les comptes du jeu. Dès la première soirée, Molly se fait un pourboire s’élevant à 3 000 dollars ! Le Joueur X (Michael Cera) serait en réalité Tobey Maguire, l’un des interprètes de Spider-Man. Immoral et peu élogieux, son portrait est dépeint tel une célébrité uniquement intéressée par la domination de ses adversaires et par l’idée de les conduire droit vers la faillite.

Les semaines se succèdent tandis que son patron devient de plus en plus jaloux, prétextant que son employée couche avec ses amis. Suite à son renvoi, elle prend les choses en mains et prend à son tour la tête de ces parties. Dans ce contexte très macho, il ne semble y avoir aucune place pour des joueuses. Aspect qui n’est pas frontalement abordé. Oubli ou absence d’intérêt ? Les sommes mises en jeu sont astronomiques, et les perdants ne peuvent pas toujours payer leurs dettes. Lorsque ce trou financier devient une habitude, Molly est progressivement amenée à dévier du sentier de la légalité en prenant des pourcentages sur les gros pots.

Aaron Sorkin a pris pour parti de ne pas aborder la vie sentimentale de la protagoniste. S’il est une fois mentionné qu’elle n’a pas d’amis, il est presque impossible d’envisager qu’elle n’ait eu aucune relation amoureuse. La facette la plus intime de sa personnalité est sans nul doute le lien entre elle et son père, aboutissant sur une scène (presque) finale émouvante de par sa justesse et du poids qui semble s’évaporer de leurs épaules. Le réalisateur préfère donc se concentrer sur les traits qui l’ont le plus marqué chez l’auteure : son intelligence qui l’a davantage servi que son physique avantageux, et son intégrité à toutes épreuves. Face au dilemme lui donnant pour choix de dénoncer ses clients ou de se taire et d’être condamnée à la prison, celle-ci se mure dans le silence. Elle se refuse à briser des vies, des familles, et ce, tout autour du globe. Molly veut sauver son nom, lui rendre justice.

Si Le Grand Jeu sera longuet pour certains (140 minutes) mais fera l’unanimité quant à la prestation majestueuse de Jessica Chastain, on ne peut qu’applaudir sa fidélité quant à l’autobiographie dont le film est issu. Deux changements sont à noter. Le plus important est que l’avocat Charlie Jaffey (Idris Elba) n’existe pas. Il a été inventé afin que Sorkin et son équipe bénéficient d’une certaine souplesse dans le récit, sans avoir à se focaliser sur la véracité des faits. Plus anecdotique, la boîte de nuit Cobra Lounge n’existe pas. Les parties de poker prenaient réellement place au Viper Room, club longtemps détenu par Johnny Depp.

Les éditions commercialisées

Le Grand Jeu est disponible DVD et Blu-ray grâce au distributeur M6 Vidéo. Plus riche que son homologue américain qui arbore une jaquette différente mais est très pauvre en bonus, l’édition française est supérieure. À l’exception, bien entendu, de l’absence de la piste originale en DTS-HD Master Audio 7.1. Il n’existe pas de Blu-ray 4K.

De gauche à droite : DVD, Blu-ray, Blu-ray (USA)

Une édition spéciale FNAC est commercialisée par le marchand, et contient une interview inédite et conséquente du réalisateur.

Test Vidéo/Audio

Capturées digitalement, les images retransmises par le master 2K utilisé pour le Blu-ray sont impeccables. Bien que Le Grand Jeu ne bénéficie pas d’une définition époustouflante qui le ferait figurer parmi les demos du support, la qualité visuelle démontre un naturel plaisant. Les textures sont identifiables, et les gros plans sont détaillés (pores, taches de rousseur…). Quant aux couleurs primaires, elles dénotent avec aisance dans des décors assez sombres et sépia lors des parties de jeu. Les contrastes sont adaptés, tout comme la saturation. Les scènes d’extérieurs sont rares, si ce ne sont les flashbacks lors de la compétition de ski qui gagnent en luminosité. Les niveaux de noirs sont profonds.

Trois pistes sonores sont proposées sur la galette bleue. La piste anglaise et le doublage français sont encodés au format DTS-HD 5.1. L’audiodescription dans la langue de Molière se contente, elle, d’un DTS-HD 2.0. Le Grand Jeu n’est pas un blockbuster avec ses activités sonores presque incontrôlable. À l’opposé, son ambiance est plus feutrée et repose essentiellement sur de (très) nombreux dialogues. Heureusement, les voix sont claires et distinctes. Les sons venant ponctuer les pistes font réagir ici-et-là les enceintes, mais les basses réagissent essentiellement aux scènes les plus dynamiques comme dans le club où la musique emplie les lieux.

Test Bonus

Pour un long-métrage récent, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Le contenu proposé demeure très supérieur à celui du Blu-ray édité aux USA, permettant donc de passer de la pommade sur cette déception. Aucun commentaire audio n’est fourni, ni scène(s) coupée(s) ou making-of.

  • Interviews (27:30 min) : ce supplément conséquent permet de poser des questions à tour de rôle à Aaron Sorkin, Jessica Chastain, Idris Elba, Kevin Costner, et Molly Bloom en personne. Les axes sont nombreux : l’histoire du film, leurs motivations à participer au Grand Jeu, leurs avis sur leurs collègues, le rapport entre Molly et son père, leur personnage respectif… Bloom qualifie son double cinématographique comme possédant « un jeu nuancé et complexe ». Les réponses sont brèves mais intéressantes, et permettent de faire le tour des interrogations essentielles. Bien sûr, cela ne compense pas un making-of nous plongeant le public au cœur de l’action et des choix artistiques pris.
  • Featurette (2:55 min) : à mi-parcours entre bande-annonce et entretiens dont seules les phrases clés et percutantes ont été conservées, ce bonus n’apporte pas vraiment d’approfondissement si vous avez déjà visualisé Interviews.
  • Extraits de tournage (2:11 min) : tout est dit dans le titre. Les scènes se succèdent, au cours desquelles vous apercevrez l’équipe en train de filmer et leur équipement. Certaines montrent le réalisateur en train de diriger les acteurs, mais ce sont majoritairement des extraits de l’œuvre pris derrière la caméra.
  • Bande-annonce (1:47 min) : en HD.

Conclusion

Note de la rédaction

Vivant pour la compétition, Molly Bloom est présentée sous des allures d’héroïsme moral. Ce personne complexe, ainsi que le déroulement original du récit, font du « Grand Jeu » un film à découvrir ne serait-ce que pas curiosité. Si le Blu-ray est légèrement en-dessous des attentes les plus exigeantes, il fait son possible pour rendre cette expérience cinématographique riche et agréable. Barème : Film ★★★ / Blu-ray ★★★★ / Bonus ★★

Sur la bonne voie

Note spectateur : Sois le premier