Ça vient de sortir ! Elephant Films poursuit son exploration de la filmographie de Cecil B. DeMille en déterrant des trésors du cinéma parfois oubliés. Focus sur le Blu-ray de son vintage « Les Conquérants d’un nouveau monde » désormais disponible à l’achat.
Adapté du roman de Neil H. Swanson intitulé The Judas Tree, Les Conquérants d’un nouveau monde (1947) a nécessité le budget le plus important de la carrière du cinéaste Cecil B. DeMille (Samson et Dalila). Estimée entre 4 et 5 millions de dollars, la dépense de cette coquette somme ne fut pas en vain. En effet, les résultats au box-office furent bons et les critiques, pourtant mitigées, ne purent empêcher une nomination à la cérémonie des Oscars prenant place en 1948. Une production démentielle pour un aboutissement de qualité.
Les Conquérants d'un nouveau monde : présentation et critique
Dans l’Angleterre des années 1760, une britannique du nom d’Abigail Martha Hale (Paulette Goddard) est confrontée à un juge sans état d’âme qui l’accuse d’un crime pour lequel elle est innocente. Une échappatoire à l’exécution par pendaison lui est alors offerte. Il lui faut choisir entre la mort ou l’esclavage. Déportée, son tempérament de feu attire l’attention du capitaine Christopher Holden (Gary Cooper) alors qu’ils voguent en direction des colonies d’Amérique du sud. Le patriote l’achète avant de lui redonner sa liberté suite à des enchères mises en place sur le navire. C’est sans compter la convoitise d’un autre homme lui vouant un désir enflammé : le trafiquant d’armes Martin Garth (Howard Da Silva). Ainsi, il se l’approprie dès qu’ils se retrouvent seuls après des manipulations illégales portées sur le papier.
Il ne reste d’autres options à Abigail que de le suivre bon gré mal gré, par la suite exploitée dans un bar en tant que serveuse et femme de ménage. Comme le découvre alors le public, Garth ne fait pas figure d’honnêteté. Complotant avec les Indiens en leur fournissant de quoi chasser les colons, son mariage avec Hannah (Katherine DeMille), fille du chef des Senneccas, est imminent. Si Holden parvient à sauver l’anglaise des griffes de celui-ci, leurs péripéties ne font que commencer alors que la haine et le danger sont à leurs trousses.
La vérité historique n’est pas suivie à la lettre dans Les Conquérants d’un nouveau monde. Des libertés sont prises, mais des éléments sont fidèlement reconstitués grâce à l’œil expert du cinéaste et de son équipe tels que les costumes militaires et les épées. En outre, le siège de Fort Pitt marque les mémoires de par la puissance de sa mise en scène, sa photographie ainsi que le nombre incroyable d’acteurs et figurants. Cet événement à l’ampleur vertigineuse n’est autre qu’une retranscription soignée d’une page des États-Unis tandis que les conflits faisaient rage dans le désormais Pittsburgh.
Reflétant probablement les croyances de DeMille, la conquête de l’Amérique présentée ici perd en force psychologique. Tout est manichéen. Les Indiens sont ceux à abattre, faisant disparaître leurs coutumes barbares par la même occasion. S’ils sont la violence incarnée, les colons britanniques sont des victimes dont la mission est justifiée en dépit de traîtres dans les rangs. L’horreur de cette rivalité atteint son paroxysme lorsque les deux protagonistes assistent à un tableau funeste : un sol jonché de cadavres anglais.
L’infinité de décors laisse pantois. Magnifiques et divers, c’est un délice. Pourtant, malgré un budget ahurissant, la censure frappe fort. Comme quoi, l’argent ne fait pas toujours le bonheur d’un réalisateur. Habituellement si tape-à-l’œil et se livrant avec fierté dans la provocation, DeMille doit se contenter d’un politiquement correcte caractérisé par une nudité dissimulée. Si l’héroïne a elle aussi droit à son fameux bain, sa poitrine est cachée par une eau savonneuse pourtant non-existante à cette époque. Nous sommes loin du Signe de la croix (1932) avec ses corps déshabillés et sa danse lesbienne. Sensualité mise à part, le film possède du contenu tout de même borderline et bien souvent, c’est Abigail qui fait les frais de ce sadisme. Attachée, menacée d’être fouettée, risquant d’être brûlée vive et torturée par des Indiens mais aussi de se noyer, la pauvre demoiselle est le jouet de ses hommes aux origines multiples. Elle est également un objet de fantasmes que la gent masculine s’arrache et a pour mission de sauver. Fort heureusement, le personnage s’éloigne un peu du cliché féminin et prouve sa force de caractère en se sacrifiant pour son bien-aimé.
Les éditions commercialisées
Un premier DVD des Conquérants d’un nouveau monde a été mis en vente par Universal Pictures France en 2007. La technologie n’étant alors pas ce qu’elle est aujourd’hui, autant dire que la galette proposée par Elephant Films est à privilégier. De plus, elle est accompagnée d’un Blu-ray rendant hommage au récent travail de restauration dont a bénéficié l’œuvre. En dehors du territoire français, le format haute définition est uniquement disponible en Allemagne.
Test Vidéo/Audio
L’œuvre a semble-t-il été remasterisée à partir des pellicules 35mm qui ont été scannées en 2K ou 4K. Tourné en Technicolor, Les Conquérants dispose d’une palette conséquente et chaleureuse. Les couleurs primaires sont joliment saturées, en particulier lors des passages se déroulant au cœur de la forêt où les nuances de vert y sont tout aussi réalistes que délectables. Les plus attentifs remarqueront les limites de ce procédé par des variations de teintes ininterrompues en particulier lors des gros plans. La carnation passe ainsi du rosé au plus jaunâtre de façon continue. Cela ne suffit pas à gâcher le visionnage mais peut prendre de court une audience ne s’y attendant pas.
Il en est de même pour l’aspect très brut de la vidéo. Au premier coup d’œil, il n’est pas exclu de songer qu’un renforcement de contours a été utilisé dans le but d’augmenter la précision de l’image. Les contours paraissent très durs, en particulier en présence de feuillages et autres éléments de la sorte, et peuvent demander un relatif temps d’adaptation. L’absence d’aliasing (anomalie visuelle prenant la forme d’un contour blanc) est rassurante et laisse penser que cette apparence très tranchée n’est pas due à une manipulation numérique. Des points blancs et autres témoignages de l’ancienneté du métrage font leur apparition çà et là, mais le rendu est convaincant avec une granularité organique, un cadrage respecté et des détails foisonnants.
À l’opposé de Cléopâtre (1934), Les Conquérants d’un nouveau monde a été doublé en français. La piste est au format DTS-HD 2.0 à l’instar de la version originale. En près d’une quinzaine d’années, l’avancée de la capture sonore est conséquente. Bien que la musique du générique d’ouverture n’en soit pas un exemple, les grésillements sont plus rares. La saturation diminuée lors des scènes les plus dynamiques rend l’écoute plus agréable. N’étant plus exclusivement tourné en studio comme l’était le film précédemment mentionné, le spectateur voyage avec des sons et bruitages plus variés, comprenant ceux d’une nature parfois violente. Davantage tournée vers l’action, la piste est plus dynamique avec ses bruits d’armes à feu, ses flèches et autres formes de violence. L’enregistrement d’origine étant en mono, la spatialisation demeure très limitée. Ce n’est pas un problème en soi puisqu’Elephant Films est fidèle au matériel source en ne prenant pas le risque de le dénaturer.
Test Bonus
L’interactivité est ici plus restreinte que celle de Cléopâtre, dont le Blu-ray reprend l’un de ses suppléments. La structure reste homogène aux disques de l’éditeur avec ses habituelles bandes annonces, photographies et crédits.
- Présentation du film par Eddy Moine (13:39 min) : le journaliste propose une fresque du développement du long-métrage en s’arrêtant notamment sur le planning, les paysages mobilisés et son casting. 4 000 figurants ont été nécessaires pour répondre aux besoins du cinéaste qui collabore pour la quatrième fois avec Gary Cooper. Moine surenchérit en révélant que la relation entre DeMille et son actrice principale n’est pas au beau fixe lors du tournage. Pour cause, ce dernier ne respecte pas les consignes de sécurité, obligeant Paulette Goddard à exiger une doublure qui est blessée par l’une des boules de feu. Cet exposé s’achève sur un bilan des recettes et des critiques.
- Cecil B. DeMille par Jean-Pierre Dionnet (10:11 min) : le professionnel commente le parcours du réalisateur en revenant sur l’accueil fabuleux que beaucoup de ses œuvres ont reçu, en particulier le désormais classique Les Dix Commandements (1956). Il ne se retient cependant pas de mentionner le caractère difficile de DeMille qui était considéré par certains comme un « tyran » et un « antisémite » malgré ses origines juives et protestantes. Ces traits négatifs sont contrebalancés par une audace à toute épreuve et un esprit avant-gardiste qui lui a fait prendre des risques lors d’une époque difficile où la censure bat son plein. Notez qu’un bug mineur est présent durant la lecture puisqu’il est impossible de la mettre en pause.
- Bandes annonces (4:14 min) : Fureur Apache (3:07 min), L’Homme de la Sierra (3:06 min), Le Survivant des Monts Lointains (2:48 min), Le Virginien (0:50 min), Opération Danger (1:23 min) et Cléopâtre (4:17 min).
- Galerie photos (1:29 min) : onze photographies et affiches de très bonne qualité sont visualisables en avance manuelle ou automatique.
- Lien internet : page renseignant l’adresse du site internet de l’éditeur Elephant Films.
- Crédits : page de remerciements à l’égard de tous ceux ayant travaillé sur le disque.